Ajouté le: 20 Mai 2020 L'heure: 15:14

Une vie plénière dans la foi

Il est tout à fait simple et habituel d’exprimer le Symbole de Nicée-Constantinople comme une formulation concentrée de la vérité de foi. Mais de mettre toute une vie en parfaite adéquation avec ce que nous confessons par ses paroles, cela représente le sommet le plus lointain et le plus élevé de la vie humaine, qui se situe à l’opposé de toute existence superficielle : c’est la sainteté ! Dans les deux cas, il s’agit de la même confession de foi, mais ce qui les distingue, c’est la manière dont nous assumons ce que nous affirmons à travers cette confession, et à quel point nous sommes décidés à en remplir notre vie.

Désireux d’accomplir l’ascèse du devenir spirituel, les Saints Pères ont été amenés à distinguer plusieurs aspects dans l’acte de la foi, en séparant ce qui est authentique des formes faibles de la foi, et en indiquant en dernière instance un chemin de la vie authentique dans la Vérité.

En ce qui concerne la foi, beaucoup de distinctions sont possibles. Dans une acception générale, qui est aussi présente chez certains auteurs patristiques, on pourrait facilement distinguer, par exemple, entre une foi qui concerne l’existence de Dieu, et une autre, plus profonde, qui est la foi en Lui. En même temps, à quelques endroits dans les Épîtres du Nouveau Testament une autre distinction est opérée, celle entre la foi qui vient de ce qu’on entend, (Romains 10, 17) et la foi comme fondement, comme assurance des choses qu’on espère (Hébreux 11, 1). Le patriarche Calliste écrit, également, que « ... il y a une foi qui naît par la simple parole et donc a besoin d’une preuve » et une autre « qui n’a aucunement besoin de preuves, et qui fait germer dans le cœur du fidèle une confiance suffisante, provenant de choses avérées »1.

Cependant, quelles que soient les nuances prises en compte, il est facile de voir que les saints auteurs poursuivent à chaque fois avec plus d’attention les conditions de possibilité pour les formes authentiques de la foi, les prescriptions et les sens de cette foi vivante. Àpropos de ce dernier type de foi, Saint Isaac le Syrien affirme qu’elle réside dans « le fait de recevoir avec les yeux spirituels les mystères cachés dans l’âme et la richesse divine cachée aux yeux (...) et révélée dans l’Esprit à ceux qui prennent part au repas du Christ par la contemplation de Ses lois »2. C’est la foi qui « voit et surgit de la compréhension et qui s’appelle la reconnaissance et la révélation de la vérité »3, « qui surgit dans l’âme par la lumière de la grâce, ayant le témoignage de l’esprit et soutenant le cœur afin de vaincre toute hésitation, par la certitude de l’espérance, qui lui évite tout égarement »4. Il est évident que, en ce qui concerne ce dernier sens de la foi, nous n’avons pas affaire à une adhésion intellectuelle, mais à une capacité accrue de compréhension. Il s’agit d’une foi vécue, comme acte décisif de la vie personnelle, conviction profonde « fondée sur une compréhension, une intuition, un contact mystérieux et direct avec le Dieu Trinitaire et le Christ, par l’œuvre du Saint Esprit, ou de la grâce dans l’âme »5.

La foi authentique – vision et compréhension au‑delà de l’entendement

Guidés par ce sens inhabituel de la foi, qui est en dernière instance son noyau authentique et qui engage d’une manière existentielle la vie de chaque fidèle, on arrive plus facilement à comprendre pourquoi la foi se situe au-dessus des autres formes de connaissance et de compréhension de la vérité et de la réalité. Àcet effet, beaucoup d’auteurs patristiques distinguent chez l’homme trois stades de prise de conscience et de manière de se rapporter au monde et à Dieu : une réception et une compréhension de première instance de ce qui tombe sous les sens, ensuite une connaissance qui tire des choses sensibles certaines connaissances, et enfin la foi. « La foi, comme nous le trouvons dans le texte philocalique appartenant à Calliste et Ignace Xanthopouloi, est plus fine que la conscience, tout comme la conscience est plus fine que la connaissance des choses qui tombent sous les sens. »6. « La perception des choses sensibles, commente ici le père Dumitru Stăniloae, est propre à quiconque, même aux animaux. La connaissance de principes rationnels est plus subtile, car elle implique une capacité de se soustraire aux choses sensibles et à leur multitude. Mais la foi est plus subtile que cette connaissance, car elle surprend l’indéfini, qui est la forme de la plus haute réalité ou de la personne. Qui peut définir la personne de quelqu’un, qui est infinie dans ses manifestations toujours nouvelles ? Elle ne peut être appréhendée par des définitions exactes de la connaissance raisonnable. Plus encore, qui peut définir l’expérience de la présence et de l’œuvre de la Personne suprême de Dieu ? La foi représente la manière de saisir les réalités les plus subtiles, étant elle-même la manière la plus subtile de connaître. Car la personne de l’autre se dévoile seulement à la foi, car elle ne peut pas et refuse d’être réduite à l’objet7.

