Ajouté le: 2 Décembre 2021 L'heure: 15:14

La guérison de l’aveugle de Bethsaïde

Le Christ transmet à ses Apôtres un rituel sacramentel de guérison (Mc 8, 22-26)

Le Christ a accompli de nombreuses guérisons pendant sa vie publique et a guéri de beaucoup de maladies, dont la cécité, qui est une des pires, car la personne se trouve dans les ténèbres, sans vis-à-vis, enfermée en elle-même, ce qui est un symbole fort du péché de l’Homme, qui, dans le jardin d’Eden « voyait » Dieu et parlait avec Lui. Souvent, nous ne savons rien de sa façon d’agir, mais parfois il nous est donné de voir comment Il procédait1. C’est le cas ici et d’une façon très précise : c’est pourquoi nous l’avons appelé un « rituel de guérison ».

 

L’évènement n’est rapporté que par Saint Marc, et donc par un témoin oculaire, puisque ce dernier a publié l’Évangile proclamé par Pierre à Rome. Il se passe juste avant la Transfiguration. Nous sommes donc vers la fin de la deuxième année de mission du Christ, peu de temps avant sa « montée vers Jérusalem ».

Le Seigneur, qui vient d’accomplir la seconde multiplication des pains2, à l’Est de la mer de Galilée, remonte le Lac et arrive avec Ses disciples à Bethsaïde, qui est un village de pêcheurs3 qui se trouve au bord du lac, à environ 5 km de Capharnaüm, mais de l’autre côté du débouché du Jourdain, à l’Est. Il est le village d’origine de Pierre et André, et de Philippe, mais aussi certainement celui de Jacques et Jean, qui étaient les associés de Pierre et André. Il se trouve dans la Tétrarchie de Philippe (Hérode-Philippe), où le Christ avait plus de liberté que dans celle d’Hérode-Antipas [la Galilée] où se trouvait Capharnaüm. Jésus faisait probablement souvent la navette entre Capharnaüm et Bethsaïde, parce que cinq de Ses Apôtres y résidaient : en bateau, c’était facile, d’autant plus qu’Il pouvait se loger chez les uns ou les autres. Il est étonnant que 5 des 12 Apôtres soient issus de ce village, et que le Christ ait dit à quatre d’entre eux (Pierre et André, Jacques et Jean) : je vous ferai « pêcheurs d’hommes », ce qui correspond à l’étymologie du nom du village.

Les Apôtres amènent à Jésus un aveugle, et Lui demandent « de le toucher », pour le guérir : Saint Jérôme4 leur prête cette parole : « Touche-le et il sera guéri ». Ils étaient sûrs qu’un simple toucher par la main du Christ – la main de Dieu – pouvait guérir de toutes les maladies. Jésus est tellement célèbre en Galilée que sa simple venue dans un lieu suscite d’immenses espoirs de guérison pour une multitude de malades et de possédés. Comme tout le monde se connaît dans ces villages, les Apôtres sont évidemment sollicités pour présenter ces malheureux au Maître. Et là, le Seigneur va agir différemment de ce qu’Il fait souvent. Il « prend la main de l’aveugle et l’emmène hors du village ». C’est une belle image du Christ venant prendre par la main l’homme déchu pour le ramener sur le chemin de la vie. Nous sommes tous des aveugles que le Christ prend par la main : s’Il ne le faisait pas, nous ne pourrions pas voir la lumière de la vérité.

Puis Il lui met de la salive sur les yeux avec ses doigts et lui frotte les yeux, comme une onction. La salive, c’est de l’eau : c’est une image du baptême. Avoir les yeux mouillés, c’est pleurer : or les larmes du repentir ont toujours été considérées par l’Église comme un second baptême. Et c’est aussi ce qui permet à la bouche de l’homme de demeurer humide et de pouvoir parler (une bouche desséchée ne peut plus proférer une parole). Le péché a rendu l’Homme aveugle de muet. Saint Jérôme insiste beaucoup sur la salive : « la salive du Christ est le remède », et il fait un lien entre la salive « émanation de la substance même du Christ » et la parole du Christ « jaillissant de sa bouche. » Et enfin, Il lui impose les mains sur la tête. Les mains de Dieu-Fils sont celles qui ont façonné l’Homme, qui ont sculpté l’Homme à partir de la poussière du sol5. Ici, nous voyons le Fils recréer cet homme-là. La main est aussi celle qui transmet les énergies divines, la bénédiction6.

