Ajouté le: 3 Avril 2021 L'heure: 15:14

La crucifixion et la mort du Christ. La mort de Celui qui est la Vie (1)

Nous avions abordé dans deux précédents articles le jugement et la condamnation à mort du Christ par le Sanhédrin1, puis la confirmation de cette sentence par Pilate et le début de Sa Passion, c’est‑à‑dire de Son martyre2. Nous allons Le suivre maintenant dans l’abîme de la méchanceté diabolique et de l’ingratitude humaine, c’est‑à‑dire Sa crucifixion et Sa mort sainte et héroïque. Nous assistons en larmes à la mort de Celui qui est la Vie : Dieu tué par Ses propres créatures, dans Sa nature humaine. Saint Jean Chrysostome dit que les souffrances inimaginables du Christ nous mettent « dans un profond anéantissement »3. Nous sommes muets devant ce mystère, qui dépasse notre intelligence et notre imagination.

Cet évènement capital pour le salut du monde et de l’Homme, qui est le comble de l’humilité de Dieu et de Son amour pour Ses créatures, est rapporté évidemment par les quatre évangélistes. Les trois Synoptiques ont des chronologies proches, différentes de celle de Saint Jean, mais, comme le Disciple bien‑aimé en fut le seul témoin oculaire, nous lui donnerons la préférence. Il a été commenté par tous les Pères de l’Église depuis 2000 ans, mais, comme nous l’avions dit pour la première partie de la Passion, ils l’ont fait brièvement, probablement parce que l’Évangile est explicite : il parle de lui‑même. Nous avons privilégié dans le corps du texte les aspects théologiques et spirituels, et reportés en note les aspects techniques et médicaux, en nous appuyant sur les résultats des études bibliques, archéologiques et scientifiques des trois principales reliques de la Passion du Christ : le saint Linceul de Turin, le saint Suaire d’Oviedo et la sainte Tunique d’Argenteuil4.

Nous en étions arrivés au moment où le Gouverneur Ponce Pilate cède devant le peuple, instrumentalisé par le Sanhédrin, qui l’a menacé de le dénoncer à l’empereur Tibère s’il relâchait Celui qui affirmait être « roi ». La lâcheté des païens et la mauvaise foi des Juifs ont eu raison du Juste. Maintenant, le pouvoir romain doit appliquer la sentence, c’est‑à‑dire mettre à mort Jésus, dans les plus grandes souffrances.

Le Seigneur se trouvait dans le prétoire du Gouverneur, c’est‑à‑dire dans la forteresse Antonia, qui jouxtait le Nord‑Ouest de l’esplanade du Temple et qui était le siège du pouvoir romain à Jérusalem. Il avait été arrêté la nuit précédente (qui correspond, pour nous, à la nuit du Jeudi au Vendredi saints), avait subi un jugement très pénible par le Sanhédrin (avec insultes, gifles, coups, crachats) au petit jour, puis avait été conduit, lié comme un malfaiteur, à la tour Antonia sous les huées de la foule, ameutée par les sanhédristes, jugé par Pilate qui avait pris les choses de haut, méprisé par Hérode Antipas qui s’était moqué de Lui, puis flagellé sans raison (Il aurait dû en mourir) avec une très forte perte de sang, et portait une couronne d’épines atrocement douloureuse. De plus, Il était à jeun depuis la veille au soir et n’avait pas dormi. C’était un homme épuisé. À Ses immenses souffrances physiques, qu’aucun homme n’aurait pu supporter, s’ajoutait une détresse morale tragique, puisqu’Il était abandonné de tous. Mais Il n’était pas au bout de Ses peines. Il va recevoir maintenant le coup de grâce, l’estocade finale, mais qui va durer au moins 3h.

Il est un condamné à mort de l’État romain et Il va être exécuté selon les lois romaines. Le supplice prévu par ces lois pour les esclaves et les personnes n’ayant pas la citoyenneté romaine5 – ce qui est le cas de Jésus – est la crucifixion. Si les Juifs avaient eu le droit de Le mettre à mort, cela aurait été par lapidation, conformément à la Loi de Moïse. Ajoutons que la législation interdisait de mettre à mort quelqu’un à l’intérieur d’une ville : Il va donc être conduit hors les murs de Jérusalem. Et ces exécutions étaient toujours faites dans un lieu bien visible, avec une certaine publicité, car un des buts était de faire peur, pour que les gens se tiennent tranquilles6. Mais Dieu va tirer du bien de cette « mise en scène » voulue par les lois romaines, car le monde entier connaîtra le sacrifice du Christ, jusqu’à la fin des temps7.

