Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
La période de la fin de l’année a une signification mystérieuse du point de vue chrétien, à travers la fête de la Nativité de notre Seigneur Jésus Christ. Pour ce moment important de l’histoire du salut des hommes, les chrétiens préparent leurs corps et leurs âmes, en les purifiant par la période de carême qui prépare à la Fête de la Nativité du Seigneur, mais ils jouissent aussi des chants de l’Église et des chants traditionnels, qui leur apportent, encore et encore, la bonne nouvelle venant de l’ange, celle « qu’il vous est né aujourd’hui un Sauveur » (Luc 2, 11).
Sur les chants de l’église et sur les chants traditionnels de Noël, sur les traditions spécifiques à cette fête royale, nous nous sommes entretenus avec Adrian Sîrbu, le fondateur et le chef du chœur Byzantion
Nous nous trouvons au début du carême de la Nativité du Seigneur, et les chants de l’église nous introduisent petit à petit dans l’atmosphère de joie de la fête de l’Incarnation du Fils de Dieu. À côté de ces chants de l’église, nous avons aussi les chants traditionnels, qui par leur message ont cette composante du témoignage. Mais que signifie un chant traditionnel de Noël ?
Aux origines, colinda (chant traditionnel de Noël) est une coutume archaïque, agraire par excellence, qui est beaucoup plus ancienne que le christianisme, comme le soutient également le chercheur Ovidiu Trifan. Elle représente un ensemble de rituels et de manifestations présentes dans la vie de peuples européens pendant les fêtes d’hiver. Ayant un caractère augural, les rituels avaient la vocation de mettre en valeur la force magique de la parole et des gestes. Ainsi, ceux qui allaient de maison en maison pour chanter les « colinde » étaient considérés comme porteurs et transmetteurs de forces magiques, actives seulement durant ce temps sacré. Avec l’instauration du chant traditionnel qui annonce la Nativité du Seigneur, les chanteurs sont aussi considérés comme des théophores (“porteurs de Dieu”) : “Voici que viennent ceux qui chantent les « colinde » et vous apportent Dieu, Dieu véritable, soleil aux rayons pleins de lumière” (fragment d’une « colinda » roumaine très connue). Dans la tradition de la poésie populaire roumaine, la « colinda » représente la catégorie la plus vaste et la plus diversifiée de textes, comme le démontre aussi la chercheure Monica Brătulescu dans l’impressionnant ouvrage Colinda românească – La colinda roumaine.
La « colinda » (ou corinda, colindra, colindecul) dérive du latin calendae, par lequel les Romains désignaient les premiers jours de chaque mois de l’année. Calendae Ianuarii, qui marquaient aussi le début de la nouvelle année administrative, étaient célébrées chez les Romains d’une façon particulièrement festive : on pratiquait des divinations, des vœux de santé et d’abondance, on échangeait des cadeaux etc. Les calendes étaient aussi vouées à clore tout un cycle de fêtes gréco-romaines et orientales, parmi lesquelles Dies Natalis Solis invicti jouent un rôle spécial. Cette fête devient officielle au IIIe siècle, le 25 décembre de chaque année, étant dédiée à Aurélien, “le soleil invincible”. Le cycle chrétien des fêtes d’hiver vient se superposer sur cette fête païenne, après que, jusqu’au IVe siècle, la Nativité du Seigneur était célébrée le même jour que la Théophanie (le Baptême du Seigneur), le 6 janvier. Le Christ est donc le Roi des rois, la Loi nouvelle, et la vieille coutume païenne consacrée au soleil invincible est maintenant remplacée par celle de la célébration de la Nativité du Christ, “Soleil de Justice”. C’est ce qui explique la présence d’un puissant substrat païen dans les « colinde » ou chants de Noël archaïques, et le chant de Noël chrétien semble puissamment infusé par des thématiques archaïques, préchrétiennes.
