Ajouté le: 2 Octobre 2021 L'heure: 15:14

Le figuier stérile planté dans une vigne

Une parabole sur Israël et l’Église (Lc 13, 6‑9)

Pendant Ses trois années d’apostolat, le Christ n’a pas cessé de parler, Lui le Verbe du Père, la « Bouche du Silence », et Il a parlé essentiellement en paraboles parce qu’il s’agissait d’un langage accessible à tous, à l’image des contes et des proverbes, mais qui imposait de faire un effort intérieur pour comprendre la signification spirituelle de leurs symboles. Certaines sont longues, avec parfois plusieurs versions (comme par exemple celle des Talents et sa variante avec les Mines), et d’autres sont courtes, comme c’est le cas ici, mais leur importance spirituelle n’est pas nécessairement liée à leur longueur.

Le figuier stérile planté dans une vigne

La scène se passe après la délivrance de l’enfant possédé et muet1 (juste après la Transfiguration) et avant la guérison de la femme courbée2 le jour du sabbat : nous sommes donc probablement au début de la 3e année de mission du Christ. Saint Luc est le seul à la rapporter.

Le contexte est déroutant, ce qui est souvent le cas chez Saint Luc, puisque le Seigneur raconte cette parabole après un entretien avec des Galiléens sur des évènements dramatiques récents, qui n’a pas de rapport avec la parabole, et dont le lieu n’est pas précisé. Il semble donc qu’il y ait un hiatus dans le texte évangélique. Par contre la tradition situe la scène en Galilée, versSephet3 à un moment où les Apôtres rentrent de mission et rapportent au Seigneur leurs « réussites » (les miracles accomplis, les personnes converties) et leurs échecs (notamment face à des pécheurs endurcis). C’est alors que le Christ va leur raconter cette courte parabole, pour les encourager à persévérer, ce qui est beaucoup plus plausible que ce que le texte de Saint Luc laisse entendre.

Comme Il le fait souvent, le Seigneur utilise des symboles agricoles, parce qu’Il vit au sein d’une société agro-pastorale et que ces symboles parlent aux gens du pays.

L’ « homme » dont il est question est un grand propriétaire terrien, puisqu’il possède un vignoble, au milieu duquel sont plantés des arbres fruitiers, dont un seul est mentionné : un figuier. Ce type de culture associant vigne et arbres fruitiers était très connu dans l’Antiquité et est toujours pratiqué, parce que ces deux arbres se font du bien mutuellement et que leurs produits sont complémentaires dans l’alimentation. Mais nous pouvons déjà noter ici une particularité étrange : la culture de la vigne, qui est très ancienne, se faisait souvent « en hautain », c’est-à-dire en s’accrochant à des arbres, technique connue chez les Gréco-romains, et donc aussi chez les Hébreux, et qui a subsisté longtemps. De nombreux arbres ont été utilisés, mais jamais les figuiers, qui avaient leur place devant les maisons ou dans les jardins, parce qu’ils apportaient de l’ombre et fournissaient des fruits savoureux et rafraichissants. Cela signifie que le maître a planté délibérément ce figuier au milieu de sa vigne. Et, pour cultiver sa vigne, il a probablement de nombreux ouvriers, dont un seul est nommé : un vigneron. Et, régulièrement (au moins une fois par an), le maître vient voir si ce figuier-là porte du fruit, ce qui montre qu’il s’intéresse aux arbres qu’Il a plantés. Notons qu’ici la vigne ne pose aucun problème, c’est-à-dire qu’elle produit du vin, et certainement un bon vin, car l’ouvrier est un professionnel de la vigne et de la vinification et non un arboriculteur.

Avant d’aborder le contenu spirituel de la parabole, nous devons d’abord parler de la symbolique de la vigne et du figuier extrêmement importante dans toute la Bible.

La vignea toujours signifié, dans la Bible, le peuple d’Israël et l’Église (qui sont prédestinés à ne faire qu’un) : le prophète Isaïe (8e siècle av. J-C) chante le Cantique de la vigne (Is. 5/1-7) dans lequel se trouve cette phrase admirable : « La vigne du Seigneur Sabaoth, c’est la maison d’Israël et les hommes de Juda, c’est le plant qu’Il chérissait… ». Le Christ Lui-même reprend cette symbolique dans la parabole des Vignerons homicides5, mais là, Il prophétise Sa mise à mort en tant que Fils du Maître, et, à la fin, dans Sa réponse « aux grands-prêtres et aux anciens », Il prophétise clairement l’Église et le châtiment d’Israël.

