Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
Le Christ initie les Apôtres à l’économie ecclésiale
(Mc 9/38-41 ; Lc 9/49-50)
Chaque acte et chaque parole du Christ sont un élément de formation de Ses disciples, appelés à devenir les « Apôtres de l’univers »1 les chefs de l’Église. Nous en avons ici un bel exemple, rarement mis en évidence et commenté.
La scène se passe juste après la Transfiguration et la guérison de l’enfant possédé et muet, et donc vers la fin de la 2è année de mission du Christ, juste avant Sa montée vers Jérusalem. Il est rentré à Capharnaüm avec Ses disciples, comme le mentionne Saint Marc (en 9/33). Deux des Synoptiques rapportent l’évènement : Saint Marc et Saint Luc.
Le point de départ est une remarque de Saint Jean l’Évangéliste, assez curieuse. Il rapporte au Seigneur qu’ils ont vu un homme chasser des démons au Nom de Jésus, alors qu’il ne fait pas partie du collège apostolique, ni des familiers du Christ, et qu’ils l’ont empêché de le faire « parce qu’il ne nous suit pas ». Voilà une information intéressante et étonnante, qui peut nous déconcerter, au même titre que les Apôtres.
Nous savons qu’il existait en Israël, à l’époque du Christ, des exorcistes juifs. Nous les voyons apparaître dans les Actes des Apôtres (19/3) dans la colonie juive d’Éphèse2 (en Asie Mineure) lorsque Saint Paul s’y trouvait : les démons les avaient mis en pièces, en leur disant craindre Paul, mais pas eux…
Il faut rappeler que les démons étaient omniprésents dans l’Antiquité, car tous les cultes païens étaient des cultes liés aux démons, comme l’enseignera le Christ (Il dira du « grand dieu » phénicien Baal : c’est Satan – Mt 12/24 et 26). Et il y avait beaucoup de magie, ce qui implique des sortilèges, des envoûtements et des sorts. Les Juifs étaient un peu protégés, parce que la Loi de Moïse – révélation divine – condamnait toute forme de polythéisme, mais ils furent influencés par les autres peuples, païens, et vaincus par eux (les Assyriens, les Babyloniens, les Grecs puis les Romains) : il y eut aussi, pour cette raison, l’implantation forcée de populations païennes, notamment en Galilée. On pourrait parler d’une forme de contamination païenne en Israël. D’ailleurs, on peut remarquer que le Christ fera beaucoup d’exorcismes en Galilée et dans tout Israël.
Un exorcisme consiste à chasser les démons qui phagocytent et persécutent une personne (ou colonisent un lieu) au moyen de formules rituelles manifestant la puissance divine ; un exorcisme juif devait se faire obligatoirement au nom du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Plusieurs prophètes de l’Ancien Testament ont été de grands exorcistes, craints des démons.
La remarque de Saint Jean nous apporte un élément d’information intéressant : elle nous révèle l’incroyable popularité du Christ en Galilée et dans tout Israël, bien avant Son apostolat à Jérusalem et Sa Passion (un an au moins). Jésus de Nazareth était certainement le personnage religieux le plus connu en Israël. Ce qui est totalement nouveau, c’est que cet exorcisme soit fait au nom de Jésus, ce qui est probablement la première fois dans l’histoire humaine. L’exorciste juif avait certainement entendu parler de Jésus, car Il était le rabbi le plus célèbre d’Israël, et dont les miracles attestaient la puissance divine. Il avait probablement vu le Seigneur faire un exorcisme et il s’était rendu compte que les démons – les esprits sous-Ciel – craignaient Jésus et Lui obéissaient. Pourquoi n’en ferait-il pas autant ? Mais cela ne l’avait pas amené, semble-t-il, à devenir officiellement un disciple de Jésus, ce qui nous révèle aussi que le Seigneur ne forçait personne et respectait la liberté des gens [bien qu’en tant que Dieu, Il sût tout et connût tout].
La réaction spontanée des Apôtres a été de l’empêcher : tu n’as pas de droit de faire cela, parce que tu ne fais pas partie de notre groupe, tu ne suis pas le rabbi de Nazareth. Les Apôtres ont, ici, une réaction « clanique », avec un esprit de groupe un peu sectaire (renforcé par l’hostilité « des Juifs »), comme s’ils avaient un droit de propriété exclusif sur ce qui concernait Jésus. On peut s’étonner qu’ils n’aient pas dit à l’exorciste de venir voir le Maître, car Capharnaüm était une petite bourgade, un gros village. Ils ne se sont pas montrés missionnaires (ils n’en étaient pas encore à ce niveau).
La réponse du Christ est immédiate et sans appel : « Ne l’empêchez pas ». Et Il ajoute : « Car il n’est personne qui fera un miracle en Mon Nom et pourra aussitôt parler mal de Moi. Car qui n’est pascontre nous est pour nous ». Celui qui agit en Mon Nom, agit par le Saint-Esprit, même s’il n’en n’a pas conscience, même si Mon enseignement, Ma doctrine, n’a pas encore éclairé son intelligence. Mais l’intuition de son cœur est bonne. Il leur apprend l’ « économie3 » spirituelle et ecclésiale, qui consiste à ne pas appliquer formellement ni uniformément les principes, les règles, mais à tenir compte des personnes, de l’environnement et des circonstances, contrairement aux scribes et aux Pharisiens qui voulaient appliquer littéralement la Loi sans tenir compte des êtres, du cœur, des intentions profondes, en oubliant la miséricorde. Nous pouvons admirer ici la liberté souveraine du Christ, qui est un des traits caractéristiques de Son comportement pendant Ses trois années de mission. Il ne « réagit » pas, Il est. Il n’est jamais conditionné par ce qui est extérieur : Il agit et œuvre en fonction de Son cœur4 humain uni à Sa divinité, de l’intérieur de Son être. Ici, en l’occurrence, Il est libre par rapport à l’affection que Lui portent Ses Apôtres (qui croyaient Le « défendre »).