Comme le disent Saint Matthieu et Saint Marc, les soldats Lui retirent les oripeaux destinés à ridiculiser Sa fonction royale, le roseau et la chlamyde rouge, mais pas la couronne d’épines infiniment douloureuse. Satan veillait. Puis ils Lui remettent Ses vêtements. Nous en avons un témoignage précis et matériel puisque la tunique sans couture du Christ, tissée par Sa mère Marie, est conservée en France à Argenteuil depuis Charlemagne (8è siècle) : elle est complètement imprégnée du précieux sang du Christ, car Son corps était entièrement ensanglanté à la suite de la terrible flagellation8. Un groupe de soldats commandés par le centurion Longin (dont nous reparlerons en fin d’article) est chargé de conduire le condamné au lieu du supplice. Il va donc falloir traverser la partie Nord de Jérusalem, au milieu d’une foule haineuse. C’est ce que la tradition chrétienne appellera ultérieurement le « chemin de croix ».

Pour comprendre ce que le Christ a souffert pour nous, disons un mot sur le supplice de la croix. Les tortures et les châtiments corporels ont été pratiqués depuis qu’il existe des « États », c’est‑à‑dire depuis 6000 ans, parce que les souffrances infligées publiquement suscitaient la peur et calmaient l’ardeur des mécontents. C’est l’Église qui, petit à petit, adoucira les moeurs9 en christianisant la société. Le supplice de la croix a été probablement emprunté par les Romains aux Phéniciens. Selon Jules César, qui était un expert en la matière, c’était le plus terrible de tous les châtiments. En effet, le supplicié mourait lentement (pour le Christ : 3 heures), parce que le poids de son corps l’empêchait petit à petit de respirer : il se voyait donc mourir par asphyxie, inexorablement. El les clous qui perçaient son corps ne faisaient qu’accroître ses souffrances. Autre « avantage » pour les gouvernants : le supplicié étant élevé10 à environ 2 m du sol était vu par tous et de loin. La croix était en deux parties : un pieu fixe, le stipes11, planté à demeure au lieu du supplice, et le patibulum, la partie horizontale de la croix, que l’on emmanchait sur le stipes.12 Le Deutéronome ne dit pas « crucifié », mais « pendu au bois »13 et déclarait maudits ceux qui l’étaient (Dt 21/22‑23).

Le chemin de croixlui‑même est relaté brièvement par Saint Matthieu et Saint Marc (un verset !) et encore moins par Saint Jean. Seul, Saint Luc est plus explicite. Le trajet réel nous est inconnu. Le cortège partait du Nord du Temple (la tour Antonia) et devait sortir de la ville par une des portes (probablement celle d’Ephraïm) pour atteindre le « gibet » du Golgotha : il y a de 400 à 500 m, ce qui peut paraître court lorsqu’on se porte bien, mais qui est une horreur dans l’état physique et les conditions où Se trouvait le Christ. Les Apôtres (surtout Saint Jean, qui est le seul à avoir tout vu), et les premiers Chrétiens ont soigneusement conservé en mémoire tous ces lieux saints, qui deviendront, après 32414, des lieux de pèlerinage pour l’Église de Jérusalem15, mais il ne faut pas oublier qu’il y aura trois siècles de persécutions et que la topographie de la ville sera bouleversée lorsque l’empereur Hadrien la transformera en ville romaine païenne (Aelia capitolina) après sa victoire définitive, lors de la 2è guerre juive en 135.

Les condamnés devaient porter eux‑mêmes leur croix, c’est‑à‑dire, en fait, le patibulum, qui étaitlourd (il pouvait peser jusqu’à 50 kg) et qui était porté sur les épaules (on en retrouvera les traces sur le saint Linceul de Turin). A cela s’ajoutait l’écriteau [le titulus] sur lequel était gravé le nom du condamné ainsi que le motif de sa condamnation, suspendu à son cou (nous y reviendrons plus loin). Dans l’état d’épuisement physique et moral du Christ, c’était quasiment impossible (une tradition dit que le Christ serait tombé 7 fois)16. Le centurion romain va donc obliger un passant, Simon de Cyrène17 qui revenait des champs avec ses deux fils Alexandre et Rufus, à aider Jésus à porter Sa croix « derrière Jésus » (Lc 23/26). Pourquoi ? Parce qu’il fallait impérativement que le condamné ne mourût point en route, sinon le peuple n’était pas content : le spectacle devenait sans intérêt… Il fallait le crucifier vivant, et qu’il souffre. La populace aime le sang. Il est probable que Simon ait porté seul la croix à la place de Jésus, qui tombait sans cesse et ne pouvait plus avancer.

