Ajouté le: 2 Juin 2021 L'heure: 15:14

« Méfiez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens » (Mt 12/38-39 et 16/1-12 ; Mc 8/11-21 ; Lc 12/1)

Pendant toute Sa vie terrestre, le Christ a eu de grands ennemis, et nous pouvons dire qu’Il les a toujours et qu’Il les aura jusqu’à Son retour en gloire et au Jugement dernier. Ils ne Lui ont laissé aucune chance : Il n’a même pas eu droit au « préjugé favorable » qu’on accorde presqu’à tout le monde, en temps normal. C’est pourquoi le Christ dira : « Ils M’ont haï sans raison » (Jn 15/25) et « Ils n’ont aucune excuse à leur péché » (Jn 15/22). Ces paroles terribles – jugement divin – peuvent nous concerner tous. Ses ennemis furent rarement des gens du peuple, de « braves gens », et presque jamais des voyous, des bandits ou des dépravés. Ils vinrent surtout de l’élite religieuse d’Israël, du Sanhédrin, de ceux qui auraient dû bondir de joie de Sa venue, annoncée depuis 2 000 ans par les prophètes et tant attendue. Il y avait trois catégories de personnes importantes au Sanhédrin, qui cumulaient tous les pouvoirs : le clergé juif, les scribes et les Pharisiens.

Le clergé juif, c’est d’abord la « caste » des grands-prêtres, c’est-à-dire des quelques familles monopolisant cette fonction sacrée, et donc le pouvoir religieux juif. Ils sont entourés de « clients », prêtres et laïcs, et constituent le parti des « Sadducéens »[1] dont parle Saint Marc (en 16/1). Ils collaborent avec le faible pouvoir royal des Hérodiens et surtout avec le vrai pouvoir politique, romain. Ce sont des légalistes, qui ont une théologie pauvre et réductrice (ils ne croient pas en la résurrection des morts, ni à la tradition orale du judaïsme), des fonctionnaires religieux rigoristes quant à la Loi écrite (la Torah) et sont les maîtres du Sanhédrin, l’institution suprême de la religion juive. Il est possible qu’il y ait eu, en Israël, des prêtres favorables à Jésus, mais l’Évangile n’en mentionne pas (mis à part Zacharie, le père de Jean-Baptiste, mais qui n’a connu Jésus que bébé et enfant).

Les scribesétaient des spécialistes de l’Écriture et des enseigneurs, des maîtres, des docteurs de la Loi. Un « docteur » était un homme savant, capable d’enseigner (du latin docere, enseigner), en hébreu un « rabbi ». Ce terme, qui donnera « rabbin » (après 70 apr. J-C), est souvent transcrit tel quel dans les textes grec et latin de l’Évangile et parfoistraduit en grec pardidaskalos (enseignant)et en latin par doctor (docteur) ou magister (maître, et aussi directeur, celui qui conduit). À l’origine, ils étaient prêtres (cf. Esdras, vers 400 av J-C), mais à partir du 3è siècle av. J-C, ils furent recrutés surtout parmi les laïcs. Il faut ajouter qu’ils étaient souvent des Pharisiens. D’ailleurs l’Évangile dit souvent : « les scribes et les Pharisiens ». Tout le monde considérait que Jésus était un « rabbi » et un grand rabbi, sans que personne ne sache d’où venait Sa sagesse (cf. ce que disaient les habitants de Nazareth après Son discours dans la synagogue : Mt 4/55-56 et Mc 1 /2-3). Peu d’entre eux osaient affronter Jésus, car le Seigneur savait déjouer tous leurs pièges et Ses réponses étaient sans appel.