Le figuier, qui est omniprésent en Israël et souvent mentionné dans l’Évangile, symbolise la « Loi » (la « Torah ») et la Synagogue. C’est un arbre magnifique avec un feuillage large et abondant, mais dont on ne voit pas les fruits, qui sont cachés par les feuilles, et dont certaines variétés sont stériles. Saint Ephrem le Syrien dit : « Le figuier, c’est la synagogue »4. Saint Ambroise de Milan corrobore et dit une très belle phrase : « …la comparaison de cet arbre s’applique bien à la synagogue…dont les docteurs, stériles en œuvre, s’enorgueillissent de leurs paroles comme d’un feuillage exubérant… »5. Les « docteurs de la Loi » (les rabbis) se sont enorgueillis de leur pseudo-savoir, formel et juridique, et se sont retranchés derrière les « feuilles » de la Loi pour rejeter Celui qui enétait lAuteur, le Verbe du Père. La Synagogue des Juifs est stérile, parce qu’elle n’a pas accueilli le Messie, le Fils de David, Jésus-Christ. Nous voyons un accomplissement saisissant de cette parabole lorsque le Christ maudira un figuier qui ne portait pas de fruit et qui se trouvera instantanément desséché à la suite d’une sentence divine (Mt 21/19)6. Le figuier rappelle aussi que nos premiers parents Adam et Ève, après avoir désobéi à Dieu et vu qu’ils étaient « nus » (c’est-à-dire privés de la lumière divine incréée, dont ils étaient naturellement revêtus) s’étaient cousus des feuilles de figuier pour s’en faire des pagnes : ces feuilles – ce « cache-misère » – représentaient le verbiage de leur auto-justification, signifiant leur refus du repentir7 (Ge 3/7, 10).

Ces symboles nous permettent de comprendre la parabole.

Le propriétaire du domaine est le Père céleste : c’est Lui qui a choisi de planter la vigne et le figuier. La vigne symbolise l’Église. Le fait que le figuier soit planté au milieu de la vigne rappelle le rôle premier d’Israël, dont la vocation était d’engendrer le Messie, pour devenir ensuite l’Église de tous les peuples. Le Vigneron est le Christ. Le fait que le figuier ne produise pas de fruits symbolise le refus d’Israël de recevoir Jésus de Nazareth comme Messie. La synagogue, qui rejette le Christ, ne peut pas porter de fruit. Nous voyons tout au long de l’Évangile les sanhédrites, scribes et Pharisiens, se draper orgueilleusement des feuilles de la Loi – sans la mettre en pratique –, pour rejeter Celui qui en est l’Auteur. « Voicitrois ansque Je viens chercher du fruit et que Je n’en trouve pas… » : cela représente les trois années de mission du Christ et Son rejet par Israël, par la Synagogue, le Sanhédrin. Le Père prononce alors un jugement : « Coupe-le », débite-le en bûches et brûle-les. Cet arbre est inutile puisqu’il ne coopère pas avec Moi, il n’accomplit pas Ma volonté. Il rend la terre « improductive », c’est-à-dire stérile, parce qu’il n’engendre pas le Messie (l’Homme a été tiré de la terre-mère pour ressembler à Dieu et élever le cosmos jusqu’à Dieu, le transfigurer). Le terme « couper » est redoutable : il signifie que larbre est séparéde la terre et de ses racines, de sa semence : cest une mort irrémédiable, lenfer. Cela rappelle la prophétie de Jean Baptiste : « Déjàla cognéese trouveàla racine des arbres : tout arbre ne produisant pas de bons fruits sera coupéet jetéau feu » (Mt 3/10).

Mais ce qu’il y a de tout à fait étonnant et remarquable, c’est que le vigneron plaide pour le figuier, le Christ plaide pour Son peuple : Père, attends encore un peu, Je n’ai pas achevé Ma mission. Il en est aux 2/3 et n’a pas encore subi Sa Passion, d’où : « laisse-le encore cetteannée » [celle de Ma mort et de Ma résurrection]. Je vais en prendre soin, biner, arroser, « mettre du fumier », c’est-à-dire de l’engrais, symbole ici de la grâce. Saint Ambroise commente : Je vais « défoncer la dureté de leur cœur par la pioche apostolique ». Peut-être Israël se repentira-t-il ? Peut-être Me reconnaîtra-t-il comme son Messie, son Sauveur ? Sinon,que Ta volonté soit faite8 : « Tu le couperas ». Le Fils demeure entièrement obéissant à Son Père, tout en Se faisant notre avocat, notre Paraclet.

En fait, dans cette très courte parabole, en quelques mots, le Christ exprime ce qu’Il fait, Sa propre œuvre actuelle, la raison pour laquelle Il est venu dans le monde. Mais les Apôtres ne comprendront cela qu’après la descente du Saint-Esprit. Et il en est de même pour nous, tandis que la Synagogue reste aveugle et sourde.

Toutefois, la parabole peut s’appliquer aussi in fine à l’Église et à chacun de nous : sommes-nous une vigne produisant un nectar divin ou un figuier stérile ?

P. Noël TANAZACQ, Paris

Notes :

1. Cf. Apostolia n° 49 d’avril 2012.
2. Cf. Apostolia n° 32 de novembre 2010.
3. Actuellement Sefath, en haute Galilée, non loin de Hatzor.
4Commentaire de l’Évangile concordant, p. 259, Sources chrétiennes n°121.
5Traité sur l’Évangile de Saint Luc, II., p. 67-72. Sources Chrétiennes n° 52.
6. Le Christ retournait à Jérusalem le lendemain des Rameaux, où, après Son entrée messianique, Il avait été vivement pris à partie par les sanhédrites, mais aussi par la foule. Et Il va devoir affronter bien pire, avant d’être arrêté comme un malfaiteur. Les Apôtres furent stupéfaits par ce miracle.
7. La honte de leur nudité devant Dieu n’est pas le repentir : c’est même le contraire, car la honte est face à soi-même, tandis que le repentir est face à Dieu.
8. Cela annonce Gethsémani : après Son combat spirituel angoissant, le Christ termine en disant : « Non pas ce que Je veux, mais ce que Tu veux » (Mc 14/36).

Le figuier stérile planté dans une vigne

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