Ajouté le: 20 Janvier 2021 L'heure: 15:14

Théologie et science à l’aube de la modernité

Toute l’histoire de la modernité est marquée, à divers égards, par l’effort constant de compréhension, manifesté sans interruption, dans différentes cultures et à différents endroits. Depuis les temps les plus reculés, les questions et les explorations humaines poursuivent toute une série de thèmes majeurs, qui constitue aujourd’hui encore le cœur des approches philosophiques, artistiques ou techniques. Parmi ces thèmes qui reviennent sans arrêt dans la réflexion humaine, il y en a qui sont plus spéciaux, qui se prêtent à la fois aux mathématiques et à la littérature, à la physique et à la poésie, en mélangeant dans la même âme humaine des états profonds de contemplation, des ravissements poétiques, des compréhensions complexes et abstraites, en alimentant des efforts d’ordre technique, avec toutes les difficultés et les joies afférentes.

Un nombre impressionnant de personnalités de spectres divers, de tous les temps et de toute l’étendue de la civilisation, ont formulé de telles questions, insistant sur le fait qu’elles sont inévitables.

L’un des thèmes de prédilection, qui se prête à beaucoup d’extensions et de perspectives, est le ciel. Pour les Grecs, le ciel est appelé cosmos, étant donc perçu comme une réalité dont le sens, s’il s’agissait de le transposer dans les coordonnées du monde d’aujourd’hui, serait lié à la cosmétique ! Cependant, à côté de l’harmonie et de la beauté, sens annoncés par le terme même qui le nomme, le cosmos a suscité beaucoup de questions dans l’espace philosophique de la Grèce antique, déterminant beaucoup d’efforts d’explication. Ceci explique pourquoi nous retrouvons dans l’espace grec les idées principales qui ont généré les modèles cosmologiques les plus connus : l’héliocentrisme et le géocentrisme.

Selon les affirmations d’Archimède, Aristarque de Samos (310-230 av. J-C.) aurait été l’un des partisans de l’héliocentrisme, mais l’écrit qui l’atteste ne s’est pas conservé. Des mentions de l’autre modèle, le géocentrisme, se retrouvent dans les textes d’Aristote et d’Hipparque († vers 120 av. J-C.), et a été ultérieurement développé par Ptolémée († vers 168 apr. J-Chr), un égyptien citoyen romain qui a écrit et a publié en grec l’ouvrage Almageste. On y explique les trajectoires des planètes et du Soleil. La terre est considérée comme ronde et immobile. Le soleil et les autres planètes, tout comme les étoiles, dans ce modèle, sont fixes, situés sur des sphères en mouvement. Ces sphères sont mentionnées aussi par Aristote, qui dit à leur propos qu’on ne peut rien en savoir en dehors du fait qu’elles sont incorruptibles.

L’infatigable exploration des astres

Le désir d’explication du ciel et certaines connaissances d’ordre technique accumulées jusqu’au XIIIè siècle ont offert à ceux qui s’y intéressent la possibilité d’effectuer de meilleures mesures concernant les mouvements des astres sur la voûte céleste. Et après que, durant des siècles, le ciel a été observé sans l’aide d’un instrument spécialisé, apparaissent les premiers dispositifs adéquats de l’astronomie, qui élargissent beaucoup les possibilités des sens humains. Quelques décennies après 1420, par exemple, on note la construction d’un observateur astronomique, dans le monde de l’islam (!), en Ouzbékistan (Samarkand), par le mathématicien et l’astronome Muhamad Taraghay.

Quelques décennies plus tard, plus précisément entre 1501 et 1503, en se préparant pour la médecine à l’Université de Padoue, Copernic prend connaissance de l’astrologie, qui y était présente en tant que sous-discipline. Il y entre en contact avec les écrits du cardinal Bessarion. Un fait digne d’être mentionné est que Bessarion († 1472), né dans le port d’Anatolie de la Mer Noire et traducteur d’Aristote et de Xénophon, a soutenu plusieurs intellectuels grecs établis en Italie. Parmi ceux-ci, il y avait Théodore de Gaza, qui a traduit en latin les Homélies de Saint Jean Chrysostome et un manuel de grec qui a servi à Copernic, mais aussi à Georges de Trébizonde, considéré parmi les promoteurs de la Renaissance italienne.