Par conséquent, il est important de faire une distinction claire – tracée aussi par Mircea Eliade – entre la colinda préchrétienne, une création populaire, utilisée à des occasions diverses le long de l’année et traitant de thématiques diverses, et la « colinda » religieuse (le chant de l’étoile) qui se caractérise par des textes portant directement ou indirectement sur la Nativité du Seigneur. Ce qui est fascinant, c’est le phénomène de fusion, comme une synthèse géniale du peuple roumain, entre les thèmes liés à la Nativité du Seigneur et les thèmes laïcs, archaïques. Dans la « colinda Plecat-or, plecat » – Partis sont-ils, partis, par exemple, les chanteurs rencontrent la Mère de Dieu qui, au comble du chagrin, leur demande s’ils ont vu son Fils qui s’est perdu. Les chanteurs lui demandent de quoi a l’air ce Fils, et la description n’est pas celle d’un enfant né dans la crèche, mais celle d’un adulte (renvoyant très probablement au Christ crucifié), conformément aux vers de la création populaire « Miorița » – La petite brebis : “Son visage, la mousse du lait. Ses sourcils, le plumage du corbeau. Ses yeux, la mûre des champs”.
La chercheure Monica Brătulescu identifie, dans son ample étude sur les colinde roumaines, plus de 210 thématiques différentes qui rendent témoignage de cette brillante synthèse entre le sacré, l’archétypal et l’ancestral dans la création populaire roumaine. Comme on peut l’observer aussi dans le travail de George Breazul, Colinde, le répertoire traditionnel des coutumes roumaines d’hiver comprend les colinde de la Veille de Noël, les « colinde » de Noël, les « colinde » de la Nouvelle Année, les chants de l’étoile, le chant de Bethléem ou chant d’Hérode (vicleimul – irozii), le « pluguşor », la « sorcova », la « vasilca », la « boboteaza », la « salcia », le « lăzărel » (toutes des coutumes traditionnelles roumaines pendant les fêtes d’hiver) mais aussi des jeux de masques, des danses, du théâtre populaire et religieux, etc. On aussi doit mentionner ici l’existence de colinde à d’autres occasions que les fêtes d’hiver. Par exemple, le répertoire populaire comprend aussi des « colinde » pour la fête des Rameaux ou de Pâques, mais aussi pour les fêtes de certains saints, comme par exemple le Saint Apôtre André.
L’hymnographie dédiée à la Nativité du Seigneur, synthèse de révélation et génie des Saints Pères hymnographes
Nous avons, nous les Roumains en général, et peut-être surtout les interprètes mais aussi le clergé (les chantres faisant eux aussi partie du clergé inférieur) l’immense responsabilité de découvrir, préserver et promouvoir de manière intacte ce trésor immense, riche et complexe des créations populaires et artistiques, que nous pouvons diviser en trois catégories distinctes : la création hymnographique exprimée à travers la musique byzantine, la colinda chrétienne et, de façon aussi importante, la colinda préchrétienne.
Si dans le cas des colinde, cette période est riche en manifestations diverses presque dans toutes les églises, c’est peut-être une occasion de signaler ici la nécessité de (r)amener d’autant plus au premier plan la beauté et le génie des Saints Pères hymnographes. Merveilleux et sublimes sont ces chants qu’il faudrait entendre plus souvent, non seulement dans les concerts de colinde, mais aussi dans nos maisons : “La Vierge aujourd’hui met au monde l’Éternel, et la terre offre une grotte à l’Inaccessible. Les anges et les pasteurs Le louent, et les Mages avec l’étoile s’avancent. Car Il est né pour nous, Petit Enfant, Dieu éternel.” La musique byzantine est née à Noël, affirme le fameux professeur Grigorios Stathis, lorsque les anges et les hommes ont uni leurs pensées et des cieux a résonné le chant “Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre, aux hommes bonne volonté !”. La musique byzantine et l’hymnographie arrivent à exprimer, par le logos et le melos, l’essence de cette fête : “Mystère étrange et merveilleux ; le ciel, c’est la grotte, le trône des chérubins, c’est la Vierge, la crèche est une limite où repose l’Illimité, le Christ Dieu. Par nos hymnes et par nos chants, magnifions-Le”. La poésie hymnographique nous montre que le Christ naît aujourd’hui (gr. simeron, lat. hodie), non seulement en tant qu’événement historique mais comme un mystère de l’union permanente du Créateur avec Sa création : “Aujourd’hui naît de la Vierge Celui qui a étendu la terre sur les eaux”. La poésie hymnographique est un chant et une catéchèse, un émerveillement de l’humanité devant le miracle divin : “Celui qui est illimité, comment a-t-Il pu tenir dans le sein ? Celui qui est dans le sein du Père, comment se tient-il dans les bras d’une Mère ?” Par l’hymnographie, nous parlons avec l’hymnographe à la Mère de Dieu elle-même : “Pourquoi tu t’émerveilles, Marie ? Pourquoi tu as peur ?” Et elle nous répond, en montrant sa nature humaine : “Je m’émerveille car j’ai engendré dans le temps le Fils intemporel !”.