Les Pharisiensfurent les plus terribles ennemis du Christ.Ils étaient des « laïcs » pieux, ascètes, voulant appliquer toute la Loi (les 613 commandements recensés dans la Loi de Moïse[2]) tout de suite, se considérant comme « purs » et séparés des impurs (pharisien signifie « séparé »). Les Pharisiens apparaissent dans l’histoire juive au 2è s. av. J-C. Très misogynes, ils vivaient en confréries et n’étaient pas très nombreux (Flavius Josèphe les évalue à 6 000, au 1er s. apr. J-C), mais devinrent rapidement très influents, notamment au Sanhédrin, notamment parce qu’il y avait, parmi eux, de nombreux scribes. Ce sont eux qui perpétueront le judaïsme après la destruction du Temple (en 70 apr. J-C) et la disparition du sacerdoce juif. Centrés sur l’interprétation de la Loi (ils croyaient dans la tradition orale), ils en avaient une application stricte et formelle. Mais l’application formelle des lois spirituelles (comme d’ailleurs des lois civiles) comporte de grands dangers, car le formalisme tue, seul « l’esprit vivifie », comme l’enseigne le Christ[3]. Toute application exclusivement littérale d’un précepte religieux conduit à une impasse spirituelle et souvent à l’inverse du but recherché. Ceci est valable pour tous, à toutes les époques, y compris pour l’Église. Le Seigneur a souvent dénoncé l’hypocrisie des Pharisiens.

Maintenant que nous avons précisé qui étaient les ennemis déclarés du Christ, revenons au texte évangélique. Dans ces péricopes, nous voyons que le Seigneur est mis à l’épreuve – ce qui signifie aussi tenté – par ceux qui se révèleront comme des ennemis implacables. Cela se passe après la délivrance d’un possédé aveugle et muet, où les Pharisiens l’avaient accusé de chasser les démons par le prince des démons – Béelzébul[4] – pour la première péricope de Saint Matthieu, et après la seconde multiplication des pains[5], pour la seconde péricope de Saint Matthieu et celle de Saint Marc. Et c’est à ce moment-là, que dans la région de Dalmanoutha[6] Il est à nouveau confronté aux Pharisiens, qui ne Le lâchent pas. « Pour L’éprouver » [éprouver veut dire aussi « tenter » : ici, ils tentent Dieu], ils « Lui demandent un signe venant du Ciel ». Cela voulait dire : prouve-nous que Tu es le Messie, fais un miracle, « un tour de passe-passe » comme un magicien. Comment l’Homme-image de Dieu peut-il être devenu aussi stupide ? Aucun miracle ne peut changer le cœur d’un homme qui ne veut pas croire. Des milliers et peut-être même des centaines de milliers de gens ont vu les miracles du Christ pendant Ses trois années de mission. Le Christ a ressuscité Lazare devant des milliers de gens, parmi lesquels il y avait certainement des membres du Sanhédrin (et peut-être même le grand-prêtre !). Combien ont cru ? Quelques personnes… Ne croient que ceux qui veulent croire. Le miracle n’arrive que lorsque le cœur de l’homme est prêt à le recevoir. Si les miracles de Dieu pouvaient nous convertir sans avoir à changer notre cœur, nous ne pourrions jamais aimer Dieu, ni jamais Lui ressembler. Quelle illusion ! Les hommes voudraient bien croire [en Dieu] sans s’impliquer eux-mêmes, en raison de preuves « scientifiques », soi-disant objectives. Mais, en amour, il n’y a pas besoin de preuves, il faut s’impliquer, donner sa vie (comme c’est le cas dans l’amour conjugal) : pourquoi sommes-nous si tièdes avec Dieu[7] ?

