Ajouté le: 2 Janvier 2022 L'heure: 15:14

La Femme aux 7 maris

Le Christ révèle la résurrection, et la vie dans « le siècle à venir »

(Mt 22, 23-33; Mc 12, 18-27; Lc 20, 27-38)

Cette histoire, qui pourrait sembler presque humoristique, tant elle est caricaturale, mais qui, en fait, est complexe, doit être resituée dans son contexte, pour que nous puissions en comprendre le sens véritable, bien éloigné du mariage humain. Nous sommes entre les Rameaux – l’Entrée messianique du Christ à Jérusalem – et la Sainte-Cène, qui est le prélude à sa Passion. Ces quelques jours étranges sont un moment d’une extrême tension entre les tenants du Judaïsme officiel – le Sanhédrin – et Jésus, qui Se trouve attaqué constamment par ses ennemis, qui voudraient à tout prix Le « surprendre en parole », Le prendre en flagrant délit de propos contraires à la Loi de Moïse, ce qui leur permettrait de mettre un terme à sa notoriété et de Le condamner pour blasphème.

Le Seigneur affronte ses contradicteurs avec un courage exceptionnel, enseignant constamment dans le Temple1. Cette courte période est extrêmement éprouvante pour le Christ, et elle a été une forme de Passion morale avant sa Passion physique. Il ne trouvait un peu de repos et de consolation que le soir, chez ses amis de Béthanie, où Il était en sécurité.

La « Loi de Moïse »2 qui était le socle de la foi juive, était d’une grande complexité, que seuls les prêtres et les scribes étaient capables de maîtriser. Et elle ne se présentait pas comme un traité de théologie systématique : il fallait être capable de relier entre eux les passages significatifs et complémentaires. Ceux qui s’estimaient en être les dépositaires officiels et exclusifs vont donc tendre des pièges au Rabbi de Nazareth pour essayer de Le « coincer ». Deux groupes vont se succéder pour interroger Jésus sans relâche : les Sadducéens, qui représentaient le parti des grands-prêtres, et les Pharisiens, au sein desquels se trouvaient en général les scribes, les maîtres en Écriture sainte. Entre deux attaques, le Christ va raconter des paraboles d’une extrême importance et qui sont toutes des jugements de Dieu, préfigures du Jugement dernier.

La plupart de ces joutes verbales et des paraboles prononcées entre deux sont rapportées par les trois Synoptiques, Saints Matthieu, Marc et Luc. Et les trois indiquent le même contexte : le Seigneur vient de raconter la parabole des Vignerons homicides3, l’une des plus terribles de l’Évangile, puis Il a répondu brillamment à la question-piège des Pharisiens sur le tribut à César4.

« Le même jour » (Mt), les Sadducéens5 attaquent Jésus avec beaucoup de présomption, comme le fait remarquer Saint Jean Chrysostome6, car Il vient de fermer la bouche des Pharisiens. Ils constituaient une caste sacerdotale aristocratique monopolisant le pouvoir religieux juif, et qui collaborait avec le faible pouvoir royal des Hérodiens et surtout avec le vrai pouvoir politique, romain. En fait ils étaient des fonctionnaires religieux, professant une théologie pauvre et réductrice. Les trois évangélistes donnent une précision importante sur eux, sans laquelle on ne pourrait pas comprendre l’enjeu de la discussion : « ils disent qu’il n’y a pas de résurrection ». Cela peut nous surprendre, mais les grands-prêtres étaient des légalistes, favorables à une application formelle et rigoureuse de la Loi, et rejetant ce qu’on appelle « la Torah orale », c’est-à-dire la tradition.

Ils posent alors une question formelle et un peu caricaturale au Christ. La Loi disait : si un homme marié meurt sans enfant, son frère épousera sa femme pour lui susciter une postérité (Dt 25/5-6 ; Gn 38/8). Et ils inventent un « cas d’école » : dans une famille de 7 frères, le premier à se marier meurt sans descendance, et sa femme épouse successivement les 6 autres frères, toujours sans descendance ; puis elle meurt. Voilà ensuite le piège, dont le but est de nier la résurrection : « À la Résurrection » [qu’ils nient], elle sera la femme duquel, puisque tous l’auront eue ? Le Seigneur va aller droit au but, sans entrer dans un débat légaliste inutile et stérile. Il les reprend d’abord pour leur manque de foi et leur ignorance spirituelle: « Vous êtes dans l’erreur… ». Vous vous trompez complètement. Vous n’avez rien compris aux Écritures : vous ne portez qu’un regard formel et non spirituel sur les Écrits Saints que mon Père vous a révélés. « et vous ne connaissez pas la puissance de Dieu, qui peut faire revivre les morts. Après cette réponse cinglante, sans appel – jugement divin – Il explique.