Voici maintenant ce qui est le plus étonnant : le Seigneur lui dit : « vois-tu quelque-chose ? ». En fait, Il lui demande de faire un effort, de coopérer à sa guérison. Cela est proche de ce qu’Il dira plusieurs fois à des malades suppliants : crois-tu en Moi ? Crois-tu que J’aie le pouvoir de te guérir ? L’aveugle « lève les yeux »7 : nous pouvons y voir le fait qu’il avait la tête baissée, comme un malheureux, et qu’il la relève, ou qu’il ouvre ses paupières, ordinairement fermées : dans les deux cas, cela signifie un redressement, un relèvement. L’aveugle commence à distinguer des formes : « Je vois les hommes, comme des arbres, mais qui marchent ». Il n’y voit pas encore très bien, mais c’est mieux : il voit. Il est en progrès vers la guérison. Voyant qu’il ne doutait pas, le Seigneur va recommencer le plus important : Il impose à nouveau les mains, mais sur les yeux. En fait, Il commande aux yeux : voyez ! Je vous recrée. Alors l’aveugle voit parfaitement : « il distingue tout ». Il est parvenu à la lumière de la vérité, car le Christ est « la vraie Lumière »8.

Ce rituel, qui annonce nos sacrements, est riche d’enseignements. Le Christ n’a rien demandé au préalable à l’aveugle, parce qu’Il a fait confiance à ceux qui l’amenaient à Lui, ses « parrains »9 (les Apôtres), mais Il a procédé graduellement, pour vérifier sa foi en Lui, et pour le faire participer à sa guérison. Ceci est confirmé par Saint Ephrem le Syrien : « La guérison de cet aveugle progresse avec sa foi, Notre Seigneur lui donnant en même temps des yeux visibles et des yeux cachés. L’aveugle crut peu à peu et le Christ lui donna de voir peu à peu. Alors qu’une petite lumière était née dans ses yeux, une grande lumière naquit dans sa pensée »10.

Tous les actes du Christ, ici, concernent le corps. La maladie de cet homme était physique, corporelle (et non psychique, ou spirituelle comme lors de possessions) : le Christ s’adresse au corps, touche le corps, et même touche l’organe malade, les yeux, et les mouille. Mais, en s’adressant au corps, Il s’adresse aussi à l’âme de l’homme, car le corps et l’âme ne font qu’un seul être11. Nous pouvons aussi souligner qu’il y a le rôle du temps : la guérison ne s’est pas faite immédiatement, elle s’est inscrite dans un temps. Le Christ nous apprend la patience, la confiance en Dieu et nous incite à progresser, évoluer.

L’épilogue est aussi étonnant que l’acte lui-même, car la phrase grecque est ambivalente, comme l’a bien vu Saint Jérôme : « Il le renvoya chez lui [dans sa maison] », mais en ajoutant : « n’entre même pas dans le village », ce qui pourrait sembler contradictoire. Cela a plusieurs sens.

Le premier membre de phrase (rentre chez toi) peut signifier : témoigne auprès des tiens (ta maison) de la grâce que Dieu t’a faite, comme Il l’avait dit au possédé de Gerasa qui voulait Le suivre : rentre chez toi et témoigne de la grâce de Dieu ; deviens missionnaire.

Le second membre de phrase est plus difficile parce qu’on peut supposer que la maison de l’ancien aveugle était dans le village. Le Christ ne voulait pas que les personnes guéries proclament Ses miracles, parce qu’Il voulait être cru sur parole, pour le contenu même de son enseignement ; Il ne voulait pas être perçu comme une sorte de magicien, quelqu’un ayant des « dons », voulant gagner les gens à sa cause en les épatant, en les subjuguant12. Il voulait, conformément aux pensées de son Père céleste, être reçu et aimé gratuitement, comme Dieu nous aime gratuitement. Il nous laisse toujours libre. Plusieurs fois dans l’Évangile nous le voyons imposer sévèrement aux gens guéris de ne pas en parler. Mais cela peut aussi signifier : ne retourne pas en arrière, ne retourne pas vers le péché, Je t’ai permis de revoir la lumière, le Ciel, va maintenant vers la lumière, vers Dieu.

