Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
Le culte des défunts fait partie de la vie d’un chrétien. En revanche, c’est souvent avec timidité ou avec une certaine retenue que nous parlons du cimetière. Le Saint Synode de l’Église Orthodoxe Roumaine a établi pour cette année de discuter et mettre en évidence les cimetières, leur importance liturgique et culturelle. Sur les cimetières, la vie et l’assomption dans le Seigneur nous avons parlé avec Monsieur Costion Nicolescu, théologien et ethnologue, chercheur au Musée du Paysan Roumain de Bucarest.
« La mort est un phénomène simple dans la nature, seulement les hommes le rendent effrayant. » C’est par ces paroles que commençait Marin Preda dans son dernier roman, Le plus aimé des mortels. En extrapolant, nous pourrions dire que le cimetière est un endroit simple dans la nature, seulement les hommes le rendent effrayant. À quel point un cimetière est simple, à quel point il est effrayant ?
Ce n’est pas tellement simple dans la nature, non plus. Nous voyons cela seulement si nous regardons les yeux d’un être vivant menacé de la mort, qu’il pressent. Même les plantes semblent souffrir devant les dangers de la destruction. Le cimetière est un endroit aussi simple ou aussi effrayant que la localité ou la communauté à côté de laquelle il se trouve. Le cimetière parle de l’esprit du village ou de la ville en question. Le chercheur Ion Ghinoiu montrait dans une étude comment la carte des cimetières copie pour une large part la carte des villages en question. C’est une chose naturelle, évidemment. Avec la naissance d’une localité, par la venue des premières familles et la construction des premières maisons, est né aussi le cimetière, avec les tombes des familles respectives. Ensuite, à mesure que d’autres familles ont rejoint le village, d’une manière ou d’une autre, leurs tombes se sont placées en continuité de celles qui y étaient déjà.
Les premiers cimetières se sont développés autour des églises. L’église, le plus souvent, était située au centre du village. Parfois sur une colline plus haute, mais par la hauteur du lieu, elle restait toujours au centre. D’une certaine façon, le cimetière constituait un village plus proche de l’église que le village des vivants.
Dans les vieux villages, le cimetière était un jardin plus ou moins soigné. C’était une incarnation de la prière de l’office des funérailles et des pannychides, lorsque nous demandons pour celui qui nous a quitté un «lieu lumineux, lieu de verdure, lieu de repos». Un jardin dont le Jardinier est Jésus Lui-même ! Ce qui pour Marie Madeleine était une confusion (cf. Jean 20, 15), pour nous c’est maintenant une réalité. Jardinier des âmes en attente ! Le cimetière était vu par les Roumains non seulement comme un lieu d’ensevelissement au départ de cette vie, mais aussi comme lieu de résurrection pour l’autre vie.
J’ai vu dans des villages du Maramures, où la maison paroissiale se trouvait à côté de l’église, et l’église était entourée du cimetière, les enfants du prêtre et leurs amis jouer de la manière la plus naturelle autour des tombes, y compris au coucher du soleil, sans que cela leur fasse peur. Les croix étaient simples, en bois. Elles vivaient aussi leur vie, après elles se penchaient, s’enfonçaient dans la terre, pour finalement tomber, être déposées dans un coin du cimetière, et en fin de compte brûlées. Il y a des régions où anciennement les croix étaient en pierre. Elles avaient un charme particulier, d’une simplicité remplie d’esprit. Avec le temps elles aussi s’enfonçaient de plus en plus dans la terre, se penchaient, et finissaient par être de simples repères pour le fait que là repose un chrétien. Celui qui entre dans un cimetière où se trouvent encore de telles croix ne peut pas ne pas être envahi d’un sentiment de joie spontanée et d’émotion, en les voyant. Les vieilles croix renvoient à un anonymat absolu. Les croix d’aujourd’hui rendent les noms plus visibles, mais pour un passant quelconque les personnes ensevelies restent toujours anonymes. Les noms ne disent rien à la plupart de ceux qui passent par là, et avec le temps sur certaines croix les noms deviennent illisibles. Les photos sur les croix cherchent parfois à dissiper cet anonymat. Heureusement, pour le Seigneur chacun est une personne concrète, connue et aimée, d’après son nom donné au saint baptême.