Le Seigneur, qui lit dans les cœurs, a vu que leur intention n’était pas pure : Il n’est pas dupe. Ils demandent un « signe du Ciel » : le Christ va les prendre au mot et leur donner l’exemple des signes du ciel cosmique avec un certain humour. Avant de manifester Sa colère divine, Il va d’abord Se faire pédagogue : vous êtes capables de comprendre les signes du ciel physique (les nuages, le vent, la couleur du ciel, les étoiles...) pour prédire le temps, à quelques jours près, mais vous êtes incapables – tout savants que vous croyez être dans les réalités spirituelles – de voir que Mes Paroles et Mes actes ne peuvent venir que de Dieu, Mon Père céleste, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de Moïse et du roi David. Puis Il ajoute cette phrase terrible, qui est un jugement divin : « génération perverse et adultère… »[8] c’est-à-dire fils d’Adam et Ève déchus, fils de Satan. Vous n’aurez rien d’autre que le signe de Jonas[9], c’est-à-dire, celui de Ma mort et de Ma résurrection. Ils verront en effet la mort et la résurrection de Jésus, mais ils ne croiront pas (et ne croient toujours pas, 2000 ans plus tard) ! Le miracle éclatant qu’aurait pu faire le Christ n’aurait servi à rien. Cette leçon vaut pour nous et nos contemporains. On ne peut pas tenter Dieu. Il ne répond que lorsque le doute est pur.

 Puis, peu après, il se passe quelque chose qui peut sembler anodin. Après la seconde multiplication des pains et des poissons, qui s’était passée sur la rive orientale de la mer de Galilée[10], Jésus et Ses disciples abordent la rive occidentale, qui leur est familière, vers Dalmanoutha. Et là, les disciples se rendent compte qu’ils ont oublié d’acheter du pain (selon Saint Marc, ils n’en avaient qu’un dans la barque, ce qui était peu pour 13 personnes). Le Seigneur profite de cette circonstance anecdotique (et que l’on pourrait qualifier d’amusante) pour leur faire une recommandation spirituelle : « Voyez[11], gardez-vous du levain des Pharisiens et des Sadducéens (Mt) et d’Hérode » (Mc). Les Apôtres sont (chez Saint Marc) interloqués et se disent : Il nous reproche [gentiment] d’avoir oublié d’acheter du pain. Nous assistons à une situation cocasse, où l’on voit l’abîme qui sépare les pensées divines des pensées humaines. Nous aurions certainement réagi comme les Apôtres… Mais le Christ ne parle jamais des nécessités matérielles de la vie humaine terrestre : Il ne parle que des choses spirituelles, de la vie intérieure, du salut et de la déification, car Il est venu pour cela. Voyant qu’ils sont troublés, mais sans oser le Lui dire, Il les met à l’aise et leur parle ouvertement, en langage clair et non symbolique. Et Il les reprend, en manifestant une certaine fatigue d’avoir à supporter leur inintelligence : « Ne comprenez-vous pas encore ? » « Avez-vous un cœur endurci ?», en citant les prophètes Jérémie et Ezéchiel[12]. Quelle fatigue pour le Christ d’avoir à supporter, en tant qu’homme, notre médiocrité, alors que le Père a en vue de nous déifier ! Rappelez-vous ce que Je viens de faire sous vos yeux, en nourrissant 4000 hommes avec 7 pains, en en laissant 7 corbeilles de surplus (les Apôtres : oui, Seigneur). Ne comprenez-vous pas que je vous parlais d’un autre pain – d’ordre symbolique et spirituel – et d’un autre levain ? Et devant les Apôtres interdits et muets, Il répète (chez Saint Matthieu) la phrase qu’il vient de dire : « Prenez garde au levain des Pharisiens et des Sadducéens ». Ce logiondivin est un grand enseignement spirituel.

Le pain est la nourriture essentielle de l’homme. Mais ce qui est le plus important dans cette pâte, c’est le levain. Il est (avec le sel), le symbole du Saint-Esprit : il fait lever toute la pâte. Sans Lui, on n’obtient que des galettes azymes, immangeables et insipides. Or la pensée de l’Homme, qui sort de son cœur, et qui est la source de sa parole (créatrice, comme celle du Verbe, dont il est l’image) est aussi un levain, pour le bien comme pour le mal. La pensée des Pharisiens et des Sadducéens, qui ne Me reçoivent pas comme Messie, est un levain de Satan, une source d’impiété, de sacrilège, de haine, et de destruction. Prenez-garde, méfiez-vous, ne prenez pas pour argent comptant ce qu’ils disent, n’écoutez pas leurs mensonges, n’entrez pas en dialogue avec Satan, sachez discerner, fermez vos oreilles aux paroles du Menteur, du Diviseur.

