Ajouté le: 3 Septembre 2021 L'heure: 15:14

Une société saine fonctionne comme un corps vivant

La relation du chrétien avec la société où il vit a fait l’objet d’innombrables études. Le Saint Apôtre Paul, dans sa première Épître aux Corinthiens, nous offre un véritable manuel du comportement du chrétien dans la société de son époque. Presque 2000 ans plus tard, dans un monde différent, mais qui porte (encore) en lui l’héritage chrétien, nous sommes toujours appelés à assumer notre identité de chrétiens, à mener une vie le plus proche possible de l’enseignement du Sauveur Jésus Christ. Du monde où nous vivons nous avons parlé avec Monsieur l’académicien Ioan-Aurel Pop, président de l’Académie Roumaine.

Monsieur le professeur, nous assistons depuis quelques années à un véritable changement de paradigme dans l’Union Européenne. L’accueil presque inconditionnel dans les pays de l’Union Européenne des migrants venus de tous les coins du monde, donc de culture et coutumes différentes n’est plus seulement un état d’esprit causé par les traumas des deux guerres mondiales, mais est devenu un « pilier » du modèle démocratique dans tous les États membres. Même si elle n’a jamais fait l’objet d’une loi, l’inclusion illimitée est présente dans la société plutôt sous la forme d’une idéologie. Jusqu’où peut aller cette idéologie ? Y a-t-il des raisons de craindre les nouveaux venus dans l’Union Européenne ?

L’expérience historique a montré que lorsque les contacts entre les civilisations deviennent aigus, violents, ils produisent invariablement de grands troubles dans la société. Lorsque les premiers européens sont arrivés au-delà des mers, dans le but d’exploiter les biens qui s’y trouvaient, les civilisations locales sont entrées – pour la plupart – dans le collapse, et certaines sont disparues. Parfois, dans de telles situations, les envahisseurs étaient infiniment moins nombreux que les autochtones. Certes, la migration n’est pas une invasion, mais le choc de telles migrations non contrôlées, apparemment paisibles, peut être aussi grand. D’ailleurs, après les périodes d’ouverture sans limites pour les immigrants, la plupart des pays, à savoir les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, etc., ont établi des critères d’admissibilité pour les nouveaux venus. Autrement un fait très grave peut arriver : la civilisation autochtone peut ployer à cause des nouveaux venus, ne pouvant pas les intégrer. Mais si ceux qui ont initié cette démarche d’inclusion illimitée visent, à travers la globalisation, d’éradiquer les spécificités de la civilisation européenne, de plonger dans une sorte de confusion totale et dans un mélange complètement hétérogène, alors le fait d’accueillir le plus possible d’immigrants extra-européens conduira sans doute à ce but. Mais la procédure serait absurde, car la plupart des étrangers viennent en Europe, de manière légale ou illégale, non pas pour détruire nos valeurs, mais pour en bénéficier, pour profiter du système concurrentiel, pour parvenir à la prospérité. Mais parfois, mal guidés par toute sorte d’organisations qui prétendent de défendre leurs droits, ces grands groupes d’étrangers arrivent à menacer les structures qui pourraient leur assurer des revenus décents, la sortie de la pauvreté. Or, s’ils s’évertuent à transférer en Europe leur manière de vivre chez eux, leur migration perd son sens.   

La société de l’Occident médiéval avait une structure tripartite : oratores, bellatores et laboratores (ceux qui priaient, ceux qui combattaient et ceux qui travaillaient). Georges Dumézil disait que cette structure est spécifique des sociétés indo-européennes. Est-ce que cette tripartition se retrouve dans notre société ?