Le long de l’histoire, les cimetières ont suivi l’évolution technologique de la construction des maisons, accueillant toute sorte de travaux, plus simples ou plus complexes. Les croix étaient en bois seulement en première instance, lors des funérailles, et ensuite doublées par d’autres en ciment, en pierre ou en marbre, en fer, certes, dans l’espoir d’une plus grande durabilité. Dans le temps, les cimetières ont imité dans la déspiritualisation les localités auxquelles ils appartiennent. Les cimetières plus nouveaux dans nos villes d’aujourd’hui rappellent les quartiers de block-haus qui sont apparus dans la deuxième moitié du siècle dernier. Souvent ils ont très peu d’espace et un caractère extrêmement hétéroclite.
Un cimetière peut être assez amical et apaisant ou au contraire, un lieu froid, repoussant, effrayant. Ceci dépend de la manière dont la communauté en question vit son lien avec Dieu, de sa foi en la résurrection et en l’existence d’une autre vie. Ce lien fait qu’entre une localité et son cimetière il y ait une continuité ou une rupture.
En écrivant sur le cimetière de son village, Ioan Alexandru a intitulé son poème Comme au paradis, ce qui en dit long de la représentation du cimetière dans l’esprit du paysan roumain. « Le cimetière chez nous est un lopin de terre commun / entouré d’une clôture en pierre,/ pour que la terre restée vivante ne soit pas contaminée / en liberté. (...) En marge poussent des pruniers et des pommiers / et on voit des fleurs odorantes,/ leur odeur pénètre dans les choses / très loin. » C’est à la fois une séparation (la clôture en pierre) et passage en douceur (du verger personnel dans le verger du cimetière, communautaire). Dans le même poème, le poète se réfère à juste titre à la continuité entretenue mystiquement par le cimetière avec ce lieu, aussi bien au niveau familial qu’au niveau communautaire : « lorsque le cimetière et rempli à ras bord d’un bout / à l’autre, tout est repris depuis le début ; la tombe de mon grand-père sur la tombe de mon arrière-grand-père,// mon père sur mon grand-père / et ainsi de suite le vieux maire / sur le très vieux maire – le vieux pope / sur le très vieux pope,/ le vieux village sur mon très vieux village. ». Le cimetière conserve les racines du village, il le maintient dans la tradition. Sa destruction représenterait une rapide dissolution.
L’art de vivre, l’art de mourir
Le Saint Apôtre Paul, dans son Épître aux Hébreux, rappelle la « crainte de la mort qui retenait en servitude » (Hébreux 2, 15) les hommes jusqu’à la venue du Christ Sauveur. La crainte de la mort existe dans le monde, même si l’enseignement chrétien ne parle pas de la mort, mais de l’assomption. La pandémie actuelle nous a prouvé au-delà du nécessaire à quel point nous sommes vulnérables et nous a rendus conscients de notre comportement. Comment un chrétien peut-il se rapporter à l’idée de l’assomption ? Comment peut-il faire la distinction entre la mort et l’assomption ?
On doit remarquer que l’Apôtre nous dit que ce qui nous retient dans la servitude n’est pas tant la mort, que la crainte de la mort. À l’autre extrémité de cette réception se trouve Saint François d’Assise, qui voit dans la mort corporelle une sœur pour laquelle il rend gloire à Dieu (« Laudato si’ mi’ Signore per sora nostra morte corporale » – Cantico delle Creature).