 St Luc est le seul à nous préciser qu’une « foule (?) [bienveillante] suivait Jésus » (de loin) avec de nombreuses « femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Lui » (...) : il s’agit probablement des « saintes femmes » – des femmes‑disciples – dont il sera question un peu plus tard, mentionnées par St Jean, juste avant la mort du Christ. Le Seigneur prend le temps de s’arrêter et de leur parler : « Filles de Jérusalem [filles de Dieu], ne pleurez pas sur Moi… (quelle abnégation et quelle confiance en Son Père céleste !) … mais pleurez sur vous‑mêmes et sur vos enfants ». Car Moi Je vais mourir, et Je ressusciterai dans trois jours. Mais vous‑même – et toute l’humanité – allez souffrir tragiquement, car s’il arrive cela à Moi, votre Créateur –  « le Bois vert » –, dans les veines humaines duquel coule le Saint Esprit, la sève divine vivifiante – que vous arrivera‑t‑il à vous – «le bois sec » – dont les membres sont morts depuis la chute d’Adam et Ève ? Vous souhaiterez mourir et disparaître.

L’Évangile ne nous dit pas tout : nous devons aussi tenir compte de la Tradition. Elle nous dit qu’une femme, émue de voir le visage du Christ ruisselant de sueur, de poussière et de sang [la couronne d’épines] l’aurait essuyé avec un mouchoir immaculé pour Le soulager, et que l’image de la « sainte Face » s’y serait imprimée. La tradition dit qu’il s’agit de Ste Véronique, qui est connue pour être une disciple du Christ. Cette relique – qu’il ne faut pas confondre avec le saint Suaire d’Oviedo, qui couvrit le visage du Christ lors de Sa descente de croix et de Sa mise au tombeau – est conservée à Rome, mais l’image du visage du Christ qui s’était imprimée miraculeusement, s’est effacée avec le temps18. Cet acte courageux et miséricordieux est le thème de la 6è station du « Chemin de croix ».

Le cortège arrive enfin au calvaire19, le lieu officiel des exécutions. Nous en savons beaucoup de choses. Ce lieu s’appelait le « lieu du crâne » (en hébreu Golgotha), c’est‑à‑dire du crâne d’Adam, le lieu de sépulture de notre premier père Adam20, selon la tradition juive immémoriale. Le symbole est remarquable, car le Christ est venu racheter la faute d’Adam, sauver Adam et Ève et leur rouvrir la porte du Paradis. Adam et Ève, c’est nous, c’est moi. Ce lieu de mort se trouvait hors les murs parce que la loi romaine l’exigeait : la « cité » était le lieu de la vie et des vivants. La mort était un signe de malédiction : la ville des morts, la « nécropole » [en latin coemeterium21] devait être hors de la ville, juste derrière les remparts. Il s’agissait d’une ancienne carrière de pierre, abandonnée au 1er siècle av. J‑C, au milieu de laquelle se trouvait un piton calcaire22 servant de gibet, qui était précisément le calvaire. Il y avait évidemment un chemin d’accès à ce piton rocheux. Le site lui‑même correspondait au but recherché par le pouvoir romain : que les crucifiés soient vus de tous, et de loin, d’autant plus qu’il était près d’une route passante, celle de Joppé (Jaffa).