Le monde médiéval, basé sur la soumission, la hiérarchie, la foi, l’honneur chevaleresque, le privilège etc. était très différent de notre monde moderne, basé jusqu’à récemment sur la liberté, le libéralisme, la démocratie, l’égalité, la fraternité, le constitutionalisme, etc. C’est seulement depuis peu que sont apparus à certains endroits en Europe, aux États-Unis ou ailleurs des concepts aberrants comme l’illibéralisme, le politiquement correct, la subordination de la majorité à la minorité, l’imposition des modèles marginaux, les égalitarismes de type marxiste, etc. Mais je préfère ne pas les commenter ici. Pourtant, la structure tripartite que vous évoquiez a toujours certains échos, même si le fonctionnement a changé dans beaucoup de cas. Aujourd’hui, les trois choses (la prière, le combat/la défense, le travail) sont accomplis par beaucoup de gens simultanément, même si le travail n’est plus à dominante physique, même si le combat n’est plus forcément armé et représente la défense des valeurs constituées de la communauté, et même si les gens de l’église ne dominent plus la société. L’idée qu’une société saine fonctionne comme un corps vivant, dans le cadre duquel les « membres » se complètent mutuellement au bénéfice du tout, reste valable du Moyen-Âge jusqu’à nos jours. Tout dérèglement dans l’harmonie de la société devient un énorme facteur de risque pour un pays, pour l’humanité.  

L’humanité a prospéré jusqu’au niveau d’aujourd’hui grâce à l’expansion de la civilisation occidentale

Nous pouvons dresser un parallèle entre la crise de la chrétienté occidentale des 14e -15e siècles (la fin de l’expansion des États médiévaux chrétiens, s’il faut citer l’historien Jacques Le Goff) et ce que nous vivons tous à présent, à un niveau spécifique, mais presque uniformisé, en Europe ? Que peut offrir le modèle culturel européen présent à l’homme né après 1989, qui connaît d’autres réalités et semble se guider d’après d’autres principes que ses prédécesseurs ?

Des parallèles de ce type, même si alléchants, ne sont pas acceptés par les historiens qui respectent leur profession. L’histoire ne se répète jamais, même si certains faits ou situations se ressemblent. Il n’y a pas de doute que, vers 1300-1400, l’Europe était assaillie par des forces hostiles et dissolvantes, venues du sud-est (de la Presqu’île Balkanique), tout comme vers les années 700 elle avait été menacée par le même genre de forces du sud-ouest (de la Presqu’île Ibérique). Chaque fois, le vieux continent a trouvé des ressources pour résister et même pour faire basculer la pression. Il est évident qu’aujourd’hui encore la civilisation européenne est menacée de la dissolution, mais les conditions sont totalement différentes par rapport aux années 1500, par exemple. La circulation libre des gens, des biens et des idées, les formules de plus en plus étendues de la globalisation, la diabolisation des nations – sur un fond de dégradation de l’éducation et d’augmentation de l’ignorance – ont diminué les capacités de défense des valeurs consacrées. Les gens d’aujourd’hui n’ont plus l’ardeur qui menait les gens du Moyen-Âge dans leur combat de défense. Du moment qu’on n’étudie plus l’histoire de façon sérieuse, nos contemporains ne savent plus que l’humanité a prospéré jusqu’au niveau d’aujourd’hui grâce à l’expansion de la civilisation européenne occidentale. Toutes les régions de succès de la Terre aujourd’hui sont celles qui appliquent le modèle concurrentiel, qui privilégient la compétition, le capital, les investissements, etc. Ce modèle est le modèle européen-occidental, même dans la vie économique de la Chine gouvernée par les communistes. Le modèle culturel européen est celui qui s’est validé et a assuré jusqu’à présent la prospérité (inégale, évidemment) de l’humanité. Le Japon est arrivé à devenir efficace après l’ère Meiji (à partir de la deuxième moitié du 19e siècle), à savoir après être sortie de sa léthargie et de son isolement et avoir copié le modèle européen de succès. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas d’autres modèles de succès dans le monde, mais jusqu’à ce moment, le modèle européen a été le plus redoutable. Si les jeunes apprenaient ces choses ils n’iraient plus renverser le monde, mais ils sauraient respecter l’altérité, et guidés par la tempérance, ils pourraient apprécier les valeurs, les vertus, afin de pouvoir semer la confiance et l’espérance. 