Quelle leçon spirituelle ! En fait le Christ nous décrit le péché d’Ève, Il nous met en garde contre le même danger qu’Ève a dû affronter, car, dans les paroles du Serpent antique, il y avait un levain sacrilège, mortifère, qui a produit la désobéissance, le péché. Il aurait fallu que notre première mère ne l’écoutât point et fermât son cœur.

Ce levain des Pharisiens et des Sadducéens existe toujours : c’est celui des hérétiques, dans l’Église, et des idéologies, dans le monde, qui vont à l’encontre des pensées divines et sont des semences de mort spirituelle. Ceci n’est pas contradictoire avec l’enseignement du Christ sur l’amour du prochain, et même des ennemis[13]. Aimer ne signifie pas l’abolition du discernement et encore moins l’adhésion à des pensées, paroles ou actes iniques, non conformes à Dieu. Cela rejoint l’enseignement du Christ qui nous commande d’être « avisés comme le serpent et purs comme la colombe »[14].

Le jugement du Christ sur les scribes et les Pharisiens sera terrible. À la fin de Sa vie publique, après Son Entrée messianique à Jérusalem, et juste avant de prophétiser la Fin des temps et Son second Avènement, le Seigneur prononcera 7 paroles de malédiction, commençant par : « Malheur à vous scribes et Pharisiens hypocrites », en leur prophétisant « la condamnation de la géhenne », c’est-à-dire l’Enfer (Mt 23/13-36).

Les Apôtres ont compris : « Ils saisiront alors qu’Il n’avait pas dit de prendre garde au levain des pains, mais à l’enseignement des Pharisiens et des Sadducéens » (Mt 16/12).

Puissions-nous avoir, par la présence du Saint-Esprit, ce discernement, et veiller à ne pas être ensemencés par un levain de mort spirituelle !

Père Noël TANAZACQ

Notes :


1. Ce terme vient de « Sadoq », établi par Salomon à la tête des prêtres de Jérusalem [chargés du culte et des sacrifices dans le Temple] au 9e s. av. J-C. Selon l’historien juif romanisé Flavius Josèphe, c’est une des 3 « sectes » juives (Antiquités Juives, 18/11-25. Il sera repris par St Hippolyte de Rome (+ 235) dans l’Elenchos.
2. Selon le rabbi Simlaï, au 3e s. apr. J-C, il y aurait 613 commandements dans la Bible : 248 positifs (ce qui est à faire) et 365 négatifs (ce qu’il ne faut pas faire).
3. Le Christ dira : « La chair ne sert de rien,c’est l’esprit qui vivifie » (Jn 6/63), que St Paul transposera en une formule lapidaire célèbre : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie » (2 Co 3/6).
4. Cf. Apostolian° 49 (avril 2012) et n° 144 (mars 2020).
5. Cf. Apostolian° 127 (octobre2018).
6. Dalmanoutha est un hameau entre Magdala et Tibériade, sur la rive occidentale du lac.
7. Dans l’Apocalypse, Dieu « vomit les tièdes… ».
8. Voir Apostolian° 141(décembre 2019).
9. Il s’agit des 3 jours passés dans le ventre de la baleine. Les biblistes et historiens estiment que Jonas n’a pas d’existence historique, mais il est néanmoins cité plusieurs fois par le Christ, et mentionné dans le 2e Livre des Rois, à l’époque de Jéroboam, le fils schismatique de Salomon (fin 10e s. av. J-C).
10. Voir Apostolia n° 127 (octobre 2018).
11. « Voyez » se trouve dans le texte grec et, en général, n’est pas traduit. Il est probable que cela signifie : regardez bien, ouvrez les yeux.
12. Jér. 5/2 et Ez 12.2 : « ils ont des yeux et ne voient point, ils ont des oreilles et n’entendent point ».
13. Cf. Apostolia n° 54 (septembre 2012).
14.  Cf. Apostolia n° 132 (mars 2012).

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