Nous pouvons ajouter qu’il pouvait y avoir aussi une raison pratique : les mouvements de foule autour de sa personne étaient tels que, parfois, Il ne pouvait plus bouger, et pouvaient être une gêne pour Ses déplacements missionnaires (on le voit lors de la guérison du Paralytique de Capharnaüm où la foule est telle qu’on ne plus entrer dans la maison, ni en sortir - Mc 2/2)13.

Les Apôtres sont certainement présents, du moins certains Apôtres. Voyant le Maître agir et procéder, ils sont initiés aux guérisons miraculeuses (ils en feront beaucoup). Et l’Église, à leur suite, procèdera de même lorsqu’elle célèbrera les « Sacrements », notamment le Baptême, la Confirmation (Chrismation) et l’Onction des malades.

Par exemple, lors du baptême, le prêtre fait d’abord les exorcismes, puis oint le corps des catéchumènes avec l’huile et enfin le plonge dans l’eau bénite : il y a une progression, et l’aspect corporel, physique, est important. Dans le rituel romain antique, le célébrant mettait de la salive au-dessus des lèvres et dans les oreilles du catéchumène et proclamait « Effeta » (ouvre-toi). Dans tous les rites du baptême, en Orient comme en Occident, le célébrant impose la main (ou les mains) sur le catéchumène. Et dans le rite occidental, il impose aussi les mains pour la Confirmation (Chrismation).

Tous ces rites nous viennent du Christ, notre Grand-prêtre éternel, l’Évêque de nos cœurs. Que Lui-même, par le Saint-Esprit, agisse à travers les mains des évêques et des prêtres de l’Église !

Pr. Noël TANAZACQ

Notes :


1. Le cas le plus remarquable est celui de la guérison de l’Aveugle-né, mais le contexte est totalement différent, puisque, selon les paroles mêmes du Christ, cette infirmité n’était pas liée au péché, mais pour glorifier Dieu.
2. Cf. Apostolia n°127 d’octobre 2018.
3. Bethsaïde signifie en hébreu « la maison du pêcheur ».
4Homélies sur l’Évangile de Marc, Sources chrétiennes n° 494.
5. « Le Seigneur Dieu forma l’Homme de la poussière de la terre » (Ge 2/7)
6. Lorsque l’évêque ou le prêtre bénit le peuple avec la main (ou les 2 mains), il envoie, transmet la grâce divine au peuple : c’est un sacrement.
7. Saint Jérôme souligne que le terme grec anablepsas signifie « lever les yeux » : pendant qu’il était aveugle, « il regardait vers le bas » (l’ombre, la chute), « il leva son regard et il fut guéri ».
8. D’après Jn 1/9.
9. De même que le prêtre qui va baptiser un catéchumène fait confiance aux parrain et marraine, qui attestent que cette personne est chrétienne de pensée et de cœur.
10Commentaire de l’Évangile concordant, Sources chrétiennes n° 121, p. 239.
11. « Car, comme lâme raisonnable et la chair [le corps] est un seul homme, de même Dieu et lhomme est un seul Jésus-Christ ». Symbole de Saint Athanase (attribué à St Athanase, mais probablement gallo-romain).
12. Après la 1re multiplication des pains, les gens étaient tellement contents et admiratifs qu’ils ont voulu Le faire roi : Jésus s’est enfui… (Jn 6/14-15)
13. Le Christ était le personnage le plus célèbre d’Israël, mais, n’ayant pas de fonction « publique », comme Hérode, Pilate ou même le grand-prêtre en exercice, Il n’avait pas de « garde rapprochée » et tout le monde pouvait l’approcher. Il a connu les mêmes difficultés que nos « célébrités ». Mais Lui devait accomplir sa mission : convertir les hommes et les sauver.

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