Seulement ceux qui ressentent l’amour pour leur propre communauté ethnique et pour leur pays d’origine ont la capacité d’aimer aussi les réalités équivalentes des autres

Des débats concernant l’avenir de l’Union Européenne ont été organisés à partir de l’été 2016, après la décision de la Grande Bretagne de quitter le bloc communautaire. Le Livre Blanc concernant l’avenir de l’Union Européenne (lancé pendant le mandat de l’ancien président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, le 1er mars 2017) et la Conférence pour l’Avenir de l’Europe, du 19 avril 2021, se concentre sur l’avenir, non seulement au niveau institutionnel (des représentants de l’Église Orthodoxe y participent également). Comment un historien voit-il cela ? Peut-on parler d’un avenir si nous n’avons pas compris notre passé ?

Le dialogue a été toujours préférable au monologue et surtout à la confrontation. Je vois l’Europe de l’avenir (prévisible) comme un concert des nations. Pourriez-vous me dire quels pays du monde ont totalement renoncé à leur propre souveraineté et ont décidé de se dissoudre dans le cadre d’une nation mondiale ? Pourriez-vous m’indiquer quels peuples ont délibérément quitté leur propre langue pour une autre, une langue universelle, par exemple ? S’il est facile de constater la force de la cohésion nationale, pourquoi ne pas créer de bonnes conditions pour continuer l’affirmation des nations dans l’esprit du respect mutuel ? Les discussions sur l’avenir de l’Europe ont échoué jusqu’à maintenant en grande mesure – je pense – à cause d’une prémisse erronée : la plupart des décideurs politiques de Bruxelles et Strasbourg sont convaincus que pour la construction de l’Europe de l’avenir on doit décourager, diminuer et ensuite détruire les nations. Or, je le répète, l’Europe de l’avenir tangible doit être constituée de nations considérées comme composantes de base de l’Europe unie. La prémisse erronée est encouragée aussi par un préjugé : la plupart des analystes pensent que ceux qui aiment (sincèrement) leur patrie et leur peuple en arrivent à haïr d’autres patries et d’autres peuples. Je pense au contraire que seulement ceux qui ressentent l’amour pour leur propre communauté ethnique et pour leur pays d’origine ont la capacité d’aimer aussi les réalités équivalentes des autres. 

Nous sommes dans l’année dédiée par le Patriarcat de Roumanie à la pastoration des Roumains qui se sont établis temporairement ou définitivement en dehors des frontières du pays. On a souvent dit que les églises où se rassemblent les Roumains de l’étranger sont de véritables ambassades. Mais ce n’est pas la manière dont on pense en termes institutionnels, et pourquoi pas en termes de sécularisation ? Que représente l’Église Orthodoxe, une église orthodoxe, pour le Roumain de l’étranger ?

Nous pensons parfois dans les termes de la sécularisation, mais nous avons au moins une excuse : l’Église c’est le monde-même. De ce point de vue, en paraphrasant, là où il y a une église roumaine il y a aussi un monde roumain. Iorga avait une belle parole quand il disait une fois que partout où dans le passé il y avait des Roumains on disait qu’il y avait aussi des pays roumains. Évidemment, nous n’avons pas cette prétention – qui pourrait avoir des accents offensifs pour certains –, mais nous sommes convaincus que les petits mondes roumains de toute l’étendue de la planète gravitent autour de l’église. L’église doit être pour chaque Roumain la foi, le lieu de manifestation canonique de la foi, le lieu de communion avec Dieu. Mais l’église est aussi notre langue, notre chant, nos vêtements et nos nombreuses coutumes, bienséantes et pleines de grâce. C’est à l’église que nous nous purifions de tout mal, des péchés, des tentations, et nous nous rebâtissons dans le bien, la vérité, la justice, la bonté et l’amour. Et – un fait extrêmement important – c’est à l’église que nous renouvelons toujours le sentiment de vivre ensemble, d’être une communauté, d’aimer notre prochain. Si nous continuons à exprimer cet amour en roumain, cela ne gênera personne. Au contraire, nous allons vivre avec la pensée que nous venons d’un pays béni par Dieu sur terre et que nous portons aussi à d’autres, avec nous, cette bénédiction.

Interview réalisée par P. Alexandru Ojică

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