Chez Saint Luc, le Christ précise : on se marie sur terre (« les enfants de ce siècle-ci prennent des femmes et des maris »). Ces mariages sont terrestres. Mais « à la Résurrection d’entre les morts, ceux qui auront été jugés dignes du siècle à venir, ne se marient pas, ils ne peuvent plus mourir (ils sont entrés dans la vie éternelle, dans la vie en Dieu), ils sont comme des anges dans le Ciel, ils sont fils de Dieu ». Le Seigneur réfute la vision charnelle qu’ils ont de la résurrection des morts et de la vie à venir dans le Royaume de Dieu. Les hommes sont devenus comme des anges, c’est-à-dire spirituels. Saint Jean Chrysostome cite Saint Paul : « la figure de ce monde passe » (1 Co 7/31). Le monde ne sera plus terrestre, mais céleste, dans la lumière incréée de Dieu.

Le Seigneur va ensuite insister sur la Résurrection des morts, qui est l’aspect essentiel de la révélation judéo-chrétienne. Et Il donne un argument qui peut nous paraître surprenant, à nous qui sommes chrétiens depuis 2000 ans, mais qui parlait aux Juifs et surtout aux grands-prêtres, chefs réels du Sanhédrin et successeurs historiques du grand-prêtre Aaron. Il cite Dieu, son Père, qui a dit « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » (Ex 3/6). Or, lorsque Dieu Se révéla ainsi à Moïse au 13è siècle avant J-C, ces trois patriarches étaient morts depuis longtemps, depuis des siècles, comme le souligne Saint Hilaire de Poitiers (« alors ces saints patriarches reposaient depuis longtemps »)7.

Si Dieu Se nomme Lui-même le Dieu de ces trois personnes, c’est qu’elles sont vivantes devant Luiet non pas des souvenirs appartenant à l’histoire. Comme le dit Saint Jean Chrysostome : « Dieu ne peut être le Dieu de ceux qui ne sont plus et qui, étant dans le néant, ne ressusciteront jamais [comme le pensent les Sadducéens]. Car Il ne dit pas : J’étais le Dieu de … mais Je suis le Dieu de ..., c’est-à-dire de ceux qui sont encore, qui vivent ». Et le Christ commente ainsi la parole de son Père céleste : « Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ».

Le Seigneur est très concret dans ses démonstrations. Il ne fait jamais de théologie abstraite : Il parle toujours au cœur des hommes. Il a  clos la bouche de ses contradicteurs qui ne savent plus quoi dire et s’en vont. Tandis que « la foule était frappée de son enseignement ». Les Sadducéens ne L’écouteront pas : ils Le condamneront à mort quelques jours plus tard et Le feront torturer et tuer par les Romains. Mais ce clergé disparaîtra à jamais : la prêtrise juive disparaîtra avec la ruine du Temple en 70 après J-C8, car ils n’étaient plus dignes d’être prêtres. Ils seront remplacés par les prêtres chrétiens.

Le premier enseignement important de cet Évangile est que le Christ nous révèle ce qu’est la vie « du siècle à venir »9, c’est-à-dire la vie dans le Royaume de Dieu, où la mort aura définitivement disparu, et où nous serons « comme des anges », c’est-à-dire intimes et proches de Dieu [Dieu est esprit, et les anges sont des esprits célestes] mais avec un corps et une âme déifiés, car l’homme n’a pas une nature angélique, ni le même destin que les anges.

Il y a néanmoins deux autres enseignements, qui ont trait au mariage (terrestre), bien que ce ne fût pas réellement le sujet de la discussion.

