Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
Marc 3, 28-30 – Le Blasphème Contre Le Souffle Saint
Si l’on se réfère au calendrier de récitation dont Bernard Frinking1 fait l’hypothèse – fructueuse –, et qu’on fait l’expérience deréciter vraiment une ‘bouchée’ chaque jour, ayant commencé à Pâques, le jour de la Résurrection du Christ, le 16 du 1er mois ou mois de Nisan, on arrive maintenant – après cinquante jours de récitation – àla Pentecôte.La Pentecôte tombe le 6 du 3e mois ou mois de Sivan.
Reprenons :
Le 5 de Sivan, on récitait Marc 3, 22-23 – Les scribes venus exprès de Jérusalem disaient : c’est par le prince des démons qu’il jette dehors les démons, et c’est par l’énoncé des deux premières ‘comparaisons’ ou ’paraboles’ – difficiles à comprendre –, que le Christ va leur répondre, tout en enseignant ses disciples :
Le 6, jourmêmede Shâvouot/Pentecôte, ainsi que le lendemain, 7, Jésusdonne un enseignement essentiel sous cette forme énigmatique :
- Le 6 :la division provoque la perte des royaumes et des communautés, appelées ici ‘maisons’ : – Restez unis. Satan lui ne se divise pas et perdure, mais, soyez confiants2 :
- Le 7 :‘Quelqu’un’ attache le Fort (Satan) et pille son Royaume : – Ayez foi en ce plus Fort que le Fort, capable d’apporter la délivrance aux esclaves du Fort et de les soustraire à la division.3
Or, cemêmejour de Shâvouot, les juifs dans leur liturgie font mémoire du don de la Torâsur le mont Sinaï. Ce jour-là, Dieu leur a donné la Loi pour qu’ils sachent comment se conduire, à savoir : renonçant à toute idolâtrie, faire du Dieu Unique le centre de leur vie et Le craindre, ce qui signifie : Le révérer, et se soumettre :respecter ses commandements. Plus tard seront formulés les commandements d’avoir à L’aimer (Deutéronome 6, 5) et à aimer le prochain (Lévitique19, 18).
Ce même jour de Shâvouot Jésus commence à énoncer la Loi nouvelle, celle du Royaume qu’il est venu instituer : on peut donc constater que pour des dates précises, il y a correspondance de thèmes entre le calendrier de la Synagogue, et le calendrier de récitation de Marc, et selon Bernard Frinking, ce n’est pas fortuit, mais calculé et voulu, car l’Évangile s’inscrit dans l’existant : Jésus est venu non pour abolir, mais pour accomplir. (Matthieu 5, 17)
En repérant ainsi les liens entre l’Ancien Testament et le Nouveau – selon nos capacités – nous progressons dans notre réception du message évangélique.
Aujourd’hui, nous allons étudier la bouchée suivante, celle du 8 Sivan : Marc 3, 28-30,
28. Amen je dis à vous …
1èreoccurrence de cette expression chez Marc ; on l’appelle une « formule ».
Au verset 23, Jésus annonçait qu’il parlait en comparaison4, maintenant il annonce qu’il parle ‘dans l’Amen’, ‘En Vérité’. Ce qui signifie : selon la vérité de Dieu, dans la présence du Père.
‘Amen’ est un mot hébraïque, de la racine < ‘mn >, employé par Jésus lui-même, bien qu’il parlâtgénéralementaraméen. Pour partie le motaétégardéen hébreu dans la version grecque des Évangiles. Luc pourtant le traduit tout de suite par ‘En vérité’, et beaucoup de traductions en français traduisent ‘Amen’ par ‘En Vérité’. Car c’est le sens de ‘Amen’.
Comme réponse liturgique, il signifie :‘Ainsi soit-il’ / oui / j’adhère / je ratifie / je m’engage’.