La perception des choses sensibles représente l’étape la plus basse d’appréhension du monde et de ses réalités, étant dans ses formes primaires commune à tout le monde animal. La connaissance des choses sensibles serait la seconde étape, spécifique à l’homme, être rationnel, en tant que manière de compréhension du monde qui découle du pouvoir rationnel dont il est doué, et suppose la possibilitéde dégager des sens plusélevés, intelligibles, àpartir des réalitéssensibles du monde et de lexpérience concrète de la vie. Au-dessus, et d’une manière plus étendue, se situe la foi – entendue comme vie, comme « vision » et comme « compréhension » au-delà de l’entendement habituel, une intuition spirituelle qui embrasse toute la réalité.

Nous trouvons des observations du même type chez Saint Grégoire Palamas, qui affirme que dans le cas de la foi nous parlons d’une autre manière de voir. Notre foi, écrit Saint Grégoire Palamas, est « une vision au-delà de la raison », « une vision au-delà de la compréhension », « une vision du cœur ». Les distinctions vont même plus loin chez Saint Grégoire Palamas. Au-delà de cette vision qui surpasse la raison, présente dans le cas de la foi, se situe l’acquisition des choses que l’on croit. En dernière instance, affirme Saint Grégoire Palamas, la forme la plus étendue de la compréhension, la vision la plus profonde et la plus large du monde, la véritable connaissance, qui voit le monde et la vie comme transparentes en rapport avec Dieu, c’est la vision des choses espérées, vision propre à la vie éternelle, àla manière transfiguréede lexistence humaine au Royaume de Dieu. La vision des choses espérées est caractériséepar Saint Grégoire Palamas comme une vision qui surpasse la vision au-delàde la raison8 !

Il est donc évident que dans le cas de la foi nous avons affaire à une forme plus large de compréhension, àune vision intuitive etétendue, située, dans l’ordre de la connaissance, au-dessus de toutes les autres formes de vision et de compréhension.

La compréhension scientifique fragmentée et l’intuition spirituelle de la foi

Les deux premiers stades de la compréhension, à savoir la perception des choses sensibles, et la connaissance de celles-ci, qui dégagent des connaissances dans le champ du monde sensible, conviennent aux choses, et à beaucoup d’égards sont spécifiques à l’exploration scientifique et à la réflexion rationnelle de l’homme. Ceci est dû à des approches méthodiques de la réalité, qui supposent une fragmentation de celle-ci. Dans le champ de cette compréhension, l’homme «sonde» la réalité, en posant des questions et en obtenant des réponses partielles et en quelque sorte particulières, dégagées de l’arrière-fond non-fragmenté de l’existence, et qui ne peuvent saisir avec assez d’évidence ni la présence et l’œuvre de Dieu dans le monde, ni le monde comme tout. Nous trouvons de telles évaluations dans les textes expérientiels de la philocalie. « Les méthodes de connaissance ont guidé le monde pendant cinq mille ans, ou moins, ou plus, et l’homme n’a pu sous aucune forme détourner son regard de la terre et sentir le pouvoir de son Créateur avant l’avènement de notre foi, qui nous a délivrés des ténèbres de l’œuvreterrestre et de l’esclavage qui a suivi la vaine dispersion. »9 Même la chute dans le péché des origines, selon le père Dumitru Stăniloae, peut être considérée comme une dispersion qui a annulé l’unité primordiale avec l’amour de Dieu et des hommes les uns pour les autres10. Tant que la raison humaine développe des formes de connaissance fragmentaires, qui ne sont plus mises ensemble au service de la vie, pour l’entraide des hommes et la gloire de Dieu, celles-ci continuent àrester dans l’ombre de la dispersion de l’unité primordiale, qu’elles contribuent à augmenter.

