Ajouté le: 6 Juillet 2021 L'heure: 15:14

Personne ne peut connaître le monde intérieur d’un homme, sauf lui-même

« Connais-toi toi-même » est un adage bien connu de l’antiquité. Saint Isaac le Syrien dit que « celui qui a été capable de se voir lui-même est meilleur que celui qui est capable de voir des anges ». Qui sommes-nous en tant qu’êtres humains, qui est l’homme intérieur, quel est le rapport entre la parole et le silence, et aussi en quoi consiste la connaissance de soi, ce sont là les sujets que nous avons abordés dans notre entretien avec monsieur Viorel Ștefăneanu, qui a été pendant trente sept ans professeur de littérature comparée à l’Université Paris Est – Créteil.

Votre livre Le monde intérieur, paru cette année aux Éditions Apostolia réunit une série d’articles publiés ces dernières années. Nous trouvons dans ce volume des citations de saints, de grands ascètes et mystiques, d’universitaires, d’écrivains célèbres, de philosophes, et même d’écrivains athées. Qu’est-ce qui réunit tous ces auteurs dans le monde intérieur ? Comment pourriez-vous définir « le monde intérieur » ? 

Chaque être humain peut constater facilement ce qu’est le monde intérieur. Aucune définition n’est nécessaire car ce monde invisible est un vécu personnel et non pas une idée ou un concept philosophique. Le monde intérieur de l’homme est son propre être, sa volonté, ses sentiments, son imagination, qui se nourrit des désirs de son cœur, bons ou mauvais, avoués ou secrets, conscients ou cachés à ses propres yeux. Chaque homme possède son propre monde intérieur, où il vit tout le temps, de même que dans son corps de chair. Personne ne peut connaître le monde intérieur de l’homme, sauf lui-même, et quelquefois même lui ne le connaît pas bien. Nous pouvons nous égarer dans notre monde intérieur, encore plus que dans le monde du dehors, où nous avons des indications, des cartes géographiques, des boussoles et d’autres moyens pour nous orienter dans l’espace. 

C’est pourquoi chaque homme a besoin d’un guide intérieur pour trouver le chemin qui mène à la vérité. Mais ce guide, qui vient du monde extérieur, peut prendre soit la bonne voie, soit une voie égarée, qui égare aussi ceux qui le suivent : « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! qui fermez aux hommes le royaume des cieux ; vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous ne laissez pas entrer ceux qui le voudraient » (Saint Matthieu 23, 13). 

Les auteurs que je cite dans mes articles font partie d’une catégorie ou de l’autre, ceux qui suivent la voie du Christ, et ceux qui ont pris la direction contraire, celle de L’Antéchrist. Cette confrontation entre les bons guides spirituels et les guides égarés permet au lecteur de voir plus clairement les tendances prédominantes de son monde intérieur et de son cœur, qui penche d’un côté ou de l’autre.

La littérature exprime notre imagination, et même quelquefois la projection de nos désirs les plus secrets et intimes. Comment un homme de lettres envisage-t-il la vie intérieure exposée dans la littérature ? Quel est le rapport entre le monde des lettres et la vie spirituelle ? 

La littérature et la religion ont une racine commune et des moyens d’expressions apparentés. Leur racine commune est la nécessité intérieure de l’homme de donner un sens à son existence et de répondre aux questions essentielles de la conscience humaine : D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Pourquoi souffrons-nous ? Pourquoi mourons-nous ? Qui sommes-nous et quelle est notre destinée en ce monde ?

L’auteur littéraire aborde ces questions sans leur donner une réponse claire et définitive, tandis que l’auteur religieux donne une réponse qui ne vient pas de l’homme mais de Dieu, une vérité absolue, valable pour tous les êtres humains. Quant aux moyens d’expression, les textes religieux utilisent très souvent des procédés littéraires : métaphores, allégories, paraboles et autres images poétiques et même des poèmes, qui ont la double fonction de transmettre l’enseignement spirituel à la fois par voie rationnelle et émotionnelle, en communiquant la vérité de Dieu au moyen du langage poétique, plus riche et plus proche du cœur de l’homme que le langage rationnel. Le cœur de l’homme comprend beaucoup plus que la raison, et c’est là que réside le lien principal entre la littérature et la religion : « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison » (Pascal, « Pensées »).

Vous faites référence à un moment donné à une parole du père Rafaïl Noïca : « Dieu sait mieux que moi quelle est mon identité » (p. 45). Les gens ont une identité extérieure mais aussi intérieure. Et quelquefois ils se reconnaissent dans certains modèles culturels de ce monde et de ce siècle. Que pourrions-nous dire sur « le monde intérieur » et sur son identité ? 

L’identité réelle de l’homme est principalement intérieure. L’identité extérieure peut être et est souvent trompeuse, car contrairement aux animaux, la créature humaine n’est pas toujours ce qu’elle semble être : « Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans ce sont des loups ravisseurs » (Saint Matthieu 7, 15). « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui au dehors ont belle apparence, mais qui au-dedans, sont pleins d’ossements de morts, et de toute espèces d’impuretés » (Saint Matthieu 23, 27). 