Vous voyez la colinda comme une expression d’une belle liaison entre l’Église et les traditions des différents peuples ?
Sans doute. Pour moi, la période des fêtes ne peut pas être mieux et plus convenablement accueillie que par l’église (comme lieu de culte) et l’Église (comme communauté unie autour de l’Enfant Jésus Christ). À partir des “pițarăi” (jeunes adultes qui vont chanter les colinde) jusqu’aux vieillards du village, à partir des cris des groupes de jeunes hommes du Maramures jusqu’aux monodies remplies de sève modale des îles grecques, à partir des siffleurs de l’Ardeal jusqu’aux harmonies chantées avec passion dans le monde slave, tous trouvent dans l’église l’entrée accueillante de la maison de l’hôte, et le foyer qui accueille et renouvelle leur chant depuis des siècles. Les chanteurs de colinde sont semblables aux anges qui annoncent la joie de la Nativité du Seigneur – selon l’expression suggestive de notre Père le Patriarche Daniel dans une préface –, et cette annonce transcende les frontières des nations et unit les peuples orthodoxes en une seule pensée et un seul cri de joie : “Aujourd’hui, le Christ est né, le Messie au lumineux visage, glorifiez-Le, chantez et réjouissez-vous !”. Mais, tout comme les anges sont différents, aussi bien les peuples divers apportent à l’Enfant Jésus leurs dons sur divers modes et dans des traditions diverses. Mais ce qui nous unit mystiquement, c’est cette entrée de l’église, qui, maintenant en période de fêtes, penche ses clochers pour devenir une grotte chaleureuse et accueillante : “Qu’allons-nous T’apporter, ô Christ, car Tu T’es montré sur terre comme un homme, pour nous ? Les anges, le chant. Les cieux, l’étoile. Les mages, les dons. Les bergers, le miracle. La terre, la grotte. Et nous, une Mère Vierge”.
Que signifie pour un spécialiste dans la musique byzantine la colinda ? Je ne pense pas à la manière de l’interpréter – si ça représente un défi ou non, mais je me demande comment le professeur de musique regarde-t-il et perçoit-il la colinda ?
La colinda et la belle coutume d’aller de maison en maison en la chantant ont mis pour moi une empreinte puissante sur cette période des fêtes d’hiver depuis que j’étais un jeune séminariste à Iași et j’allais avec des amis proches (membres fondateurs du Chœur Byzantion d’aujourd’hui) dans les différents monastères et paroisses où nous étions reçus avec beaucoup de joie et d’impatience. Comme maintenant, nous portions le costume traditionnel et nous avions des instruments de percussion et des clochettes, étant préparés à chanter les plus belles et appréciées des colinde. D’une année à l’autre, nous enrichissions notre répertoire de nouvelles découvertes. Nous avons donné toujours une place de choix aux colinde monodiques. Nous étions toujours inspirés par des collections signées par Breazul, Comișel, Gh. Pop, Brediceanu ou Bocșa, mais les variantes retravaillées nous tenaient aussi à cœur, surtout lorsque certains d’entre nous sommes devenus des étudiants du conservatoire de Iași. La période où j’étais étudiant dans cette prestigieuse école de musique fut pour moi une occasion d’explorer de nouveaux horizons et de vivre de nouvelles expériences, en tant que membre du chœur Cantores Amicitiae (dirigé par le prof. univ. dr. Nicolae Gâscă, après le maître Lykourgos Angelopoulos qui m’a inspiré dans la formation de la gestuelle de chef de chœur) mais surtout en tant que chef de chœur, pendant 7 ans, dans le chœur Nicolaus de la paroisse “St. Nicolas – Socola” avec lequel j’ai aussi enregistré deux albums de colinde, où nous avons abordé des créations artistiques mais aussi des monodies consacrées.
Il y a quelque chose de très puissant dans la colinda, un sens du sacré qui prend sa force dans la paix, le calme et le cadre intime d’une famille qui se réunit.