Parvenus au Golgotha, Saint Matthieu et Saint Marc rapportent alors un fait qui peut sembler anodin, mais qui est fort intéressant : juste avant de crucifier Jésus, les soldats « Lui donnèrent à boire du vin mêlé de myrrhe23 (Mc), mais Il ne voulut pas en boire (Mt). C’était un usage courant de donner au supplicié une boisson de type narcotique, un peu anesthésiante, pour atténuer ses souffrances. Le Christ l’a refusée, parce qu’Il voulait vivre Sa Passion, Son sacrifice, en pleine conscience et liberté, sans tricher, sans « dopage » : on ne Lui a pas pris Sa vie, Il l’a donnée lorsqu’Il l’a voulu [en fait, lorsque Son Père céleste le Lui a demandé]. Puis Jésus est déshabillé, ne conservant qu’un pagne, comme cela était l’usage, Il est allongé sur le patibulum et Ses mains y sont clouées24, comme l’avait prophétisé le Roi David dans les psaumes25, ce qui provoquait de « violentes douleurs brûlantes irradiant jusqu’au cou » : puis les bourreaux Le relèvent, emmanchent le patibulum sur le stipes, le pieu fixe, et clouent Ses deux pieds en même temps avec un seul clou26 (il fallait 4 bourreaux pour faire ce travail). Le Dr Barbet a démontré qu’aucun des os du Christ n’avait été brisé par les clous, comme l’avait prophétisé le roi David 1000 ans auparavant27, même si les douleurs furent « effroyables ». Il a aussi prouvé, par l’examen des coulées de sang sur le Linceul, que les soldats avaient laissé la terrible couronne d’épines sur la tête du Seigneur.  Jésus s’est laissé crucifier sans rien dire, comme l’avait prophétisé Isaïe28 : l’Agneau de Dieu accepte d’être sacrifié pour un péché qu’Il n’a pas commis, pour sauver l’Homme déchu. Il obéit à Son Père, et l’Esprit Lui donne la force de le faire, dans Sa nature humaine. Ainsi, le seul Homme juste est crucifié dans Sa chair, au vu et au su de tous. C’est à ce moment‑là que Saint Jean nous précise qu’on a crucifié en même temps deux brigands, condamnés à mort pour leurs méfaits. Mais nous y reviendrons plus loin.

Pendant la crucifixion, ou juste après, Saint Luc – seul – rapporte une des phrases les plus étonnantes du Christ, qui deviendra une des plus connues : « Père, pardonne‑leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23/24). Souvent, elle est rapportée « aux Juifs » et même à toute l’humanité. Mais cela ne correspond ni à la situation, ni au reste de l’Évangile. À ce moment‑là, le Seigneur est au milieu des soldats, alors que le peuple est tenu à distance : les soldats ne savent pas qui est Jésus ; Il a été condamné « régulièrement » par les autorités en place, ils exécutent ce jugement et font leur travail. Effectivement, ils ne savent pas ce qu’ils font29. Mais les membres du Sanhédrin, eux, savent ce qu’ils font30, et le Christ l’avait dit explicitement la veille : « Mais maintenant [que Je suis venu et que Je leur ai parlé], ils n’ont aucune excuse à leur péché » et : « ils M’ont haï sans raison »31, et Il avait dit, environ un an auparavant, aux Pharisiens qui l’agressaient dans le Temple : « Vous mourrez dans votre péché »32, ce qui leur prédisait l’Enfer, la mort éternelle. Quant au Peuple, qui fut témoin de toutes les merveilles qu’Il fit et qui ensuite cria « à mort » et « que son sang retombe sur nous et sur nos enfants », le Christ lui a répondu en maudissant « les villes du Lac », qui ne l’avaient pas accueilli et en leur prédisant un traitement pire que celui de Sodome (Mt 11/20‑24), et Son jugement pendant Son Chemin de croix a été terrible : « qu’arrivera‑t‑il au bois sec ? » [il brûlera…].

Les soldats clouent au‑dessus de la tête de Jésus le titulus, qu’Il avait dû porter à son cou et qui était rédigé en hébreu, en latin et en grec33 [les trois langues officielles de la Palestine romaine]. Mais Pilate a fait écrire : « Celui‑ci est Jésus le Nazaréen, le roi des Juifs », probablement pour narguer les Juifs, qui lui avaient forcé la main. Le Sanhédrin est furieux et va trouver Pilate : n’écris pas cela, mais : « Il a dit que…». Pilate, faisant enfin preuve d’autorité, les renvoie : « ce que j’ai écrit est écrit ». En fait, il a été inconsciemment inspiré par le Saint‑Esprit, car c’est la proclamation publique d’une vérité éternelle. Le titulus a été en partie conservé, grâce à Ste Hélène, qui en avait ramené la partie centrale à Rome et qui se trouve à l’église Sainte‑Croix de Jérusalem34. Les soldats, qui tiennent la foule à distance, s’asseyent et Le gardent (Mt 27/36) : ils ont fait leur travail.

