Ajouté le: 20 Septembre 2020 L'heure: 15:14

Les neurosciences et l’expérience de la vie spirituelle chrétienne (1)

Trois thèmes de dialogue au carrefour des neurosciences et de l’expérience de la vie spirituelle

Une lecture sommaire des données et des recherches de la sphère des neurosciences peut facilement identifier au moins trois zones significatives pour le dialogue avec la théologie.

Le premier de ces trois thèmes concerne les explorations, difficiles mais pleines de défis, de la nature de la conscience. Il s’agit d’un champ parfois aride, mais aussi fertile, d’explorations et de débats interdisciplinaires, qui peuvent faire inclure dans le dialogue les modèles descriptifs et explicatifs avec lesquels opère la philosophie de l’esprit et la psychologie cognitive, mais aussi certains sens de la vie spirituelle tels qu’ils sont présents dans la littérature philocalique et sapientielle de la tradition chrétienne. Cela concerne principalement des aspects comme la conscience, l’esprit ou le soi. De telles thématiques orientent la discussion sur de nombreux défis et difficultés – à partir des précisions d’ordre sémantique jusqu’aux exigences souvent impossibles à satisfaire que suppose la composante empirique. Pourtant, ces thèmes ont été portés sur l’agenda de certaines recherches expérimentales, de sorte que la zone d’interaction entre les neurosciences et les préoccupations plus larges qui concernent la condition de l’homme est devenue encore plus étendue.1

Le second thème concerne l’intelligence spirituelle. Ces dernières années, à travers la contribution de Howard Gardner, le concept d’intelligence a été approfondi d’une manière significative. Cet auteur introduit le modèle des intelligences multiples, et propose, à côté de l’intelligence calculatrice, d’autres types d’intelligence : émotionnelle, sociale, naturaliste, spatiale, musicale, intra-personnelle2. À côté de celles-ci, ces dernières années on a pu aussi parler du concept d’intelligence spirituelle.3 Conformément aux recherches qui se concentrent sur l’intelligence spirituelle, la pratique de la méditation, les états contemplatifs ou le rituel religieux peuvent modifier d’une manière significative non seulement les dispositions intérieures mais aussi les habitudes de l’esprit, donnant de nouveaux sens aux souvenirs et déterminant l’apparition de nouveaux patrons cognitifs. À travers la pratique de la vie spirituelle intervient une possibilité de changer la réception du monde, des choses, voire une revalorisation de ses propres souvenirs (cognitive reappraisal).4

En particulier, une direction importante dans ces recherches est représentée par l’exploration neuroscientifique des pratiques spirituelles, l’identification de leurs influences possibles sur le cortex et les mécanismes physiologiques. On peut y inclure, d’un côté, des investigations sur les empreintes cérébrales qui correspondent aux diverses expériences spirituelles5. On se concentre sur les effets de certaines activités spécifiques à la vie religieuse (comme la méditation, la prière, divers états contemplatifs, la participation au rituel religieux ou la compassion) sur le fonctionnement du cerveau. Les chercheurs ont identifié certains patrons cérébraux, certaines empreintes d’imagerie spécifiques aux activités mentales à caractère spirituel mais aussi les effets que ces pratiques ont dans la configuration et le fonctionnement de certaines aires corticales et sous-corticales. Dans le cadre de ces recherches, qui font partie de la neurothéologie6, on a constaté par exemple une croissance du volume de l’île (zone du cortex qui est habituellement active dans la réflexion), une intensification de l’activité cérébrale dans le cingulé antérieur, mais aussi une diminution du volume des noyaux amygdaliens (aires du système limbique profond qui sont responsables de la peur et de l’anxiété)7.