Au mois de mai 1514, Copernic élabore ses premières notices concernant la théorie héliocentrique. La publication proprementdite de ce modèle se décidera seulement durant l’année de sa mort, en 1543. Peu de temps avant, en 1540, le mathématicien autrichien Rheticus expose le modèle héliocentrique développé par Copernic, et en 1543 apparaît, sous la signature de Copernic, l’ouvrage De revolutionimbus orbium coelestium (Sur les révolutions des sphères célestes), le premier travail qui propose l’héliocentrisme comme modèle cosmologique.

Dans l’espace européen occidental, ont suivi des années prolifiques dans l’ordre des découvertes scientifiques concernant le mouvement des étoiles et les autres phénomènes célestes. En 1572, l’astronome danois Tycho Brahe observe, dans la constellation de la Cassiopée, une nouvelle étoile, qu’il appelle une nova. Toute la cosmologie ultérieure restera liée à sa contribution, puisque les appellations de nova et supernova continuent d’être utilisées aujourd’hui, pour les étoiles qui se trouvent dans leur dernier stade de vie. Nous savons aujourd’hui que, épuisant leur combustible nucléaire, les étoiles s’effondrent sous la pression de leur propre gravitation, en générant des pressions internes immenses. Celles-ci déclenchent dans la plupart des cas des explosions qui dégagent dans l’espace cosmique, à des distances immenses, beaucoup d’énergie et des radiations d’une grande intensité. Un fait intéressant et édifiant qui concerne l’extension de la recherche céleste est qu’il existe des témoignages écrits qui prouvent sans l’ombre d’un doute que la même étoile, observée et nommée nova par Tycho Brahe, a été découverte aussi par les Chinois, sa lueur étant visible presque pendant 15 mois.

Des geometries cachees dans la matiere  du monde

En Europe, l’étude du ciel devient une activité de plus en plus intense. En 1580, Frederik II du Danemark dispose la construction du premier observatoire astronomique véritable, afin de l’offrir à Tycho Brahe. Travaillant pour la plupart par l’intermédiaire de ce nouvel instrument d’observation céleste, Tycho Brahe allait classer, suite à un travail assidu, prolongé jusqu’à l’année de sa mort (1601), 777 étoiles !

En 1596, Johannes Kepler, qui fut l’assistant de Brahe jusqu’en 1601, publie l’ouvrage Mysterium Cosmographicum (Le mystère sacré de l’univers), dans lequel il affirme que la sphère de chaque planète est inscrite ou circonscrite à l’un des cinq corps réguliers de Platon. Ces polyèdres sont mentionnés dans l’ouvrage Thimaïos et sont décrits plus tard par Euclide, dans ses Éléments. Il s’agit du cube (associé à la terre), du tétraèdre (correspondant au feu), de l’octaèdre (pour l’air), de l’icosaèdre (pour l’eau) et du dodécaèdre, qui correspond, selon Platon, à l’esprit. Un fait significatif ici est représenté par cette convergence vue par les Antiques entre la géométrie et la matière du monde, une forme d’ailleurs habituelle pour l’époque, à travers laquelle les plans de la vie étaient à proprement parler unis, dans une seule image du monde. Faisant appel aux cinq corps réguliers, Platon lie la géométrie à la réalité. Il adopte en fait une représentation de l’espace (et des formes géométriques) par l’intermédiaire de la matière (eau, terre, air, feu etc.), en utilisant les structures qui leurs sont associées pour définir différents « types » d’espaces. En d’autres termes, dans ses écrits « la physique devient géométrie »1. Nous retrouvons encore cette question chez Descartes, qui exprime, dans son ouvrage Principes de la Philosophie, publié en 1641, l’idée que la n ature des corps ne consiste « ni en poids, ni en dureté ou couleur, mais en étendue »2. Certes, on peut y voir une certaine manière de faire de la science, propre à l’époque, dans laquelle on poursuivait le lien entre les concepts et les objets des mathématiques et la réalité elle-même. À l’époque actuelle, cette manière de relier les plans de la vie, par les données du monde, n’est plus possible dans l’aire de la science, à cause de la fragmentation déterminée par l’introduction des différentes disciplines dans l’aire de la connaissance.