Àquelle heure la crucifixion a‑t‑elle eu lieu ? C’est un problème difficile, en raison d’une imprécision du récit de Saint Marc (qui est l’Évangile de Pierre, mais ce dernier n’était pas présent au Calvaire). Saint Marc dit : « c’était la 3è heure [c’est‑à‑dire 9 h du matin] lorsqu’ils Le crucifièrent ». Or c’est impossible puisque, lorsque Pilate présenta Jésus au peuple en disant : « Voici votre Roi », Saint Jean ajoute : « c’était environ la 6èheure [vers midi] (Jn 19/14). De plus, les trois Synoptiques disent clairement que « de la 6è heure jusqu’à la 9è heure, l’obscurité arrive sur le pays tout entier ». ; or, cette éclipse totale de soleil, réelle, est le symbole de la mise à mort du « Soleil de justice »35, le Christ. Les biblistes expliquent que « la 3è heure » peut signifier « tierce », qui était l’intervalle de temps entre la 3è et la 6è heure, et qu’on pouvait être vers la fin de tierce, c’est‑à‑dire proche de midi (ce qui correspond à l’expression de Saint Jean : environ la 6è heure). Toute la tradition symbolique chrétienne ultérieure a considéré que Jésus avait été en croix pendant 3 heures, parce que cela symbolise la participation du Père et de l’Esprit à Son sacrifice36. Nous y reviendrons.

Il y avait un usage indécent, mais permis par la loi romaine : lorsqu’un condamné était crucifié, et donc déshabillé, les soldats se partageaient ses vêtements (pour les vendre, car les vêtements à l’époque antique avaient une grande valeur marchande) : c’était une sorte de prime professionnelle37. Les soldats font ainsi : ils font 4 lots qu’ils se répartissent, ce qui nous permet de savoir qu’ils étaient quatre à garder Jésus, les autres étant probablement rentrés au quartier. Mais il y a un problème avec la tunique du Christ, qui était Son vêtement de dessous, une sorte de grand T‑shirt qui arrivait à mi‑cuisse, car elle avait un caractère exceptionnel : elle avait été tissée par Sa mère, Marie, sans couture, tout d’un bloc. Les soldats considérant la valeur d’un tel vêtement se disent : « ne la déchirons pas, mais tirons‑la au sort » (Jn 19‑24). Ils la jouent aux dés et l’un d’entre eux la gagne. C’est cette même Tunique, récupérée par les Apôtres (probablement rachetée à un soldat) et qui fit partie du trésor sacré de Constantinople, qui fut offerte par l’impératrice Irène à Charlemagne en 801, et qui est conservée – mutilée – en France, à Argenteuil38. Les Chrétiens ont toujours vu dans cette absence de couture le symbole de l’unité de l’Église. Effectivement, elle est maintenant déchirée, comme l’Église est divisée.

Les évangélistes abordent ensuite la présence des deux larrons39. Comme c’était assez compliqué de procéder à une exécution capitale (il fallait mobiliser une centurie pour veiller au maintien de l’ordre), on les regroupait pour faire une « fournée ». Ce fut le cas pour celle du Christ. Les quatre évangélistes rapportent qu’on a crucifié en même temps que Jésus deux bandits, condamnés « de droit commun », en précisant bien : l’un à Sa droite et l’autre à Sa gauche. Le seul homme juste, Jésus, « a été mis au rang des malfaiteurs » (Is. 53/12). Chrysostome fait remarquer que le fait de crucifier Jésus au milieu de deux « voleurs » permettait de « Le faire passer pour un scélérat ». Les larrons ont probablement été attachés à leurs croix avec des cordes, ce qui était beaucoup moins douloureux, et donc leur permettait de parler plus facilement.

L’un des larrons injurie Jésus en Lui disant : « Si tu es le Christ, sauve‑Toi Toi‑même et nous aussi ». Mais l’autre le reprend : « Tu ne crains même pas Dieu, alors que tu subis la même condamnation ». Nous, nous payons pour nos méfaits (ce qui était une façon de confesser ses fautes, comme le souligne Saint Jean Chrysostome40), mais Lui est un juste. Et il ajoute cette phrase magnifique : « Jésus, souviens‑Toi de moi quand Tu viendras dans Ton Royaume ». À l’instant même, il s’est repenti et converti. Le Christ répond aussitôt : « Amen, Je te le dis : tu seras aujourd’hui avec Moi dans le Paradis ». On ne peut pas lire ou entendre cette parole sans pleurer, car elle est une des plus belles et des plus émouvantes de l’Évangile. Cet ancien voleur a eu compassion de Dieu souffrant, alors que les grands‑prêtres, les scribes et les Pharisiens – les « religieux » – L’avaient condamné à mort et l’insultaient sur la croix. Le Seigneur ne lui a pas dit : « quand tu te seras repenti », ni « dans trois jours, lorsque Je ressusciterai », mais « aujourd’hui », c’est‑à‑dire ce soir du Vendredi Saint, dès que Je serai mort et que J’aurai ouvert la prison de l’Enfer et délivré Adam et Ève, Je t’emmènerai avec Moi dans le Royaume céleste de Mon Père. Dès que l’homme pécheur change son cœur et se repent, Dieu accoure et pardonne, comme le Christ l’avait dit dans la parabole de l’Enfant prodigue41. Cet évènement spirituel qui dépasse nos pensées et brise nos canons est un des fondements du christianisme. Tous les religieux professionnels, formalistes et rigoristes, devraient lire, relire et méditer ce passage, et se souvenir que le Christ a sans cesse pratiqué « l’économie spirituelle », Lui qui avait dit : « C’est la miséricorde que Je désire et non les sacrifices » (Mt 9/13, citant Os 6/6). Étant eux‑mêmes bénéficiaires de cette économie divine, parce qu’ « il n’y a pas d’homme qui vive et ne pèche pas », ils devraient offrir cette économie aux autres et non les rejeter.Celui que la tradition appelle « le Bon Larron » sera canonisé par l’Église sous le nom de Saint Dismas42.