L’assomption est un nom plus doux mais aussi plus théologiquement correct, que nous donnons à la mort, nous les chrétiens. Que l’on utilise un mot ou un autre, nous comprenons la même chose, l’état de l’homme après le départ de ce monde. Avant le Christ on ne pouvait pas parler d’assomption. Le Christ a écrasé la mort par Sa mort sur la Croix. Le sommeil n’est pas cependant éternel, comme on le dit souvent (ce qui représente en quelque sorte un cliché). Car il y aura un réveil général, un réveil communautaire, à la fin des temps.
Nous parlons d’assomption à la suite de ce que le Christ a dit de la fille du chef de la synagogue : « Ne pleurez pas, elle n’est pas morte, mais elle dort. » (Luc 8, 52). C’est de l’assomption que parle aussi le Saint Apôtre Paul : « Christ est ressuscité des morts, il est les prémices de ceux qui se sont endormis. » (1 Corinthiens 15, 20). L’assomption suppose le réveil, la mort, pour le chrétien, suppose la résurrection. La résurrection comme réveil... À la fin de son Évangile, Saint Jean le Théologien dit que le Christ s’est réveillé des morts (Jean 21, 14). On s’endort dans ce monde et dans cette vie et on va se réveiller au jugement de tous dans l’autre monde (« terre nouvelle et ciel nouveau » – Apocalypse 21, 1) et dans une autre vie (« éternelle »). Éternité qui signifie en fait éternité des éternités, vie sans fin. Nous souhaitons à ceux qui sont partis d’entre nous « une mémoire éternelle ». Dans le sens de l’assomption nous faisons aussi le vœu que celui qui est parti repose en paix. Ceci signifie, en pensant à notre sommeil de cette vie, que nous lui souhaitons un sommeil tranquille, sans cauchemars.
Je pense qu’une certaine crainte de la mort est naturelle, aussi bien pour l’homme que pour tout être vivant, même pour les plantes. L’homme essaie de la dépasser. La crainte vient du fait que la mort est une chose étrangère, venue dans le monde après sa création. Elle semble représenter une perte par rapport à la vie. La crainte de la mort est plutôt une peur de l’inconnu. Cette peur peut être éteinte seulement par la foi, car sinon nous savons peu de choses de l’Écriture sur le monde de l’au-delà, et la Tradition plutôt suppose et imagine. Quand nous disons que ce monde est au fond une préparation pour le monde de l’au-delà, nous pouvons aussi croire que ce monde est une vague image du monde de l’au-delà, qu’il nous aide à apercevoir, dans son contenu spirituel, matériel-spiritualisé.
Que nous arrive-t-il pendant l’intervalle entre le jugement personnel et le jugement de tous ? Qu’en est-il de cette « assomption » des hommes ? Cela reste un mystère. Nous savons seulement que notre travail s’est achevé. Mais nous savons aussi, pourtant, que les saints semblent exclus de la règle générale, parce qu’ils ont la possibilité de continuer leur travail, assez assidu, au profit de la communauté de l’Église.
Par conséquent, nous nous rapportons à l’assomption en investissant beaucoup de foi, en essayant d’affermir notre faible espoir, en nous fondant particulièrement sur l’amour infini de Dieu, que nous ressentons à l’intérieur de nous, lorsque nous sommes sensibles et attentifs. Le père Iulian Stoicescu, mon premier père spirituel, lorsqu’on lui a demandé s’il avait peur de la mort, a répondu que non, mais qu’il n’était pas empressé non plus. Le père Dumitru Stăniloae disait qu’il était très curieux de voir comment se passent les choses, mais de même, sans s’empresser. Au fond, cela n’aurait aucun sens, la mort arrive de toute façon, et elle semble arriver toujours trop tôt.
Memento mori, dit un dicton latin. Les Pères du désert disent souvent que la pensée de la mort est celle qui a le pouvoir de nous aider beaucoup dans cette vie, par le fait que nous savons comment nous rapporter à tout ce qui est éphémère, ombre et rêve. Comment peut-on passer de l’art de mourir à l’art de vivre ?