Le Christ rappelle à ses contradicteurs juifs qu’il faut lire l’Écriture d’une façon spirituelle et non formelle. La prescription que Dieu avait donnée à Moïse en Dt 25/5-6 était liée au destin spirituel d’Israël, qui était d’engendrer le Messie, sinon du moins y coopérer. C’était un devoir sacré. Et lorsque la « chaîne » vivante s’interrompait en raison de la stérilité ou de la mort, il fallait pallier cette déficience. Souvenons-nous de l’immense tristesse de Joachim et Anne qui étaient affligés de leur stérilité parce qu’ils ne pouvaient pas être agréables à Dieu, coopérer à l’incarnation du Verbe. C’était la sublime mission d’Israël. Or, lorsque les Sadducéens viennent « attaquer » Jésus sur ce sujet, le Messie était là devant eux, ce qui signifiait que la prescription donnée à Moïse n’avait plus de raison d’être : elle était accomplie. Mais, au lieu de s’attacher à l’esprit, ils s’attachaient à la forme. La reprise du Christ vaut aussi pour nous les Chrétiens, car nous reproduisons souvent les péchés d’Israël.

Et enfin, le Christ nous donne aussi un enseignement important sur le mariage. Le mariage, qui est exclusivement l’union amoureuse et sacrée d’un homme et d’une femme, est probablement la plus haute forme d’amour qui existe sur terre, parce qu’elle est la seule à concerner le corps – la vie physique et charnelle – l’âme psychique – les sentiments amoureux – et la vie spirituelle. Mais le mariage terrestre n’est ni absolu, ni éternel, comme le dit clairement le Christ. Et il n’est pas non plus un mariage « unique ». Nous le voyons dans la prescription donnée par Moïse. Cela vaut aussi pour le remariage des veufs et des veuves, ainsi que pour tous les cas où un mariage se révèle impossible ou un échec10 (le Christ Lui-même donne une règle de séparation en Mt 5/31 et 19/31). En faire un absolu, comme le font certaines confessions chrétiennes du 2è millénaire est une erreur dangereuse et contre-productive, car elle peut fausser la perspective du mariage chrétien et en éloigner des personnes de bonne volonté. Le véritable mariage éternel et unique, est celui de l’Homme avec Dieu, mariage spirituel. Saint Paul l’exprime bien lorsqu’il s’adresse aux Corinthiens en leur disant : « je vous ai fiancés à un seul Époux pour vous présenter au Christ comme une vierge pure » (2 Co 11/2). Et dans son Épître aux Éphésiens, il montre que le mariage terrestre est une image prophétique du mariage entre le Christ et l’Église (« ce mystère est grand par rapport au Christ et à l’Église » Éph 5/32).

Ne faisons pas comme les Sadducéens : ne confondons pas la vie terrestre dans le monde déchu et la vie éternelle dans le Royaume de Dieu.

Père Noël TANAZACQ. Paris

Notes :

1. C’est-à-dire dans l’enceinte du Temple, lieu de prière, d’enseignement et de rencontre, le plus sacré de Jérusalem.
2. La loi de Moïse, la Torah, est le « Pentateuque » des Chrétiens, dont le texte « canonique » fut proclamé par Esdras, au retour de l’exil, vers 400 av. J-C. Elle est complétée par les Prophètes, qui annoncent clairement la venue du Messie. Quant aux Psaumes et aux autres textes poétiques, ils étaient surtout utilisés pour le Culte du Temple. C’est, à quelques variantes près, notre « Ancien Testament ».
3. Cf. Apostolian° 28-29 de juillet-août 2010. Saint Matthieu rapporte en plus la parabole du Banquet céleste, dans sa version « dure », avec deux jugements, un collectif et l’autre personnel.
4. Cf. Apostolian° 163 d’octobre 2021. 
5. « Saduccéen »vient de Sadoq, qui fut établi par Salomon à la tête des prêtres de Jérusalem, après la construction du 1er Temple (10e s. av. J-C). Ce sont des familles riches et puissantes, assez fortement hellénisées, regroupant les grands-prêtres et les prêtres de haut rang.
6Commentaire sur l’Évangile selon Saint Matthieu,homélie n° 7, p. 428-430, Éd. Artège.
7Sur Matthieu, II, p. 159. Sources chrétiennes n° 258.
8. Àla fin de la 1re guerre juive, que les Juifs perdront : le temple sera détruit, les sacrifices et le culte disparaîtront, et le clergéavec. Le Temple avait été construit pour accueillir le Messie : comme les gardiens du Temple ont rejeté Jésus, ce temple était devenu inutile, de même que son clergé.
9. Cela correspond au texte grec. L’expression sera reprise dans le Symbole de foi de Nicée-Constantinople.
10. Sans parler des innombrables mariages forcés, imposés par les parents ou la famille, fondés sur l’intérêt, depuis 2000 ans, mais que toutes les Églises ont bénis…

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