Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
Marc 2, 18-22 – L’enseignement Sur le Jeûne – Proverbes
Après : « Qui peut remettre les péchés sinon Dieu seul ? » puis : « Quoi ! Avec les collecteurs et les pécheurs il mange ! » voici aujourd’hui la troisième ‘controverse’.
Le texte :
Le Christ, lorsqu’il est controversé dans une situation ou une autre, toujours concrète, rétorque en citant un proverbe ou une sentence en usage dans la culture orale du temps, puis se l’appliquant à lui-même, il dévoile à ceux qui veulent bien entendre, quelque chose de sa Personne et de sa mission. C’est un schéma récurrent dans ce chapitre.
Nous sommes ici à la troisième dispute sur les cinq que comporte cette fin de première étape. Elle est donc le centre du chiasme, ou la pendeloque centrale du collier que forment ces cinq ‘perles’. ‘Perles’ et ‘collier de perles’ sont des termes appartenant à la culture orale, et qui servent à décrire la structure des récits à mémoriser ; le fait que ce soit structuré facilite le stockage des textes dans la mémoire, forme et contenu.
Ainsi l’Évangile est constitué d’une succession de ‘perles’, rangées sans hasard.
Ce qui est au centre d’une série est le plus important : or, au centre de ce long passage, (Marc 2, 1 à 3, 6) nous trouvons le thème de l’Époux.
Auparavant, nous avons eu deux historiettes sur le repentir et la souveraineté du Fils de l’Homme pour pardonner les péchés ; le pardon de Dieu est acquis à ceux qui le demandent avec foi, et il fait d’eux des ‘justes’, c’est à dire des partenaires pour Dieu. Ceci se passe ‘dans la maison’, embryon de l’Église, espace divino-humain.
Une fois franchie cette première porte, porte du repentir et du pardon, le texte nous introduit aux noces que propose l’Époux divino-humain.
Ensuite, au cours de deux autres histoires encore, il nous parlera du Shabbat, temps divino-humain.
Et jeûnaient les appreneurs de Yôhânân et les pharisiens …
Voilà la situation concrète : Certains juifs pieux se donnaient des règles de jeûne, auxquelles le Christ ne semble pas accorder beaucoup de crédit.2
Que peut-on dire du jeûne dans la Bible ?
En fait, la Loi à l’origine, n’impose le jeûne qu’à l’occasion de la Fête de Yom Kippour, le Grand Pardon, à l’équinoxe d’automne. En deuxième nom, cette fête est même appelée ‘Jeûne’. A cette occasion, il est obligatoire de se priver de boire et de manger pendant 24 heures. Pour ce faire le Lévitique en langue hébraïque, met dans la bouche de Dieu un mot que la Septante traduit par : ‘humiliez vos vies’, ‘abaissez, maltraitez vos vies’ et qu’en français courant on traduit par ‘jeûnez’. (Lévitique 16, 29). Le sens en est que, en acceptant du fait de la privation de nourriture de perdre une partie de son énergie conquérante, humilié donc, le croyant qui se reconnaît pécheur implore et accueille le pardon de Dieu dans une attitude de dépendance et d’abandon total à Dieu.
Cette ouverture radicale à Dieu-duquel-tout-est-attendu présidait aussi aux jeûnes de 40 jours des héros : Moïse sur la montagne (Exode 34, 28) et Jésus au désert après le Baptême (Marc 1, 13) ; ainsi qu’aux jeûnes de prière et de supplication de Daniel (Daniel 9, 3) et des habitants de Ninive (Jonas 3, 5 et 3, 7), par exemple3.
Au cours du temps, d’autres jeûnes furent institués pour commémorer certains évènements tragiques de l’histoire d’Israël, mais déjà en Isaïe 58, on peut lire : 4. Vous jeûnez tout en cherchant querelle et dispute, et en frappant du poing méchamment (…) 6. Le jeûne que je préfère, n’est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs ! 7. (Il te faut)partager ton pain avec l’affamé, héberger le pauvre sans abri, couvrir celui qui est nu, ne pas te dérober devant celui qui est de la même chair que toi.
Plus tard, Zacharie en 7, 9-10 dit encore la même chose de la part de Dieu : Le Seigneur réclame la loyauté et la miséricorde les uns à l’égard des autres …
… et il en vient qui lui disent Pourquoi les appreneurs de Yôhânân et les appreneurs des pharisiens jeûnent-ils, mais tes appreneurs à toi ne jeûnent-ils pas ?
Remarquons que les personnes qui portent la contestation restent non-définies, (jeûneurs anonymes ou simples observateurs ?) mais s’adressent au Maître lui-même.