Bien que la foule soit tenue à une certaine distance par les soldats, elle est bien là, car elle aime les spectacles sanglants et prend un plaisir malsain à voir combien de temps les condamnés vont « tenir ». Cela ressemble un peu aux spectacles de l’amphithéâtre où l’on voyait s’affronter des gladiateurs, ainsi que des hommes face à des bêtes sauvages. Au premier rang se trouvent des membres du Sanhédrin qui sont enchantés d’avoir fait céder le gouverneur et d’avoir enfin réussi à faire exécuter une sentence de mort contre le rabbi de Nazareth, qui était dangereux pour leur pouvoir : ils ont gagné ! Satan a gagné ! Et ils ne se contentent pas de cela : ils injurient Jésus en se moquant de Lui : « Toi qui détruis le Temple et le rebâtis en 3 jours, si Tu es Fils de Dieu, descends de la croix ». Les grands‑prêtres, les scribes et les anciens se moquent : « Il en a sauvé d’autres et Il ne peut Se sauver Lui‑même » ; « S’il est roi d’Israël, qu’Il descende de la croix, et nous croirons en Lui » ; « Puisqu’Il a dit qu’Il était Fils de Dieu, que Dieu vienne Le délivrer »… On hoche la tête, on rit, on s’amuse bien. Les prêtres et le peuple se moquent de Dieu : ils narguent Dieu. Les soldats s’y mettent aussi : « Si Tu es le Roi des Juifs, sauve‑Toi Toi‑même » (mais ils sont des païens, contrairement aux Juifs). Dieu est la risée de ceux qu’Il a créés. Pas un n’a compassion de cet homme souffrant, dans un corps ensanglanté, qui n’a fait que du bien, gratuitement, et n’a jamais fait aucun mal à personne. Voilà comment l’humanité traite son Dieu et Créateur, jusqu’à présent. On entend exactement les mêmes abominations dans la bouche de nos contemporains, qui, au lieu de tuer Jésus physiquement, prononcent des paroles sacrilèges et des blasphèmes, tuent Ses fidèles dans de nombreux pays, et essaient de détruire Son Église. Mais le Christ – Sagesse faite homme – n’a pas répondu aux insultes : Sa paix intérieure n’est jamais troublée par ce qui vient de l’extérieur.

Mais, heureusement, il n’y a pas que des méchants sur terre. Il y a « un petit reste » qui aime Jésus et qui souffre pour Lui un martyre intérieur. Alors que les Apôtres brillent par leur absence – sauf Saint Jean – les saintes Femmes – les femmes‑disciples – sont là, plus courageuses que les hommes. Et au premier rang de ces femmes, il y a Marie, Sa Mère, présente « au pied de la croix », probablement parce qu’elle est la mère du condamné et que les soldats la laissent approcher. Il s’accomplit alors pour elle la prophétie faite 33 ans plus tôt par le juste vieillard Siméon, lors de la Présentation de Jésus enfant au Temple (le 2 février) : « un glaive lui transperce l’âme » (Lc 2/35), car elle sait que son Fils, crucifié devant elle, est Dieu. Jésus, sachant qu’Il va mourir, prend soin de Sa Mère et du disciple‑ami, Saint Jean, qui était un tout jeune homme. « Femme, voilà ton fils » : en cet instant Jésus proclame Sa mère « nouvelle Ève », comme Il est Lui‑même « Nouvel Adam » (1 Co 15/45) : elle sera la mère de tous ceux qui seront sauvés par Lui, et tous ses fils seront des frères du Christ et donc des enfants du Père céleste. Il dit ensuite à Jean : « Voilà ta mère », pour qu’il prenne soin d’elle, car une femme seule, d’un certain âge (environ 50 ans, ce qui était vieux pour l’époque) et dans une société masculine, était sans défense. Il demande à Jean de Le remplacer auprès de Sa mère et de la protéger, ce que Jean fera scrupuleusement jusqu’au départ de Marie pour le Royaume de Son Fils. Cela signifie aussi : renonce aux liens biologiques (Jean avait une mère, Salomé, qui était présente à quelques mètres) et ne cultive plus que les liens spirituels, qui, seuls, peuvent vous amener à la ressemblance à Dieu.