La colinda pour moi représente le moment longtemps attendu dans l’année lorsque je franchis, à côté de mes chers amis du Chœur Byzantion, le seuil de la maison de beaucoup de gens qui me sont chers. Notre colinda, comme dans le cas de tous les chanteurs de colinde je crois, est attendue comme un moment de joie spéciale, je dirais comme une “bénédiction de la maison” à travers l’annonce de la Nativité et le chant. Il y a quelque chose de très puissant dans la colinda, quelque chose de sacré. Un sens du sacré qui prend sa force dans la paix, le calme et le cadre intime d’une famille qui se réunit.
Dans les cages d’escalier des immeubles ou l’entrée des maisons, notre colinda prend de la force, de la vigueur, les voix se métamorphosent comme dans les cris des groupes de jeunes du village, les rythmes folkloriques pulsent dans la voix et dans le corps. L’enthousiasme déborde, nourri en permanence par les visages remplis de lumière de nos hôtes : “Ma chérie est une belle hôtesse, elle a paré sa maison en beauté. Petite colinda espiègle, elle regarde le garde-manger. Si elle voit une petite saucisse, elle l’attrape sans tarder !”. La fatigue de la route jusque tard dans la nuit éteint les voix fatiguées, apaise les esprits et là commence à surgir la colinda calme, chaleureuse, qui murmure à la veille de Noël le chant du petit berceau de la crèche : “Dans un petit berceau repose l’enfant de la Mère, enveloppé de langes. Un doux rayon de soleil baigne le visage du Seigneur”.
L’accueil dans les maisons représente souvent un autre rituel, un calme, un arrêt du temps, le fait de retrouver des souvenirs communs. La table est remplie de mets, pendant que l’hôte se souvient de quelque colinda chantée l’année précédente. Un nouveau répertoire surgit, ranimé par les souvenirs, dans l’atmosphère joyeuse de la fête : “Et nous reviendrons l’année prochaine, mais seulement si vous nous conviez. Et nous reviendrons l’année prochaine, pourvu qu’on ait la santé !”
Le chœur Byzantion a tenu de nombreuses fois des concerts à l’étranger. Comment avez-vous senti la colinda en dehors des frontières du pays et dans des églises qui n’ont pas forcément les mêmes spécificités que les églises orthodoxes (dans l’architecture et l’iconographie) ? Comment sentez-vous les Roumains qui habitent à l’étranger lorsqu’ils viennent écouter un concert de colinde ?
Chaque fois que notre colinda résonne dans les contrées éloignées, loin de la maison et du pays, c’est une occasion longtemps attendue par les Roumains qui, pendant la durée du concert, sont connectés de tout leur être de chrétiens et de Roumains aux souvenirs de la maison, de leur lieu natal. Ce que j’ai observé, c’est qu’en général, la colinda fait surgir dans l’âme du Roumain un sentiment intense d’appartenance spirituelle. C’est la foi qui, en fin de compte, donne du sens non seulement à la fête mais à tous les efforts, les peines et les sacrifices. L’église comme lieu de culte devient plus puissamment le berceau et le foyer qui permet aux âmes éloignées d’entrer dans la chaleur d’un “chez-soi” collectif, un foyer de tous les Roumains, une crèche chaleureuse que seule l’ambiance calme de la fête de la Nativité peut installer dans l’âme.
Quant au chant dans les églises occidentales sans spécificité orthodoxe (architecturale ou iconographique), je peux affirmer que cela a toujours représenté une expérience spéciale. D’un côté, on est souvent impressionné par la grandeur, la magnificence, l’élégance des cathédrales imposantes. On ne peut qu’avoir un sentiment de profonde admiration et révérence, non seulement envers le génie des architectes, mais aussi envers la vie chrétienne intense des communautés laïques ou monacales occidentales de jadis. D’un autre côté, la rencontre entre le chant des colinde roumaines et le public occidental fait surgir un enthousiasme, une fascination mais aussi un sentiment d’intimité, de prière ancestrale, qui détermine chaque homme, qu’il soit chrétien ou athée, à se connecter d’une manière instinctive à un sens du sacré qui l’appelle, et auquel, pourquoi pas, il pourra répondre. L’éclat de joie après le concert trahit la vibration d’un état, d’un esprit, plus important que les applaudissements et les ovations.
Interview réalisée par p. Alexandru Ojică
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