Et voilà leur prétexte : vous n’êtes pas de bons juifs pieux ! Vous ne respectez pas les ‘traditions des anciens’ (Marc 7, 5) – celles que le Christ qualifiera de ‘préceptes d’hommes’, (Marc 7, 7) ces ‘traditions des hommes’ au profit desquelles ils délaissent ‘le commandement de Dieu’ Dans ce passage de Marc 7, 5-8, il s’agit de : ‘Honore ton père et ta mère’, un des Dix Commandements, une des Dix Paroles de Vie.
Et Yéshoua‘ leur a dit
Les fils de la chambre nuptiale peuvent-ils jeûner pendant que l’Époux est avec eux …
On reconnaît là encore une sentence proverbiale de style oral.
** Depuis le livre de l’Exode, Israël est la fiancée de Dieu, et lui se présente comme l’Époux.
1/ En fait le texte écrit, dans la Bible telle que nous la connaissons, nous parle seulement d’une rencontre avec Dieu, pour laquelle le Seigneur vient exprès se manifester sur la montagne du Sinaï (Exode 19, 10-12 et 16-20) :
Le peuple est massé au pied de la montagne. Il s’est préparé-purifié en lavant ses vêtements la veille et en se privant des rapports sexuels. Et au matin, Dieu se manifeste juste au dessus de sa tête, par des voix, des éclairs et une nuée ténébreuse. Cette nuée sera mémorisée comme le signe de la Présence de Dieu, formant un dais qui les couvre.
Le dais deviendra le signe de l’union, de l’union de l’homme avec Dieu, comme de l’union d’un homme et d’une femme. Chez les juifs, le mariage se célèbre sous le dais, et encore mieux : le fiancé construit un dais dans la chambre nuptiale, sous lequel sera consommé le mariage. Du moins, ce fut comme cela.4
2/ Le Midrash quant à lui, commentaire juif traditionnel, parle clairement d’épousailles pour ce même épisode de l’Exode. (Edmond Fleg (1874 -1963) « Moïse raconté par les Sages », Albin Michel, Paris, 1956 – page 78. Commentaire pour Exode 19, 16-19.)
« ‘Lève-toi, communauté d’Israël, disait Moïse, secoue ton sommeil. Ton époux attend sa fiancée sous le dais nuptial.’ Et marchant le premier, suivi d’Aaron et de ses fils, et de tous les hommes et de toutes les femmes et de tous les enfants d’Israël, il conduisit l’assemblée au pied de la montagne, qu’une nuée couvrit comme un dais nuptial. »
** Les Psaumes et les Prophètes parlent eux
1/ de dais
- (Ps 18 (19), 5-6) Pour le soleil (comprenons : le Christ)il a dressé une tente : C’est un jeune époux qui sort de sa chambre (Autre traduction : deson dais.)
- (Isaïe 4, 5 – TOB 2011) : Il créera en tout lieu de la montagne de Sion, sur les assemblées, une nuée de jour, et la nuit, une fumée avec l’éclat d’un feu de flammes. Et au-dessus de tout, la gloire du Seigneur sera undais ;
2/ de relations conjugales orageuses entre Dieu et son peuple, faites de ruptures, de châtiments et de réconciliations amoureuses :
- Par exemple (Isaïe 54, 5 et 8 – TOB 2011) :
- Autre exemple (Osée 2, 18, 21-22 – TOB 2011) : Israël ayant couru après de nombreux amants-idoles, et ayant oublié le Seigneur, celui-ci entreprend de séduire de nouveau son peuple, de regagner sa confiance, et conclut ainsi son discours :
Donc, de ce projet d’épousailles entre Dieu et la nature humaine, annoncé dès le livre de l’Exode et récurrent tout au long de l’histoire d’Israël, la réalisation apparaît comme accomplie dans notre verset évangélique : le Christ parle de lui-même comme de l’Époux-Dieu, et qualifie ses disciples de ‘fils de la chambre nuptiale’ : rejetons de cette union Dieu-homme, enfants de Dieu. L’expression est généralement traduite par ‘compagnons de l’époux’ ou ‘invités aux noces’, mais en grec il y a clairement ‘oi uioi toû nymphonos’ : ‘les fils de la chambre nuptiale’. Ils sont les prémices de l’Homme Nouveau, ce fruit de l’Incarnation du Verbe, de la mort et de la Résurrection du Christ. « Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne dieu. » (Saint Athanase d’Alexandrie – IVè siècle) À l’homme qui a foi et qui a été pardonné, il est promis l’union du divin avec sa propre nature humaine. Rappelons-nous : lors de la guérison du paralysé (qui donne lieu à la première controverse) il est dit : Et Yéshoua‘ voyant leur foi dit au paralysé Enfant tes péchés sont remis. (Marc 2, 11). Enfant, comprenons enfant de Dieu.