Mais quand Jésus commence ses discours par ‘Amen’, il se réfère à l’emploi de ce mot dans la Bible : Isaïe (Is 65, 16) dit : Quiconque se bénira sur terre, se bénira par le Dieu de l’Amen, quiconque jurera sur la terre, jurera par le Dieu de l’Amen (Traduction TOB 2011), et la Septante5 a traduit : ‘par le Dieu de Vérité’ : … Se bénira par le Dieu de Vérité, … jurera par le Dieu de Vérité. Dieu est dit ‘Dieu de Vérité’ parce qu’il est fidèle : il n’y a pas de tromperie en Dieu, ni de cœur double, ni de ‘oui, mais’. Dieu est vrai, il est fidèle à ses promesses, fidèle à l’Alliance.
Jésusest d’autant plus à même d’employer ce terme de ‘En Vérité’, qu’il est lui-même la promesse de Dieu :il est l’envoyé promis pour le salut du genre humain. Il ne ment pas, bien au contraire :étant lui-même la Parole incarnée, il ‘fait’ sa Parole, il la réalise. Il dit, et il fait. Il est la Parole agissante de Dieu. Jusqu’à la mort sur la croix. Jésus dit toujours‘oui/amen’ à Dieu, et réalise toutes ses promesses. Saint Paul traduit carrément l’Amen en Oui, et écrit (2 Co 1, 19-20) : … Le Fils de Dieu, le Christ Jésus, que nous avons proclamé chez vous (…) n’a pas été « Oui » et « Non », mais il n’a jamaisétéque « Oui » ! Et toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur OUI dans sa personne. Aussi est-ce par lui que nous disons AMEN à Dieu pour sa gloire.
Quand Jésus commence par : En Vérité, je vous le dis, ou Amen, je dis à vous, c’est qu’il transmet la Vérité de Dieu, un message qu’il reçoit du Père. Dans chaque circonstance, Jésus est à l’écoute du Père et transmet son message. Ce n’est pas un message humain, c’est la volonté du Père qui nous est communiquée par le Verbe de Dieu.
Quelle puissance !6
Nous est alors délivré le message qui vient du Père : il parle de remise des dettes, et de la dette impossible à effacer.
… tout sera remis aux fils des hommes les fautes et les blasphèmes …
… tout sera remis … le verbe remettre en grec est ‘aphièmi’, on peut le traduire aussi par pardonner. Il signifie aussi : laisser partir, lâcher.
… fils des hommes, est un hébraïsme pour dire ‘tous les hommes’.
… les fautes …‘amartia’, qu’on peut traduire aussi par péché. Ces péchés ou fautes sont les manquements aux commandements, pour lesquels il est prévu des rites d’expiation.
… et les blasphèmes–‘blasphèmia.
Voilà pour le vocabulaire.
Qu’est-ce que cela nous rappelle ?
- Nous avons déjà rencontré le Paralytique (Marc 2, 1-12), auquel Jésus dit :Enfant, tes péchés sont remis. Exactement les mêmes mots, etdéjàla même réaction de la part des scribes7 : l’opposition, l’accusation, la non-foi. Pourquoi parle-t-il ainsi celui-là, il blasphème. Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul.
- Le Notre Père en Matthieu (6, 9-13 et 14-15)
Remets-nous nos dettes comme nous remettons – Ici, ce n’est pas amartia, mais opheilè :une dette d’argent pour laquelle l’emprunteur a laissé son manteau en gage (Deutéronome 24, 10) :et il en a besoin dès ce soir : le manteau en effet, sertaussi de couverture quand on est pauvre. Il y a urgence à ce que la dette soit remise !Pour remettre c’est bien ‘aphièmi’.
Et en Mt 6, 14-15 – Car si vous remettez aux hommes leurs fautes, il y a ‘paraptôma‘, qui apparaît donc comme un synonyme de ‘amartia’. Et toujours, ‘aphièmi’ pour remettre.
Aphièmi – remettre, nous entraîne plus loin.