D’autres femmes sont là, « se frappant la poitrine » et pleurant, dont Marie de Magdala, la femme très aimante de l’Évangile, qui avait changé de vie par amour pour le Christ et L’avait oint de parfum en vue de Sa sépulture. Il y a aussi Marie Jacobé, mère de Jacques le Mineur et José43, et Salomé44, mère de Jacques le Majeur et Jean. Il est remarquable que ces « trois Marie » comme on les appelle en Occident, seront les premières à venir au tombeau le matin de Pâques et à qui le Ressuscité apparaîtra (le Seigneur ayant visité Sa mère mystérieusement, en premier). Ceux qui sont au pied de la croix, et qui auront compassion du Crucifié, verront la gloire du Ressuscité.

Notes :

1Apostolian° 97 d’avril 2016 : Le jugement et la condamnation à mort du Christ.
2Apostolia n° 145 d’avril 2020 : Jésus jugé par Pilate.
3Commentaire sur l ’Évangile selon Saint Matthieu, homélie 87, p. 536, Éd. Artège.
4. Le lecteur pourra vérifier tout, en se reportant aux nombreux ouvrages publiés depuis plus d’un siècle, et traduits dans toutes les langues.
5. Pour les citoyens romains, c’était la décollation (ce qui sera le cas pour Saint Paul). C’est certes très douloureux, mais rapide.
6. Cela restera vrai jusqu’au 19e siècle, et c’est encore vrai dans les pays totalitaires et notamment dans les pays islamiques.
7. Si le Sanhédrin avait réussi à tuer Jésus discrètement ou secrètement, l’humanité n’en aurait rien su…
8. Sur la Sainte Tunique et la flagellation, on peut se reporter à notre article indiqué en note 2, ainsi qu’à notre article sur la Sainte Tunique dans Apostolian° 98 demai 2016.
9. Et non les idéologies politiques et sociales, qui accroîtront les violences.
10. D’ailleurs le Christ y fera allusion, lors qu’Il prophétisera : « Et Moi, quand J’aurai été élevé de la terre, J’attirerai tous les hommes à Moi » (Jn 12/32). Tous les Juifs savaient que « être élevé » signifiait être pendu à une croix.
11. Lors des fouilles de 1986 dans la chapelle du Golgotha du Saint‑Sépulcre de Jérusalem, on a retrouvé l’endroit exact où était planté le stipes de la croix de Jésus, ainsi que l’anneau de pierre dans lequel il était emmanché (Skarlakidis, la Sainte Lumière, 2017, p.154‑155, avec croquis et photos).
12. D’après le Dr Barbet : La Passion de Jésus‑Christ selon le chirurgien, 1e édition 1950, rééd. en 1965.
13. Expression reprise par Saint Paul inGal 3/13.
14. Fin de la persécution de l’empereur païen Licinius en Orient (313 en Occident avec Constantin).
15. La tradition catholique‑romaine l’a appelée la « Via dolorosa » (le chemin de douleur), et transposera dans ses sanctuaires occidentaux son « Chemin de croix » [Via crucis] du Vendredi saint, emprunté aux usages originels du Patriarcat orthodoxe de Jérusalem, supplanté par les armes lors des Croisades au 12e s., mais interprétés par elle et probablement modifiés (les 14 « stations » actuelles n’apparaîtront qu’au 18e s. )
16. Contrairement au « Chemin de croix », en usage dans l’Église romaine, où ne sont mentionnées que 3 chutes du Christ. C’est à mettre en relation avec les 7 jours de la création et le refus de l’Homme de passer au 7e jour – l’union à Dieu – en péchant : c’est le Christ qui va le faire pour nous, mais par la mort (et en ressuscitant le « 8è jour »).
17. C’était un juif de la diaspora (Cyrène était dans la province de Lybie, dans la partie grecque de l’Empire). En 1941, on a retrouvé à Jérusalem la tombe de « Rufus, fils de Simon de Cyrène ».
18. Il y a eu, néanmoins, un grand miracle le 6 janvier 1849, où l’image estompée s’est reconstituée momentanément devant une foule de pèlerins.
19. Calvaire : du latin ecclésiastique calvaria, crâne, traduction latine de l’hébreu Golgotha, qui vient de gulgulet: crâne.