Memento mori... Les poètes et les moines sont ceux qui pensent le plus à la mort et qui en parlent de la manière la plus naturelle et avec le plus d’implication. La pensée de la mort est incommode, désagréable ontologiquement. La raison nous parle de l’imminence de la mort, mais quelque part, dans le tréfonds de notre âme, il y a comme l’espoir d’y échapper peut-être. L’homme n’a pas été créé avec la mort, il n’a pas été fait pour mourir. Mais cela dépend comment on sent et comment on vit la pensée de la mort. Elle peut devenir une obsession, un fardeau accablant, qui bloque les ressources de l’âme et de l’esprit ; ou bien mener à un hédonisme déraisonnable. Mais elle peut aussi être une occasion de réflexion perpétuelle du sens de la vie et de la destinée de l’homme dans l’éternité. Cela dépend de la foi en la résurrection et en l’existence d’une autre vie. Nous sommes gênés par le fait que nous ne savons presque rien de la vie de l’au-delà, tout comme le fait que nous craignons les conséquences de nos actions dans cette vie. Le saut par-dessus ces considérations ne peut se faire que par la foi et l’espérance.
Le côté de l’art, aussi bien de vivre que de mourir, je pense qu’il peut être apporté par la décence de l’expression qui s’y rapporte. L’art de vivre... C’est donner décemment, se dévouer décemment, se sacrifier décemment, recevoir décemment, souffrir décemment, vivre les joies et les peines décemment, en supportant parfois avec une patience angélique. La décence signifie la juste mesure, tenir compte du fait que, comme le dit l’Ecclésiaste, il y a un temps pour chaque chose, pour chaque expression. Et il faut donner suite aux exigences de l’époque. Ce n’est pas facile. Il y a toute sorte de pièges redoutables. Pour l’art de vivre, les manques de toute sorte, matériels, spirituels, mais aussi de l’âme. Pour la mort, surtout la souffrance. Parfois une souffrance atroce. D’autres fois la perte grave de certaines facultés, avec l’installation de la vieillesse. Dieu a donné à l’homme la vieillesse comme préparation progressive pour la mort. Le Christ n’en a pas bénéficié. Au fond, en tant que fait biologique, la mort est seulement un instant, le dernier instant. Ce qui peut être pénible, c’est le chemin qui y mène. L’Église fait attention à cet état et prie toujours pour une « fin chrétienne, sans douleur, paisible, sans honte, et une bonne réponse au redoutable jugement du Christ ».
Ensuite, un écueil majeur pour l’art de vivre, mais aussi pour celui de mourir, est représenté par la nature passionnelle. Elle est très, très difficile à maîtriser. Faisant écho au dicton du memento mori on peut penser à carpe diem, qui vient de la même spiritualité latine. C’est une sagesse visant l’attention qu’il convient de donner à chaque moment de la vie, qui est un don de Dieu, et qu’il ne faut pas rater. Nous mourons à chaque instant et chaque instant pourrait se transformer en résurrection.
Lieu d’une minimale confession de foi
À Paris il arrive que les touristes cherchent les cimetières et se rendent sur les tombes de gens qu’ils n’ont jamais rencontrés dans leur vie. Mais ils les ont écoutés, ou lus, ou ils ont été influencés d’une façon ou d’une autre par la vie de celui qui y repose. Peut-être de là est aussi née la confusion entre hommage et commémoration. Quelle devrait être l’attitude d’un chrétien envers ceux qui se sont endormis ?
En général, il est bon, lorsqu’on arrive quelque part, et si on a le temps, de chercher le cimetière de l’endroit. Il vous dira quelque chose sur les gens du lieu, sur leur manière de sentir le rapport avec l’éternité. C’est ce que je fais. Je souhaiterais maintenant rappeler seulement quelques-uns de ces lieux. Tout d’abord les cimetières du village de mes grands-parents, Poiana Sibiului, dans la région de Mărginime. Je pense surtout au vieux cimetière, « sur la colline », qui entoure la première église en bois du village. Un cimetière un peu plus humble, en pente. Le nouveau, en marge du village, est plus somptueux, plus impersonnel, et ressemble à la majorité des cimetières.