 Entre 1609 et 1619, Kepler émet l’idée que les planètes tournent sur des orbites elliptiques (idée mentionnée dans Astronomia nova) et formule les trois lois concernant la périodicité des trajectoires elliptiques des planètes. On considère que durant ces années le modèle de la cosmologie aristotélicienne connaît un déclin, pendant que l’héliocentrisme, développé par Copernic, est prouvé de plus en plus par les observations et les calculs de Kepler et de Galilée.

 Galilée quitte l’Université de Florence, où il étudiait les Arts, pour l’Université de Padoue, pour une plus grande liberté dans l’expression des idées3, et continue la série des découvertes importantes dans l’astronomie. En 1610, il réussit à décrire les phases de Vénus, une découverte qui fera apparaître une autre vulnérabilité du système géocentrique ptoléméen. Les phases de Vénus (à savoir le fait que la planète enregistre divers degrés d’ombre et de lumière, qui se développent dans le temps, à sa surface, comme dans le cas de la Lune) pourront recevoir une bonne explication seulement dans le cadre de l’héliocentrisme.

En 1633, Galilée introduit la relativité dans la physique, ce que nous comprenons aujourd’hui comme étant l’immunité des lois de la physique en rapport avec le mouvement rectiligne et uniforme. (Pour illustration, on pourrait dire que les expériences effectuées dans une chambre fermée et sans hublots, située dans un train en mouvement rectiligne et uniforme, ne peuvent pas offrir de preuves sur ce mouvement du train.) En 1638, dans Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles, Galilée introduit les lois du mouvement et celles du frottement, en modifiant d’une manière décisive la manière de représenter la réalité. Après avoir été déjà corrigé par Nicolas de Cues, Aristote est corrigé maintenant aussi par Galilée par des affirmations qui montrent que les objets tombent vers la terre dans un mouvement uniformément accéléré, tant qu’ils se meuvent dans un milieu qui oppose une résistance négligeable. Pourtant, Galilée ne généralise pas ces résultats, n’en étend pas la portée à tout l’espace visible, mais les garde seulement dans le plan de la nature terrestre. Le mouvement des corps célestes sera décrit par Kepler et recevra une remarquable description mathématique par la contribution de Newton.

Des cliches historiques concernant la naissance des sciences modernes

Toutes ces découvertes n’ont pas eu d’impact seulement dans le monde scientifique. Comme le mentionnent la plupart des traités d’histoire, durant ces siècles se produit une rupture entre l’espace de la foi et de l’expérience religieuse, d’un côté, et l’espace de la raison et de la connaissance scientifique de l’autre. À commencer par ces siècles, les thèmes de la raison et de la foi, ceux de la science et de la théologie seront formulés dans des termes de plus en plus différents dans les siècles à venir, entraînant dans le débat des noms consacrés de la culture.

Ce que nous souhaitons souligner quand même, c’est la nécessité d’une réflexion adéquate concernant la contribution que ces efforts humains d’exploration du monde ont eue  dans le rapport entre la foi et la science, dans les siècles à venir et dans le présent que nous vivons. Ceci parce qu’il existe beaucoup de clichés culturels, historiques ou idéologiques qui déforment d’une manière flagrante les faits de cette époque et leurs conséquences historiques. La situation est d’autant plus grave si nous pensons que pendant longtemps, et dans une large mesure même de nos jours, la tension entre la foi et la science est entretenue par de telles interprétations dénaturées. 

Certaines de ces évaluations historiques tendancieuses affirment que dans cette période naît la science moderne, avec tout ce qu’elle représente, délivrée par les efforts de ces savants de tous les repères contraignants de la foi. À une lecture attentive, nous allons constater que cette manière de voir les choses ignore beaucoup de détails essentiels. Il suffit de prendre en considération le fait que la majorité des savants de ce siècle ont témoigné ouvertement leur foi en Dieu.