Nous devons ajouter ici que certains auteurs ont proposé la mise en évidence d’empreintes spécifiques dans la fonction cérébrale pour chaque expérience religieuse, et des distinctions de ces empreintes cérébrales qui correspondent aux différences doctrinaires et expérientielles du culte des diverses pratiques religieuses traditionnelles. Telles sont les tentatives d’identification des particularités imprimées dans la fonction cérébrale par la manière de comprendre et de faire l’expérience de Dieu.8

Enfin, le point peut-être le plus pertinent de tout ce travail, dans le cadre du dialogue mentionné, est représenté par les explorations qui visent les conditions des premières années de vie, les activités courantes et les habitudes comportementales, mais aussi les stimuli et l’offre expérientielle du milieu d’information, à savoir les modalités à travers lesquelles ces facteurs pourraient influencer les dispositions émotionnelles et les habilités cognitives de la personne et sa disponibilité pour les expériences et les significations spécifiques de la vie spirituelle9.

Recherches médicales concernant les effets des états de l’âme sur la santé

Durant les dernières décennies, de plus en plus de zones d’exploration scientifique et de réflexion philosophique se sont concentrées et continuent de se concentrer sur la manière dont la technique, les loisirs, les technologies numériques, la culture de la consommation, la médiatisation globale de l’information, le consumérisme et tout le reste affectent la vie intérieure.

D’un côté, la médecine intégrative ou comportementale, la psychothérapie cognitive-comportementale mettent en évidence le fait que la manière dont nous vivons, l’affection dont nous jouissons pendant l’enfance, mais aussi celle que nous offrons à nos semblables, la qualité des expériences accumulées au sein de la nature environnante, la manière dont nous entendons nous engager dans les rapports avec nos semblables, influencent de manière directe nos dispositions et nos capacités d’utilisation de nos ressources intérieures. Plus encore, à long terme, ces aspects influencent d’une manière significative notre état de santé. D’un autre côté, et même d’une manière plus importante, la foi et la vie spirituelle peuvent ouvrir l’homme vers un autre niveau, plus profond, de sa vie intérieure, illuminé par la grâce, qui prend en compte et organise tous ces aspects concrets de la vie dans un lien étroit avec Dieu. Il est ainsi facile de constater une rencontre surprenante entre, d’un côté, des aires de recherche psychologique et médicale qui se concentrent sur l’accès à une vie saine, et, d’un autre côté, la vie chrétienne.

D’amples études longitudinales ont mis en évidence, durant les dernières décennies, le fait que l’attachement et la chaleur exprimées dans les relations de famille influencent à long terme notre santé, nos dispositions et notre manière de recevoir les expériences de vie. L’étude Harvard, par exemple, est édifiante. Il s’agit d’une recherche qui tient compte de données accumulées durant une période de 35 ans et qui a suivi 126 hommes en bonne santé appartenant à des groupes d’étudiants entre 1952 et 1954. On a distribué à ces jeunes, à l’époque, des questionnaires d’évaluation des sentiments qui animent leurs relations avec les parents. 35 ans après, on a dressé pour les mêmes personnes un historique médical et psychologique détaillé, sur la base des fiches médicales établies le long des années. Les données ont montré que 91% des participants qui ont caractérisé leur relation avec les parents comme étant froide à la date du questionnaire avaient été diagnostiqués à l’âge moyen avec des maladies graves (maladies coronariennes, hy­per­tension artérielle, ulcère duodénal et alcoolisme). Par comparaison, seulement 45% parmi ceux qui avaient évalué leur relation avec leurs parents comme étant chaleureuse, en particulier avec la mère, avaient ce genre d’affections. De manière encore plus convaincante, 100% des participants, à savoir tous ceux qui ont évalué les relations avec les deux parents, père et mère, comme étant froides, ont présenté à l’âge moyen des maladies importantes, par comparaison à seulement 47% de ceux qui ont eu une relation proche avec le père et la mère10. « La perception de l’amour en soi, écrivaient les chercheurs, réduit l’impact négatif des facteurs de stress et des agents pathogènes et soutient la fonction immune et la guérison. »11

Les auteurs de l’étude Harvard affirment que les relations que nous développons durant notre enfance prédisent la santé à long terme, justement parce qu’elles déterminent en grande partie une certaine organisation de la vie : la nutrition, les comportements sains ou malsains acquis dans l’enfance, les modalités choisies pour faire face aux situations difficiles, par exemple l’anxiété, la colère, l’hostilité, la dépression – ainsi que l’optimisme ou des valeurs et des pratiques spirituelles12.