Ensuite, le cimetière de Topa Mare, le village de Ioan Alexandru (qu’il appelle dans un poème « Topa Déserte »), à côté de Huedin, avec ses hordes de croix massives, en poutres, plus hautes qu’un homme. « Une croix noueuse en chêne », décrit-il une croix de ce cimetière, dans un poème (Comme au paradis). Le cimetière de Jacu Românesc (Jacu Roumain), un village entre Sighișoara et Târgu Mureș, où le merveilleux père Ilie Moldovan a organisé pendant quelques années une université d’été pour la récupération de l’identité ethnique et religieuse. Le village était désert, avec seulement cinq ou six familles qui y habitaient encore. Il était menacé de l’intégration au village Jacu Unguresc (Jacu Hongrois), qui se trouvait sur la route nationale et était encore florissant. Le cimetière était aussi abandonné, avec des croix penchées et devenues rares avec le temps, envahi par des herbes qui avaient poussé jusqu’à la taille, qu’on avait du mal à traverser. Mais il procurait un merveilleux sentiment de communication avec les anciens du village et avec Dieu. On pouvait se coucher et se perdre dans la mer d’herbes, parmi des tombes qu’on devinait à peine, les yeux rivés vers l’immensité du ciel clair, et on avait un sentiment d’universelle et définitive liberté.
Il fut un temps où j’allais souvent, en tant qu’ingénieur, « dans l’intérêt du service », à Sighișoara, et j’avais l’habitude de me promener vers le soir dans le vieux cimetière de la cité. C’était une bonne manière de s’échapper du tumulte du monde, de se calmer et se retrouver soi-même. En Bucovine il y a de vieux cimetières juifs, qui témoignent directement des temps révolus d’un épanouissement juif de plusieurs siècles sur le territoire de la Roumanie d’aujourd’hui. Une tache de couleur qui s’est perdue. Par conséquent, leurs cimetières sont de plus en plus éteints, abandonnés. J’ai surtout regardé de plus près celui qui se trouve à proximité du Monastère de Putna. Il était mystérieux et émouvant. J’ai aussi vu le cimetière arménien de Botoșani, mais son caractère identitaire est assez pâle.
Un matin, je me suis rendu avec ma fille, en passant, au Cimetière Municipal de Milan, un fabuleux musée de sculpture en plein air, où des commanditaires et des sculpteurs de talent ont donné libre voie à leur essor romantique. À Roma, toujours avec ma fille, je suis allé au Cimetière non-catholique, pour les étrangers, de Testaccio, à côté de la Pyramide de Cestius, qui est un tombeau en elle-même. Les catholiques ne voulaient pas ensevelir ceux qui n’étaient pas de leur confession dans leurs cimetières et leur ont accordé ce lieu extra muros. Parmi les tombes il y a des cyprès centenaires, sur les tombes on voit des chats blottis au soleil, comme s’ils étaient chez eux. Beaucoup de fleurs. À l’une des extrémités se trouve une sorte de pré avec des bancs, portant des petits écriteaux avec des citations célèbres. On y retrouve les noms de certaines personnalités (commençant par deux poètes anglais bien connus, John Keats et Percy Shelley), mais aussi une zone orthodoxe russe, identifiable tout de suite par les croix spécifiques, qui ont un bras incliné à la base et des inscriptions en cyrillique. Je ne dois pas oublier notre cimetière Bellu, de Bucarest, qui a aussi de très beaux endroits, chargé de beaucoup d’histoire politique et surtout culturelle. Les tombes des plus importants coryphées de la culture roumaine s’y retrouvent. Avec l’émotion afférente.