Notre véritable identité est intérieure, c’est l’être invisible qui habite dans notre âme et notre cœur. C’est pourquoi la connaissance de soi est absolument nécessaire sur le chemin spirituel, car l’homme peut se cacher de lui-même et de sa propre conscience, et croire qu’il est bon alors que son cœur est méchant, croire qu’il est pur alors que son âme est pleine de malpropretés, croire qu’il est croyant alors que son cœur est loin de Dieu. Les modèles culturels égarés de notre monde et de ce siècle ont une influence nocive sur l’homme intérieur, d’autant plus grande que celui-ci s’est éloigné de Dieu et de lui-même, vu qu’il a été fait à l’image et à la ressemblance de Dieu : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu est en vous ? » (1 Cor. 3, 16). 

D’une certaine manière, le langage humain lui‑même est contraire à la nature   

Suivant le point de vue de Paul Evdokimov qui parle des âges de la vie spirituelle, pouvons-nous dire la même chose du monde intérieur ? Celui-ci comporte-t-il certaines étapes, certains degrés d’intensité ? Pouvons-nous progresser à travers ce monde secret qui peut se manifester aussi à l’extérieur ?  

Le chemin spirituel est par définition un chemin intérieur, une croissance de l’âme, qui à la différence de la croissance du corps, ne se produit pas de manière automatique mais nécessite notre participation personnelle et l’aide de Dieu, car la croissance intérieure tend vers l’infini et vers la vie éternelle, et dépasse ainsi les forces de l’homme mortel. Les âges de la croissance intérieure ne suivent pas le même rythme que les âges du corps, car chaque âme humaine a son propre rythme de croissance. La croissance intérieure se manifeste aussi sur le plan extérieur, « car on connaît l’arbre à ses fruits. (…) L’homme bon tire du bien de son bon trésor, et l’homme mauvais tire du mal de son mauvais trésor » (Saint Matthieu 12, 33-35). Notre croissance intérieure se mesure par nos actes et par notre amour pour nos semblables et pour Dieu. Les principales caractéristiques de notre croissance intérieure sont résumées par saint Paul : « la foi, l’espérance et l’amour ; mais la plus grande, c’est l’amour » (1 Cor. 13, 13). 

L’un des traits distinctifs de ce monde est « le silence de Dieu », le « silence de l’amour infini, comparable au silence du cœur qui nous donne la vie à chaque instant » (p. 89). Nous sommes confrontés à un monde de silence, de paix, que nous troublons par la parole pour qu’il nous dise ce qui ne peut pas être dit. Ne serait-ce pas là une attitude contraire à la nature ? 

Après la chute d’Adam, l’espèce humaine tout entière a perdu sa vraie nature, en s’éloignant de Dieu, la source naturelle de l’être et de la vie. D’une certaine manière, le langage humain lui-même est contraire à la nature, car il remplace la vie réelle par des fictions linguistiques. Le mot pain ne peut nourrir un homme affamé, et aucun bateau ne peut naviguer sur le mot océan. Et même, souvent, les mots nous trompent : au nom de l’amour de l’humanité, de la liberté, de la justice, de la vérité, et même au nom de Dieu et du Christ, ont été commis des crimes sanglants et des massacres monstrueux tout au long de l’histoire de l’humanité. L’homme peut dire une chose et faire tout le contraire, si bien que le langage humain peut devenir un instrument du père du mensonge (cf. Jean 8, 44). 

Le mot indique une absence – car il remplace la chose réelle – et une distance par rapport à la vie, qui est parlée, écrite et pensée au lieu d’être vécue. De même, la parole de Dieu peut nous induire en erreur, en donnant naissance à une philosophie ou une théologie inventées par l’esprit humain, théories stériles et égarées, qui n’ont rien à voir avec Dieu. 

La pensée et les mots humains sont incapables de contenir et d’exprimer l’Esprit de Dieu, et le bavardage ininterrompu de notre esprit, chasse Dieu de notre conscience la plupart du temps. 

Dieu n’a pas besoin de mots car il est partout et éternellement vivant, et sa présence se manifeste par tout ce qui existe dans le monde : « Interroge les bêtes, elles t’instruiront, / Les oiseaux du ciel, ils te l’apprendront ; / Parle à la terre, elle t’instruira ; / Et les poissons de la mer te le raconteront. / Qui ne reconnaît chez eux la preuve / Que la main de Dieu a fait toutes choses ? / Il tient dans sa main l’âme de tout ce qui vit, / Le souffle de toute chair d’homme » (Job 12, 7-9). Si bien que le silence de Dieu est une illusion humaine, car Dieu nous parle en permanence, par la vie elle-même et par notre propre vie.

Interview réalisée par p. Alexandru Ojică

 

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