Dans le champ de cette compréhension, née des efforts de la raison non éclairée par la foi, la foi elle-même, en tant que manière libre de vivre assumée par un sujet personnel convaincu d’une vérité profonde à laquelle il participe, reste insondable. C’est une sentence de ce type qui est formulée par Diadoque de Photicée : « Lorsque nous sondons (n.s.) les profondeurs, la foi se trouble, mais lorsque nous les regardons avec une disposition simple du cœur, elle devient limpide. Car les profondeurs de la foi, ce sont les eaux de l’oubli du mal, et refusent d’être sondées par des pensées qui scrutent »11. C’est pourquoi, ayant un horizon plus restreint, la connaissance rationnelle, développée par la capacité de l’homme de saisir et de comprendre, même si elle peut aider à dégager des connaissances plus élevéessur le monde et sur la vie, ne peut pas remplacer la foi. « Il n’y a pas de foi sans manquements, quelle que puisse être sa richesse. Mais les trésors de la foi débordent le ciel et la terre. Celui qui appuie son cœur àlespérance de la foi ne manquera jamais de rien; et même s’il manque de tout, il a tout par la foi. »12

La foi ouvre un horizon plus large de compréhension du monde

Saint Jean Chrysostome illustre comment les actes de la foi dépassent la compréhension rationnelle : « Si le Bon Dieu nous a accordé quelque chose de meilleur et de plus grand que le raisonnement humain, alors en véritécette chose cest la foiqu’il a gravée en nous. Il n’est pas possible que celui qui est affermi dans la foi demande des raisonnements humains. Car voici que ce qui est essentiel en nous est dépourvu de raisonnements humains et s’appuie seulement à la foi. Dieu n’est nulle part, et pourtant Il est partout. Quoi de plus illogique ? Chaque chose observée séparément dépasse notre compréhension. Assurément, Dieu n’est pas dans un espace ou un lieu, mais il n’y a pas de lieu où Il ne soit pas. Il ne S’est pas fait Lui-même, et n’a pas commencé à être. Maintenant, quel est le raisonnement humain qui l’accepte, en dehors de la foi ? Ou alors, cela ne semblerait-il pas ridicule, ou une énigme sans fin ? (...) Vois-tu maintenant quelle confusion et quelle grande obscurité ? Et comprends-tu pourquoi partout nous avons besoin de la foi ? »13.

Par conséquent, seulement par la foi nous dépassons les limites des capacités humaines de compréhension. Tout ce qui se réfère à Dieu se situe, en fait, au-delà de nos capacités de compréhension. L’homme, écrit Saint Jean Chrysostome, sait que Dieu existe, mais par rapport à cela il y a beaucoup de questions sans réponse. «Qu’est-ce que Dieu en Lui-même ? Qu’est-ce que l’essence divine ? Quelle est la vie intime de Dieu ? Et puis, quelles sont Ses pensées, Ses plans, Ses volontés ? Comment faut-il Le glorifier ? Comment s’abat Sa colère ? Comment apaiser Sa colère ? Quel est le culte qui Lui convient ? Quelle destinée réserve-t‑Il à l’homme, àSa créature ?» Devant de telles interrogations, l’homme ne peut avoir des réponses satisfaisantes. Et cette situation ouvre un nouveau chapitre dans la connaissance, où la raison est située dans une vision plus large sur le monde : « La raison, écrit Saint Jean Chrysostome, reste muette ; le regard humain se brise sur les obscurités insondables. Il faut donc un second regard plus pénétrant et aux lumières de la raison nous devrons ajouter les lumières de la foi. »14