- Le bouc émissaire :à Kippour, ou Jour du Grand Pardon8, on le lâche, on le laisse partir chargé des péchés (amartia) et des révoltes (adikia) du peuple, que le Grand Prêtre lui a transférés en lui imposant les deux mains sur la tête tout en prononçant la litanie des péchés de la communauté. Lâché (aphièmi), il les emporte, et meurt dans une ‘terre inaccessible’ où résident les démons, dont Azazel. Et les fautes sont pardonnées (Lévitique 16, 22.26). De même, le Christ meurt sur la croix, ayant pris sur lui les péchés du monde, et emporte tout cela aux Enfers … Entré là comme homme et bouc émissaire, il s’y révèle Dieu Tout-Puissant, lie le Fort et délivre les prisonniers.
- Tous les sept ans, les juifs doivent respecter une année sabbatique (Lévitique 25, 1-8 et Deutéronome 15, 1-18), et après sept fois sept ans vient l’année jubilaire9, tous les cinquante ans (Lévitique 25, 8-55) – ce qui représente une ‘pentecôte d’années’ !
Lors de l’année sabbatique il faut d’une part laisser ‘chômer la terre’, ne pas cultiver et se contenter du regain, et d’autre part ‘faire rémission’ (aphésis) àses frères. L’année jubilaire est ‘l’année de la rémission’ (aphésis, substantif de aphièmi). Chacun rentre en possession de ses biens gagés ou vendus pour payer les dettes ; pour ceux qui ont fait de mauvaises affaires, les dettes sont remises et ceux qui avaient dû se vendre à leurs créanciers comme esclaves, sont libérés. Ces règles économiquementdifficiles à respecter – et elles ne l’ont pas toujours été – ont été édictées pour éviter de trop grands écarts entre riches et pauvres, dans un esprit de justice sociale voulue par Dieu, entre les enfants d’Israël.
Tout était remis : Vous crierez rémission sur le pays pour tous ceux qui l’habitent, dit la Bible d’Alexandrie LXX (Lv 25, 10)
On le voit, le principe de la rémission des fautes et des dettes, est quelque chose de solidement établi en Israël. La conscience de la nécessité du pardon de Dieu, et de sa mise en œuvre, ainsi que du partage le plus équitable possible des biens et des richesses entre les membres du peuple de Dieu sont des exigences inscrites dans la Loi.
… les fautes et les blasphèmes autant qu’ils auront blasphémé …
les fautes– on l’a vu, sont des manquements à la Loi . L’esprit de révolte en fait partie.
et les blasphèmes–
- Selon le Larousse, le ‘blasphème’ consiste en paroles qui outragent la divinité, lui marquant dumépris. Il est différent du ‘sacrilège’ qui est un acte, opéré dans le même esprit de mépris et d’atteinte à la dignité de la divinité. ‘Insulte’ et ‘outrage’ quant à eux, peuvent consister en paroles ou en actes offensants, méprisants, blessant la dignité, visant la divinité, mais aussi des personnes ou des valeurs morales.
- Le mot ‘blasphèmia’ (et le verbe associé ‘blasphèmein’) employé ici par Jésus, comme à diverses reprises dans le Nouveau Testament, ne fait pas partie du vocabulaire de la Torâ. Il est employé seulement àpartir des livres historiques.
- Dans la Torâ, on trouve ‘kataraomai’-maudire, ‘katarasis’-malédiction, comme quand la femme de Job lui dit : Maudis Dieu et meurs, c’est-à-dire : ‘Maudis Dieu et tu seras passible de mort’, et ainsi tu mettras fin à tes tourments.
On trouve en Ex 22, 27 – Tu ne maudiras pas les dieux, et en Lévitique 24, 15 une histoire étrange : un homme fils d’une mère juive et d’un père égyptien, donc un ‘sang-mêlé’, prononça le Nom et le maudit. On l’amène àMoïse qui consulte Dieu. : il doit mourir, par lapidation ! et Dieu ajoute : un homme qui maudira Dieu encourra la faute (amartia – qui est pardonnable), mais pour avoir nommé le Nom du Seigneur, qu’il meure absolument. (Traduction Bible d’Alexandrie – LXX). Et la note d’expliquer :
Selon Philon d’Alexandrie, Dieu ici, et les dieux de la citation de l’Exode ci-dessus, peuvent désigner les dieux, les idoles des païens, qu’il ne faut pas blasphémer, par respect pour ceux qui les vénèrent, mais blasphémer les dieux sera une faute (amartia) pardonnable ; par contre, prononcer le Nom – c’est-à-dire le Tétragramme imprononçable – et qui plus est l’insulter, mérite la mort.