Tout le temps qu’ils ont avec eux l’Époux ils ne peuvent pas jeûner mais viendront des jours où l’Epoux leur sera ôté et alors ils jeûneront en ce jour-là
Le mot ‘époux’ apparaît donc ici pour les 2è et 3è fois. Cela nous est martelé.
On ne peut pas l’ignorer.
Tout le temps qu’ils ont avec eux l’Époux ils ne peuvent pas jeûner …
En effet, en présence de l’Époux, il faut plutôt festoyer que jeûner. Festin des noces, banquet … il en est souvent parlé dans les Évangiles …
mais viendront des jours où l’Époux leur sera ôté et alors ils jeûneront en ce jour-là
Intéressons-nous à en ce jour-là / en ces jours-là5,formule qui revient souvent dans les Évangiles, et qui signifie : ‘à la fin des temps’,
1/soit elle désigne le ‘Jour du Seigneur’ – Jour du Retour glorieux et de la Victoire finale. Jour de l’Avènement du Royaume-Temps nouveaux-Monde nouveau (Apocalypse 21, 5). C’est en vue de ce Nouvel Avènement que le Christ est venu. Nous le confessons chaque fois que nous disons le Credo : « Il reviendra en gloire … son Règne n’aura point de fin » ...
2/ soit … car on ajoute : « J’attends la Résurrection des morts et la vie du siècle à venir », soit en ce jour-là / en ces jours-là désigne le temps de l’attente, ‘ces temps’ qui précèdent le retour en gloire, temps terrifiants pendant lesquels se révoltent et se débattent les forces adverses, comme le décrit en particulier l’Apocalypse de Saint Jean.
Or, il faut « tenir aux jours mauvais » comme le dit Saint Paul. (Ephésiens 6, 13)
Comment tient-on alors que notre Seigneur nous a été ôté ? … Oui, ôté : Il « a souffert et a été enseveli (première disparition), est ressuscité le troisième jour (…), est monté aux cieux (deuxième disparition) ». Comment tient-on ?
Eh bien, on fait comme le Christ l’annonce : et alors ils jeûneront en ce jour-là. On jeûne de la présence sensible du Seigneur, et on jeûne : on s’abstient du monde dans la mesure du possible (sobriété), on accepte ‘d’amoindrir sa vie’ au profit de ‘l’ouverture à Dieu’, et on s’exerce à l’amour des frères, selon le type de jeûne que prescrit le Seigneur. On ne leur fait pas payer notre déception …
Personne ne coud une pièce de tissu écru sur un vieux vêtement car autrement la pièce d’elle-même arrache le neuf du vieux et advient une déchirure pire …
C’est encore un proverbe issu de la culture orale.
Le tissu écru, c’est du neuf, du non-foulé. Quel est donc le vieux vêtement qui ne peut pas être rapiécé ? C’est la tunique de peau octroyée à Adam pour sortir du Paradis, après qu’il eût perdu le vêtement de lumière dont Dieu l’avait orné.
La tunique de peau ne se rafistole pas : il faut l’échanger pour le vêtement blanc du Baptême, « revêtir le Christ », porter un vêtement appartenant au Monde Nouveau, ce ‘vêtement de noce’ nécessaire pour participer au banquet des noces du Fils du Roi6.
Au banquet des noces de l’Agneau, il a été donné (à la fiancée) de se vêtir d’un lin resplendissant et pur, car ce lin ce sont les œuvres justes des saints. (Apocalypse 19, 7 TOB 2011)
La mention des œuvres justes nous ramène au jeûne qui plaît au Seigneur …
Personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres car autrement le vin fait éclater les outres et se perdent et le vin et les outres …
Qu’est-ce que ce vin nouveau que ne peuvent contenir les vieilles outres, celles du monde déchu ?
C’est le vin des noces du Fils de Dieu avec l’humanité. Après avoir institué l’Eucharistie, le Christ dit : Jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne jusqu’à ce jour-là où je le boirai nouveau dans le Royaume de Dieu. (Mc14, 25) C’est bien de cela que nous parlons.
Les saints Corps et Sang du Christ sont institués pour nous communiquer la Vie de Dieu, être en nous le germe de l’Homme Nouveau en marche vers le Monde Nouveau et l’union avec Dieu.
Mais vin nouveau en outre neuve. Application du proverbe à l’œuvre du Christ :
Le message est clair : ‘Acceptez de vous laisser renouveler … Pour qu’on puisse enfin faire la fête !’
Lui aussi, Dieu, attend avec impatience le moment des noces. Quand la fiancée acceptera-t-elle enfin la proposition du fiancé ? 7
Il est prêt à donner jusqu’à sa vie pour elle. Lui aussi est impatient. Tous les ‘aussitôt’ dans Marc nous le font pressentir : il y a quelque chose de pressé. Courons !
Gloire à Dieu.
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