Sens spirituel adéquat pour la compréhension de la personne

Mais ce qui permet d’appréhender le mieux toutes ces distinctions soulignées par les pères, entre la foi vivante et les autres formes de compréhension, c’est de prendre en considération le fait que dans le cas de la foi, le noyau est représenté par une relation interpersonnelle, divino-humaine, entre les Personnes de la Sainte Trinité et la personne humaine. La foi ouvre en dernière instance l’homme vers le Dieu Personnel, d’une manière différente de la recherche scientifique, qui scrute et sonde la réalité, et qui ouvre les interstices des choses sensibles à la compréhension de l’homme. Un autre fait significatif ici est que cette foi vivante, comme manière de vivre, se transmet seulement par un lien interpersonnel : du Christ Dieu et Homme aux Apôtres, dans le Saint Esprit, et des Apôtres vers tous les fidèles, par l’œuvre du Saint Esprit. On le voit aussi dans le fait qu’elle se transmet par un milieu interpersonnel même aujourd’hui. En dernière instance, la foi est l’état adéquat de la vision, de la connaissance et de la compréhension des personnes. Dans ce sens, le père Dumitru Stăniloae écrit que lhomme est la voie par laquelle advient la foi chez quelquun. Et ceci, dit le père Stăniloae, concerne non seulement le champ de la foi, « mais aussi la force que celle-ci donne à l’homme croyant. La chose la plus merveilleuse, c’est la force avec laquelle se transmet la certitude de l’homme qui l’a vers celui qui le voit. Celui qui se trouve à côté de quelqu’un qui témoigne sa foi, d’une façon plus tendue ou plus calme, a du mal à résister à se convertir. La certitude de l’autre engendre la certitude en nous »15.

Diacre Sorin Mihalache

Notes :


1. Patriarche Calliste, Capete despre rugăciune [Chapitres sur la prière], chap. 52, in Filocalia, vol. 8, pp. 293-294.
2. Saint Isaac le Syrien, Cuvinte despre nevoință [Paroles sur  l’ascèse], par. 65, in Filocalia, vol. 10, pp. 337-338.
3. Ibidem, par. 58, pp. 306-307.
4. Ibidem, par. 65, pp. 337-338.
5. Note 406, in Saint Isaac le Syrien, Op. cit., p. 337.
6. Calliste et Ignace Xanthopol, Metoda sau Cele 100 capete [La Méthode ou les 100 centuries], chap. 16 b, in Filocalia, vol. 8, pp. 46-47.
7. Note 49, in Calliste et Ignace Xanthopol, Op cit, p. 46.
8. Saint Grégoire Palamas, Cuvânt pentru cei ce se liniștesc cu evlavie [Parole pour ceux qui trouvent le silence avec piété], chap. 41, in Filocalia, vol. 7, p. 318. Pourtant, dans cette ascension, Saint Grégoire Palamas pose une limite. Même si par la foi, et puis par l’obtention de ce qu’il espère, l’homme arrive à voir et à aquérir ce qui dépasse toute connaissance des sens et de la raison, pourtant ceci ne représente pas l’être de Dieu. « Car l’être de Dieu est aussi au-delà de celle-ci, en la dépassant. Telle est toute hypostase des biens à venir » (Ibidem)
9. Saint Isaac le Syrien, Op. cit, par. 62, pp. 323-324.
10. Note 382, in Saint Isaac le Syrien, Op. cit, p. 323.
11. Diadoque de Photicée, Cuvânt ascetic despre viața morală, despre cunoștință și despre dreapta socoteală duhovnicească [Parole ascétique sur la vie morale, sur la connaissance et sur la juste opinion], chap. 22, in Filocalia, vol. 1, p. 345.
12. Saint Isaac le Syrien, Op. cit., par. 62, pp. 323-324.
13. Comentariile sau explicarea Epistolei către Coloseni, I și II Tesaloniceni a Sfântului Apostol Pavel [Les commentaires ou l’explication de l’Épître aux Colossiens, I et II Thessaloniciens du Saint Apôtre Paul], Homélie V, Bucarest, 1905, pp. 61-62.
14. Bogățiile oratorice ale Sfântului Ioan Gură de Aur [Les richesses oratoires de Saint Jean Chrysostome], Éditions Pelerinul Român, Oradea, 2002, p. 158.
15. Pr. prof. Dumitru Stăniloae, Iisus Hristos sau Restaurarea Omului [Jésus-Christ ou la Restauration de l’homme], 2è édition, Éd. Omniscop, Craiova, 1993, p.16.

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