L’hommage et la commémoration devraient aller de pair. De toute façon, un chrétien dans un cimetière aura toujours dans sa pensée un « mémoire éternelle », un « que Dieu lui pardonne », un « que Dieu le fasse reposer en paix ». Si l’on tombe sur des grands noms de l’histoire, certes, on a aussi une réaction culturelle appropriée. Autrement, on lit les âges, des inscriptions de toute sorte. On compatit, parfois on s’amuse même. On apprécie des architectures et on se rappelle, éventuellement, du pauvre Ioanide, le héros du roman de George Călinescu. Les grands cimetières peuvent être des vrais musées en plein air, des témoignages culturels et spirituels incontournables. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux offrent des cartes qui permettent de trouver plus facilement ce qu’il y a de remarquable.
Il arrive parfois que, vivant à l’extérieur du pays, les Roumains soient ensevelis dans la terre du pays « d’adoption ». Que signifie le cimetière pour un roumain qui vit en dehors des frontières de la Roumanie ? A-t‑il une valeur symbolique ou seulement une valeur pratique ?
Ne vivant pas en dehors des frontières, je ne peux pas sentir ce que cela signifie. Ma fille vit en Allemagne. Le cimetière de son village, où elle finira peut-être, est petit, simple, bien rangé (comme le sont les Allemands, ordonnés et géométriques en toute chose), très propre, en marge du village, entouré par le paysage assez agréable du lieu.
La réponse dépend en partie du type de cimetière, s’il s’agit d’un cimetière ethnique, confessionnel ou si les Roumains (en parlant des orthodoxes) sont disséminés dans un cimetière du lieu, parmi des gens d’autres confessions. Par amour pour André Tarkovski je suis allé au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, à côté de Paris. Le cimetière a été fondé par l’importante émigration russe d’après la Révolution de 1917. Là se trouvent les noms les plus prestigieux donnés par les Russes à la culture universelle, dans toutes ses branches. C’est comme une île russe sur le continent français. J’ai vu des cimetières (par exemple à Rome, à Weimar) où la communauté orthodoxe a reçu une parcelle à part, dont les dimensions dépendent de son importance dans l’endroit en question.
Un Roumain de la diaspora, enseveli dans un cimetière de l’endroit où il a vécu, se trouve dans la même situation que celle où il a vécu : plus ou moins étranger, plus ou moins intégré. Certes, un cimetière ethnique, comme celui des Russes, mentionné plus haut, peut donner un sentiment de famille, de chez soi. Mais cela est, je pense, assez difficile à accomplir aujourd’hui pour les Roumains. En fin de compte, je pense que l’un des critères principaux à prendre en compte est celui de se trouver au plus près des siens, pour qu’ils puissent venir facilement sur sa tombe et faire les commémorations là-bas. Certes, il y aura probablement aussi des gens qui souhaiteront être ensevelis dans la terre de leur pays natal, être rapatriés. Très bien ! C’est un témoignage digne de louange.
La valeur pratique d’un cimetière s’entend, mais on doit aussi remarquer que le cimetière est devenu aujourd’hui aussi un lieu d’une minimale confession de foi. L’inhumation, le retour à la terre dont on a été pétri, montre qu’on garde son identité de foi dans un monde qui renvoie de plus en plus vers l’incinération. C’est de là que vient aussi une première charge symbolique.
Une plus grande valeur de symbole, pour les valeurs nationales, y compris de la foi, peuvent exister soit dans les cimetières ethniques, soit sur les tombes de gens extrêmement valeureux et connus de la nation, parsemées dans les cimetières étrangers. C’est le cas, par exemple, de la tombe de George Enescu, du célèbre cimetière du « Père Lachaise », ou de la tombe de Constantin Brâncuși, du cimetière « Montparnasse », les deux situées à Paris.
Interview réalisée par P. Alexandru Ojică
Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
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