(À suivre)

Diacre Sorin Mihalache

Notes :

1. Un travail qui aborde le thème de la conscience, à la frontière entre les neurosciences et la philosophie de l’esprit : David J. Chalmers, The Conscius Mind: in search of a fundamental theory, Oxford University Press, New York, 1997. En particulier, les nouvelles conditions d’exploration scientifique offertes par la technologie de pointe de l’imagerie médicale ne réussissent pas à élucider le mystère de la conscience humaine, avec tous les autres aspects éventuels (Cf. Ray Tallis, “Consciousness, not yet explained”, in: New Scientist, 205 (6 janv. 2010), n° 2742, pp. 28-29). Antonio Damasio formule explicitement l’un d’entre eux : “J’ai du mal à voir dans les résultats scientifiques, surtout dans le domaine de la neurobiologie, autre chose que des approximations provisoires qui nous satisfont ponctuellement et que nous écartons dès qu’apparaissent de meilleures descriptions. La complexité de l’esprit humain est peut-être telle que nous ne trouverons jamais la solution du problème à cause de nos limites inhérentes. Peut-être même ne devrions-nous pas parler de problème, mais de mystère, en distinguant entre les questions qui peuvent être abordées par la science et celles qui vont probablement rester à jamais sans réponse” (Antonio Damasio, Eroarea lui Descartes [L’erreur de Descartes], Ed. Humanitas, Bucarest, 2004, p. 15).
2. Howard Gardner, Inteligenţe multiple. Noi orizonturi [Intelligences multiples. Nouveaux horizons], Éditions Sigma, Bucarest, 2006. Nous allons donner des détails sur certains aspects qui concernent l’intelligence spirituelle dans ce qui suit.
3. Dans une autre approche scientifique, nous trouvons des formulations de quelques caractéristiques qui pourraient constituer les éléments définitoires de l’intelligence spirituelle. Il s’agit d’une évaluation objective, dans une acception scientifique, qui ne prend pas en compte l’existence de Dieu, et qui maintient une position neutre par rapport à toute tradition religieuse. On identifie ainsi cinq aspects cognitifs-comportementaux de l’homme spirituel, aspects qui distinguent son expérience spirituelle et religieuse de toutes les autres activités et expériences. Le premier est représenté par l’habitude d’une approche transcendente du monde et des choses, un regard et une compréhension ample, qui ne perdent pas de vue les fondements et les finalités du monde, la perspective d’ensemble, la nature des choses et des phénomènes ou d’autres contenus de ce genre. Le second vise les états modifiés de la conscience, où l’on peut inclure les aspects cognitifs nouveaux, les états, les dispositions nouvelles du monde intérieur humain rencontrés dans l’expérience de la vie spirituelle. Nous avons à l’esprit non seulement les expériences mystiques mais aussi les expériences habituelles dans le plan religieux, comme la prière, la contemplation, la compassion, telles qu’elles sont vécues par la personne qui pratique habituellement la vie spirituelle. Une troisième caractéristique que l’on considère comme étroitement liée aux expériences spirituelles concerne l’habitude de sacraliser, de conférer une signification spirituelle aux situations de vie et aux expériences quotidiennes. Un autre aspect qui est mis en rapport avec l’intelligence spirituelle vise la capacité et l’habitude d’encadrer et de trouver des solutions à des problèmes concrets de la vie en utilisant les ressources de la spiritualité, des textes à valeur spirituelle, des principes, des conseils ou des paraboles. Enfin, une dernière caractéristique est représentée par la capacité de cultiver les vertus, la possibilité d’utiliser les divers contextes de la vie comme occasion de cultiver les vertus (cf. Robert Emmons, “Is Spirituality an Inteligence ? Motivation, Cognition and the Psychology of ultimate Concern”, in The International Journal for The Psychology of Religion, n° 10, 2000, pp. 3-26 ; Maryam Hosseini et al, „A Review Study on Spiritual Intelligence, Adolescence and Spiritual Intelligence, Factors that may Contribute to Individual Differences in Spiritual Intelligence and the Related Theories”, in Journal of Social Sciences, vol. 6, n° 3, 2010, pp, 429-438).