20. C’est pourquoi, toutes les croix orthodoxes représentent un crâne, sous les pieds du Christ.
21. Qui donnera en français : cimetière.
22. Très bonne description avec plans et photos in : Skarlakidis, p. 162‑168.
23. Chez Saint Matthieu : mêlé de fielc’est à dire de bile animale, très amère, comme la myrrhe, pour rappeler la prophétie du Ps 68 [He 69]/22a : « Ils mettent du fiel dans ma nourriture… ». La myrrhe donnait un goût très amer au vin et augmentait son caractère enivrant.
24. Les clous avaient environ 12 cm de long et 8 mm d’épaisseur, avec une tête arrondie : ils étaient enfoncés, non dans les paumes, qui se seraient déchirées avec le poids du corps, mais dans les poignets (dans « l’espace de Destot »), blessant les muscles et « lésant un nerf moteur ».
25. « Ils ont percé Mes mains et Mes pieds : je pourrais compter tous Mes os » (Ps 21[He 22]/17‑18).
26. Le pied gauche était rabattu sur le droit, et l’unique clou était planté « entre le 2e et le 3e métatarses ». Toutes ces précisions son tirées de l’examen du saint Linceul.
27. « Le Seigneur veille sur tous Ses os : pas un ne sera brisé » (Ps 33[He 34]/21).
28. « Comme un agneau sans tache, muet devant celui qui Le tond, Il n’a pas ouvert la bouche (Is 53/7).
29. D’ailleurs la parole du Christ s’accomplira pour le Centurion Longin et, selon la tradition, 2 autres soldats, qui seront pardonnés et deviendront chrétiens. Tandis que les successeurs du Sanhédrin, le judaïsme rabbinique issu des Pharisiens, continue à proclamer, 2000 ans après, que Jésus n’était pas le Messie et donc que Sa condamnation était juste.
30.Une grande partie des sanhédristes avaient vu la résurrection de Lazare. Comme l’avait dit Nicodème le Pharisien, membre du Sanhédrin, à Jésus : « Rabbi, nous le savons, Tu viens de la part de Dieu…Personne ne peut faire les miracles que Tu fais, si Dieu n’est pas avec Lui » (Jn3/1).
31. Lors de Son dernier discours, après la sainte Cène, et avant Son arrestation et Son jugement par le Sanhédrin.
32. Jn 8/21 et 24 : le Christ l’a dit 3 fois de suite… Jugement divin.
33. Comme l’hébreu se lit de droite à gauche, les textes grec et latin ont été gravés aussi de droite à gauche.
34. Mais il n’en reste pas grand‑chose, car il a été très abîmé au fil des siècles. On estime que le titulus complet faisait 60 x 20cm, ce qui était lourd au cou du Christ, s’ajoutant aux souffrances de la couronne d’épines.
35. Mal 4/2.
36. De même que le Christ restera « 3 » jours dans le tombeau.
37. Cet usage a duré longtemps. Lorsque les R&eac
38. Au moment de la Révolution française et de la grande persécution des Chrétiens de France, le curé la découpa en morceaux pour la cacher dans la terre et éviter qu’elle ne soit détruite. On a réussi à en reconstituer une partie et on a pu vérifier, lors de sa restauration récente, qu’elle n’avait aucune couture (cf. notre article mentionné en note 8).
39. Du latin latro, qui signifie voleur, et qui donnera en vieux français « larron ».
40Sur Saint Marc : la croix et le larron, P.G. 49.
41. Lc 15/20 : aussitôt que le fils cadet fut entré en lui‑même, se repentit et se mit en route, son Père accourut et le prit dans Ses bras.
42. Il est fêté le 25 mars en Occident, et le 12 octobre en Orient.
43.Elle est appelée par Saint Jean Marie de Clopas (ou Cléophas), du nom de son père. Elle était la femme d’Alphée, frère de Saint Joseph. Elle est appelée en Occident Marie Jacobé, parce que mère de Jacques le Mineur, futur évêque de Jérusalem.
44.Elle est souvent appelée en Occident « Marie Salomé », d’où « les 3 Marie ».

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