Il protège ainsi Ses disciples du sectarisme5 et du prosélytisme6, deux comportements qui sont à l’opposé de Son esprit missionnaire. Son attitude correspond à ce qu’Il avait dit au début de Sa prédication, dans le même lieu, en racontant la parabole du Semeur : Dieusème et il appartientàchacun de cultiver sa propre terre, dans la durée. On peut remarquer qu’Il n’a pas demandé à Ses disciples d’aller chercher l’exorciste et de le Lui amener, pour qu’Il en fasse un disciple. Il l’a laissé libre. Il a mis en pratique ce qu’Il venait d’énoncer. Il est certain que cet homme avait reçu une semence (divine), mais le Christ la laissait croître en lui. Dieu nous laisse toujours la liberté, et le temps (quelle merveille !). Il faut remarquer que l’acte accompli par l’exorciste juif innommé, était foncièrement bon, puisqu’il s’agissait de chasser un démon d’un homme victime des démons, possédé ou persécuté par eux : en fait, il agissait, sans en avoir conscience, comme le Christ. Ilétait donc « pour le Christ ».
Il va donner aussi à Ses disciples un critère de discernement des esprits très important : qui n’est pas contre Moi est pour Moi. Il n’a pas dit :qui n’est pas contre mes pensées, maiscontre Moi, Ma personne [divine]. Il ne situe pas les choses au plan des idées, de la pensée abstraite, mais il s’agit d’un engagement volontaire vis-à-vis de Sa personne, Son être vivant, comme en amour ; il s’agit d’un acte : être pour le Christ ou contre Lui. Il reprendra et complètera ce logion7 chez Saint Matthieu et chez Saint Luc : « Qui n’est pas avec Moi est contre Moi » (Mt 12/30, Lc 11/23). Il s’agit bien d’un engagement personnel vis-à-vis de Sa personne [divine], qui n’implique pas nécessairement qu’on ait compris Son discours, Sa pensée, mais qu’on adhère à Sa personne en raison de ce qu’on a vu (Ses miracles, Sa bonté, Sa miséricorde) et qu’on y adhère de cœur. Remarquons bien que Satan et les démons ne contestent pas les pensées du Christ et n’en discutent pas avec Lui : ils sont contre Sa personne, en rejetant la réalité de Son incarnation. Les Apôtres étaient loin d’avoir compris tout l’enseignement du Seigneur (l’Évangileen témoigne), mais ils adhéraient à Sa personne, Lui le Christ, le Messie, ils avaient foi en Lui. Ici, le Seigneur a la bonté de dire « nous », c’est-à-dire Lui et Ses Apôtres, ce qui est une prophétie de l’Église. C’est encore plus fort chez Saint Luc : « Qui n’est pas contre vous est pour vous » (Lc 9/50) : Il les met au même niveau que Lui.
Cet enseignement du Christ est très important parce qu’il laisse un espace de liberté et de progrès pour tous ceux qui sont en chemin vers Lui. Cela doit nous amener à tenir compte des comportements des autres, de leur être vivant, de leur personne, et non pas seulement de leurs pensées, leurs paroles.
Et Il ajoute, chez Saint Marc, cette phrase émouvante : « Car celui qui vous donnera à boire une coupe d’eau parce que vous êtes du Christ, amen Je vous le dis, ne perdra pas sa récompense »8. Dieu lit dans lecœur des hommes, et il voit leursintentions profondes. Cette phrase est à rapprocher de celle qu’Il dira lors du Jugement dernier : « si vous avez fait du bien au plus petit de Mes frères, c’est à Moi que vous l’avez fait ». Le verre d’eau donné au disciple est en fait donné au Christ Lui-même.
Nous pouvons constater que les Apôtres mettront en pratique ce précepte, se tenant dans « l’esprit du Christ » et que toute l’Église antique s’y réfèrera. Mais, lorsque les entités ecclésiales commenceront à se structurer, lors de la disparition de l’Empire romain (en Occident) ou des invasions en Orient (perse puis musulmane), les Églises locales, nationales vont se rigidifier, les structures deviendront plus pesantes : on privilégiera les canons et les « règles », qui prendront de plus en plus le pas sur l’économie et la miséricorde. L’Église des premiers siècles était beaucoup plus libre, plus souple, plus ouverte que maintenant9. Le cléricalisme10 est un signe de ce changement. L’Églisen’a pas toujours un comportement missionnaire.
L’ÉvêqueJean de Saint-Denis11 disait dans son cours d’ecclésiologie : « Les limites de l’Églisesont imprécises », ce qui signifiait qu’il n’y avait pas une frontière absolue entre ceux qui étaient dedans et ceux qui n’y étaient pas encore. Il pratiquait une large économie et a permis à des foules d’entrer dans l’Église, ou d’y revenir, et de découvrir les richesses de la foi orthodoxe. Il y a beaucoup de Chrétiens qui s’ignorent : il ne faut pas les rejeter, mais leur tendre la main, comme le fait le Christ, et comme le fait la Divine Trinité depuis la chute de l’Homme.
P. Noël TANAZACQ, Paris
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