4. Cf. Eric Garland, Susan Gaylord, and Jongbae Park, “The Role of Mindfulness in Positive Reappraisal”, in Explore (NY), vol. 5, n° 1, pp. 37–44.
5. Un bref aperçu historique devrait mentionner ici les recherches développées dans les années ‘70 par Richard Davidson, concernant les effets de la méditation et des états spirituels sur les émotions, mais aussi celles de James Austin concernant les effets de la méditation Zen sur la fonction cérébrale. Dans les années ‘80, ces contributions se sont multipliées d’une manière significative, par l’activité de David McClelland, concernant les effets de la compassion sur l’état de santé, mais aussi celles du médecin Harold Koenig concernant les bénéfices pour la santé entraînés par la vie religieuse dans une famille et une communauté de foi, et la promotion de la méditation comme pratique médicale, dans les hopitaux des États-Unis d’Amérique, par John Kabat Zinn. Enfin, dans les années 90 le nombre de ceux qui développent une activité dans la recherche des neurosciences de la vie spirituelle s’est sensiblement  accru : Andrew Newberg, Sara Lazar, Anne Harrington et Anthony Lutz.
6. Le fondateur du domaine de la neurothéologie est le médecin Andrew Newberg. Un travail qui concerne ce domaine, Andrew Newberg, Mark Robert Waldman, Cum ne schimbă Dumnezeu creierul [Comment Dieu change notre cerveau], Curtea Veche, 2009.
7. Deux titres représentatifs dans cette direction de recherche : RichardJ. Davidson, Anne Harrington, Compassion: Western Scientists and Tibetan Buddhists Examine Human Nature, Davidson, R. J., Harrington, A. (ed), Visions of compassion: Western scientists and tibetan buddhists examine human nature, New York, 2002 et Eugene G. D’Aquili, Andrew B. Newberg, The Mystical Mind: Probing the Biology of Religious Experience, Fortress Press, 1999.
8. Nous ne mettons pas ici en discussion à quel point sont fondés toutes ces assertions et ces résultats. Les explorations neuroscientifiques sont tout de même à leurs débuts. Certaines validations récentes avertissent sur de possibles erreurs qui pourraient apparaître. À proprement parler, cette approche n’offre pas encore une explication suffisamment éclairante en ce qui concerne les causes effectives qui déterminent le fait que certains processus cérébraux puissent donner naissance à certaines expériences et états de soi et non pas d’autres. En général, l’imagerie fonctionnelle par la résonance magnétique nucléaire et les correspondances qui se déduisent entre certains états et activités psychiques qui produisent la croissance du flux sanguin dans certaines zones du cerveau, nécessitent encore beaucoup d’attention (voir pour cela Edward Vul et al., „Puzzlingly High Correlations in fMRI Studies of Emotion, Personality, and Social Cognition”, in Perspectives on Psychological Science, vol. 4, n° 3, 2009, p. 285).
9. On peut ici mentionner de nombreux titres, certains anciens, d’autres nouveaux. En voici quelques-uns : D. Funkenstein, et al., Mastery of Stress, Cambridge MA: Harvard University Press, 1957, V. L. G. Russek et G. E. Schwar­tz, „Perceptions of parental caring predict health status in midlife : a 35-zear follow-up of the Harvard Mastery of Stress Stu­dy“, in Psychosomatic Medicine, 1997, vol. 59, n° 2, pp. 144-149.
10V. L. G. Russek et G. E. Schwartz, « Perceptions of parental caring predict health status in midlife : a 35-zear follow-up of the Harvard Mastery of Stress Stu­dy », in rev. Psychosomatic Medicine, 1997, 59 (2) : 144-149 et D. Funkenstein, S. King et M. Drollete, Mastery of Stress, Cambridge MA: Harvard University Press, 1957. Plus sur beaucoup d’autres résultats de ce type, dans Dean Ornish, Dragoste şi supravieţuire [Amour et survie], Curtea Veche, Bucarest, 2008.
11. Dean Ornish, op. cit., p. 59.
12. Ibidem, p. 64.

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