Et chez Marc ?
On peut comprendre que les injures contre Jésus, pourtant envoyé de Dieu et porteur de sa puissance, seront pardonnées, mais que …
29. mais qui blasphème contre le Souffle le Saint n’a de rémission jamais …
… que d’autres blasphèmes ne peuvent pas être pardonnés. Dans l’Ancien Testament, c’est le blasphème du Nom de Dieu, ici c’est le blasphème contre l’Esprit Saint.
On ne sait pas ce qu’est ce blasphème contre l’Esprit Saint pour lequel il n’y a pas de rémission possible.
… mais il est coupable d’une faute pour toujours– redondance : c’est vraiment décidé.
30. C’est parce qu’ils disaient Il a un souffle impur– Lui, le totalement pur, le Saint, Dieu incarné, eux ne savent pas le reconnaître et ne discernent pas la source de son pouvoir.
C’est la deuxième fois que le blasphème est évoqué entre les scribes et Jésus.Jésus chercheàdialoguer avec eux. En Bon Berger, il a le souci d’eux aussi, malgréleur hostilité.
En guise de conclusion,
revenons à l’Ancien Testament, moule dans lequel s’installe le Nouveau.
Après la Pâque, en Égypte au temps de Moïse, les Israélites partent, et il leur faut une ‘pentecôte de jours’ (50) pour parvenir au Sinaï, où auront lieu, la rencontre avec Dieu, très impressionnante, la conclusion d’une Alliance, et le don de la Torâ – qui est comme un contrat de mariage. Àla fête de Pentecôte (Shavouôt) chaque année, dans leur culte, les juifs font mémoire de ces évènements qui ont eu lieu au terme de leur cheminement depuis la sortie d’Égypte. Au cours du chemin il y a eu beaucoup de disputes avec Dieu et avec Moïse, mais à l’arrivée, ils sont prêts pour la Rencontre, prêts à recevoir la Loi, unis entre eux, et bien disposés envers Dieu : Dieu parle d’Alliance et n’en amêmepas encore édicté les termes, qu’ils disent : tout ce que le Seigneur a dit nous le ferons … et nous écouterons (Exode 19, 8 et 24, 3.7)10. Ils ont le cœur bien disposé, et L’Esprit Saint, appelé alors Présence de Dieu, ou ‘Chekhinah’, est avec eux.
C’est justement cette unité entre les hommes que vient de prôner le Christ, ainsi que la confiance à l’égard du Plus Fort et qui sera le Rédempteur.11
Mais aujourd’hui, avec les scribes, il n’y a pas d’unité. Satan fait ses ravages de division. Celui qui écoute le diviseur, comme l’ont fait Adam et Ève, fait fausse route. Il faut apprendre à discerner, et à bien disposer son cœur. Et à reconnaître par la foi la présence de l’Esprit Saint, ou son absence.
Dans la suite du texte, après seulement 6 versets (deux bouchées), Jésus va commencer d’enseigner la grande comparaison des 4 terrains, dans laquelle il suggère que sa parole qui tombe comme une graine, sera fructueuse en fonction de la qualité du terrain sur lequel elle se dépose. Et ce terrain c’est notre cœur. Est-il totalement opaque, pierreux, épineux, ou bien meuble, ouvert et généreux comme une bonne terre qui ne demande qu’à être ensemencée.
Tout est toujours possible, tout doit se travailler et peut évoluer. Et le Seigneur ne nous abandonne pas.
Gloire à Dieu.
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