D’autre part, certaines interprétations font porter tout le poids aux savants de ce siècle, en les rendant responsables pour l’immense faille produite dans le territoire de la connaissance, qui a séparé et continue de séparer des aspects essentiels de la vie humaine : la raison et le cœur, la religion et la science, l’explication, la compréhension et l’édification, la connaissance et la vie, la science et le devenir, l’intelligence et les vertus. Cette voie de compréhension n’est pas adéquate non plus. Kepler, Isaac Newton ou Galileo Galilée n’essaient pas de nier l’existence de Dieu. Au contraire, comme dans le cas de Newton et de Kepler, dans ses travaux Galilée mentionne souvent l’idée que Dieu est le créateur du monde et que l’ordre et l’harmonie constatés par les observations et les calculs sont des preuves de la sagesse de Son œuvre. Mais en même temps, à la manière d’une histoire contrefactuelle, il faut dire que la tension entre le modèle géocentrique soutenu par la théologie scolastique et le modèle héliocentrique prouvé par les calculs aurait pu ne pas exister. Cette tension, qui a engendré plus tard la polémique entre la raison et la science, aurait pu ne pas exister si la théologie médiévale n’avait pas été amenée à faire l’apologie de modèles scientifiques. Le témoignage de la foi et de la Vérité Révélée n’aurait pas dû prendre en compte à ce point les données de travail des sciences, et d’autant moins poursuivre la subordination forcée et autoritariste des efforts et des résultats exprimés par les savants de l’époque. Enfin, comme le montrent beaucoup de textes, ceux qui exploraient le ciel et tentaient la description précise des mouvements des étoiles n’avaient pas non plus une bonne compréhension et une expérience de la vie spirituelle, et n’avaient pas une situation correcte des données scientifiques en rapport avec la vérité de foi.

La recherche scientifique du monde et la dimension spirituelle de la vie

Fait significatif, dans l’Orient chrétien il n’y a pas eu de situations de ce type. Tout d’abord parce que l’effort de comprendre la rationalité du monde représente une voie de découverte de Dieu, Qui Se fait connaître Lui-même à travers la Création. Saint Basile le Grand le formule clairement : « Lorsque Moïse a dit : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, il n’a pas mentionné : l’eau, l’air, le feu et tout ce qui naît de ces éléments ; le fait que ceux-ci étaient dans l’univers comme des compléments du monde ; mais l’histoire de la création du monde les a laissés de côté, afin d’habituer notre esprit à la recherche ; elle lui a donné peu d’éléments, afin de méditer sur ceux qui n’ont pas été mentionnés. »4 On entrevoit ici le fait que toute l’exploration du monde est plus que permise à l’homme, c’est une œuvre de son esprit.

Enfin, dans l’expression profonde de Saint Maxime le Confesseur, toute la Création est comprise comme Écriture, vue comme une écriture avec des choses sensibles, qui témoigne de Dieu. L’effort de la connaissance du monde ne reste donc pas dépourvu de pertinence dans le plan de la vie spirituelle. Saint Maxime met toutes les préoccupations concernant la connaissance du monde sur le chemin qui mène à la contemplation de Dieu, soulignant la condition que l’effort doit être accompagné du travail de la purification des passions.

Ici, l’apologétique orthodoxe trouve aussi son orientation,, qui doit éviter la subordination des données scientifiques en rapport avec la théologie et plutôt orienter, inspirer leurs sens édifiants, en offrant toute la lumière spirituelle, qui s’avère pouvoir accueillir aussi les données scientifiques. De cette manière, l’apologétique lie, en fin de compte, les choses du monde sensible, situées dans l’attention des sciences, aux sens intelligibles compris dans la Révélation.

Diacre Adrian Sorin Mihalache

Notes :

1. James T. Cushing, Concepte filosofice în fizică [Concepts philosophiques dans la physique], Éditions Tehnică, Bucarest, 2000, p. 168.
2Ibidem.
3. La devise de l’Université de Padoue (fondée en 1222) était Universa universis patavina libertas (La liberté padouane est universelle pour tous). On pourrait dire que cette expression met en évidence, d’un côté, la réaction déterminée par la tendance de subordonner la science et la philosophie à la théologie scolastique, à une époque où les universités avaient acquis un certain degré de liberté, et d’un autre côté, en quelque sorte d’une manière paradoxale, cela peut être aussi, en même temps, l’expression d’une pensée qui choisit la voie d’une réflexion autonome. À Padoue ont étudié aussi bien Copernic que Galilée.
4. Saint Basile le Grand, Omilii la Hexaemeron [Homélies à l’Hexaemeron], dans la coll. PSB, vol. 17, Éditions IBMBOR, Bucarest, 1986, p. 87.

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