Ajouté le: 22 Avril 2020 L'heure: 15:14

La vie en état de siège

La pandémie CoVid-19 à la frontière entre la science et la théologie

Nous vivons depuis quelques semaines en pleine pandémie, au sens propre. Les mesures contraignantes ont affecté directement et considérablement les rythmes de la vie spirituelle, familiale, les pulsations économiques et sociales, comme jamais durant les dernières décennies. L’obligation de rester à la maison, la disparition de personnes proches, abattues par le coronavirus, ou l’éloignement d’autres êtres chers, pour plusieurs semaines, à des endroits où il nous est interdit de nous rendre, la fermeture des lieux de travail et tout le reste alourdit encore plus l’atmosphère communautaire et sociale. Tout cela ne peut pas rester sans réponse. Nous sommes en fait poussés à chercher les significations spirituelles, les leçons spirituelles pour comprendre pourquoi cela nous arrive ànous.

Ce chemin de la pensée, qui s’enrichit avec la connaissance humaine et les sens spirituels de la foi, s’impose aussi à présent. Pendant ces semaines tout à fait hors du commun durant les dernières décennies, il convient de revenir aux textes des Saintes Écritures et à leurs sens spirituels dévoilés par les saints Pères. D’un côté, dans l’Écriture Sainte nous trouvons non seulement le monde entier et la vie de l’homme, avec leurs riches significations spirituelles, mais aussi des révélations sur la présence et l’œuvre de Dieu dans leur étendue. D’un autre côté, comme on le souligne souvent dans la tradition chrétienne-orthodoxe, les significations spirituelles des passages bibliques sont éclairées par les interprétations offertes par les saints pères.

Mais pour une lecture aussi claire que possible des événements auxquels se confronte le monde d’aujourd’hui, nous avons besoin aussi de données et d’analyses scientifiques. De cette manière, nous pourrons profiter du plus grand nombre de détails recueillis jusqu’à présent au sujet des pandémies. Mais, en cherchant de faire cette double lecture, scientifique et spirituelle, des événements actuels, nous nous situons en fait en plein dialogue interdisciplinaire. Là, on associe d’habitude la foi et la raison, la spiritualité et la science. De cette manière, les données des recherches scientifiques, les accomplissements techniques du présent et les constatations philosophiques reçoivent des significations spirituelles, àla lumière des textes révéléset des perspectives proposées par les saints auteurs de la Tradition chrétienne. Sur cette voie, nous recevons non seulement les résultats des sciences, mais aussi des radiographies spirituelles des événements historiques et des situations de vie auxquelles nous nous confrontons.

L’envergure et le dramatisme des événements que nous traversons, mais aussi la manière dont ils ont impacté la vie de chacun, ont suscité un véritable tourbillon de significations et d’interprétations possibles. Beaucoup étaient hâtives et superficielles, sous l’effet de la panique, mais d’autres étaient élaborées, techniques, offertes par des observateurs habituels des phénomènes sociaux. Àcôtédes précisions dordre administratif et médical qui ne pouvaient pas manquer du décor de cette situation exceptionnelle, circulentégalement une multitude danalyseséconomiques et socio-anthropologiques, dévaluations psychologiques ou de considérations dordre géopolitique. S’ajoute aussi l’aire interdisciplinaire, qui fait dialoguer la théologie et la science, mettant en valeur à la fois les découvertes récentes et les vénérables considérations spirituelles des saints pères, et qui peut offrir quelques interprétations de la situation que nous traversons.

La théorie de la conspiration : une raison de plus pour l’approche interdisciplinaire

L’une des raisons pour lesquelles une telle analyse mérite d’être développée tient à la facilité avec laquelle, tout de suite après le début de l’épidémie et l’implémentation des mesures de la situation d’urgence, ont commencé à circuler – sur les réseaux sociaux et dans certains médias, de nombreuses informations fausses. L’une des plus fréquentes est celle qui soutient l’idée que la pandémie déterminée par le coronavirus, CoVid-19, est le résultat d’une main criminelle, le virus étant fabriqué artificiellement.

L’efficacité et les nuisances de la dissémination des conspirations représentent un sujet en soi. Nous n’allons pas parler maintenant des pertes dues à l’assimilation et la dissémination de ces informations fausses. Beaucoup de recherches psychologiques ont mis en évidence des aspects qui apportent des précisions importantes sur la propagation et l’adhésion suscitée par les conspirations au niveau du public large. Ce genre de thématique, et la manière dont elle a été ressentie durant les dernières semaines, ainsi que ses effets négatifs sur le déroulement des choses, mérite une approche distincte.

En même temps cependant, cela vaut la peine de faire l’effort de démonter la conspiration, de présenter les arguments à l’appui de l’idée qu’il ne s’agit pas d’un virus artificiel. En fait, le virus qui a déclenché Cov-Vid-19 est apparu d’une manière naturelle. Ce fait mérite d’être exposé aussi parce que le défi présent cache également d’importantes significations spirituelles. Àla différence des théories de la conspiration, qui n’offrent aucun intérêt édifiant, la perspective à double ouverture – àla fois vers la science et vers la théologie – nous remet en question, chacun d’entre nous, et le monde où nous vivons, dans son ensemble – et notre propre responsabilité du déroulement des choses.

Une histoire récente, pleine de leçons ignorées

Nous avons à portée de main une modalité de constater, par notre propre raison, que le virus que combattent les médecins durant ces dernières semaines n’est aucunement une création de laboratoire. Il suffit de jeter un coup d’œil àlhistoire récente, qui cache, comme nous le verrons, beaucoup de situations similaires. Ensuite, nous verrons aussi quelques passages bibliques et tirés des réflexions des saints pères à leur égard, qui mettent en évidence des significations édifiantes pour la situation extraordinaire actuelle. En fait, les données actuelles peuvent trouver un écho dans les significations théologiques qui concernent le mal, la souffrance et la mort, des significations qui se situent au cœur de la réflexion patristique sur la chute d’Adam. Nous allons voir que, même si nous essayons de fixer dans notre esprit la pandémie que nous vivons maintenant, pour en comprendre les valences spirituelles, nous sommes saisis d’une manière inattendue et édifiante dans l’épisode de la chute d’Adam. Tel est le miracle du texte biblique !

Cinq épisodes de grippe aviaire durant le dernier siècle

L’humanité a traversé, durant le dernier siècle, de telles pandémies, à divers degrés de sévérité et d’étendue1. Pendant le dernier siècle, cinq événements d’ordre épidémiologique arrivés au niveau mondial mériteraient l’attention pour notre propos. Le premier a eu lieu en 1918-1919, àsavoir la grippe espagnole, répandue dans de nombreux pays, comme la Chine, la Grande Bretagne, lesÉtats-Unis, le Brésil, la Nouvelle Zélande, les Indes Hollandaises, le Ghana, mais aussi dans beaucoup d’îles du Pacifique. Les analyses faites jusqu’à présent nous montrent qu’il s’agissait d’une grippe inhabituelle. Par exemple, la grippe espagnole a eu, selon toutes les probabilités, un taux de mortalité plus élevé que les grippes habituelles, faisant beaucoup de victimes parmi les jeunes et les adultes âgés entre 15 et 34 ans. Selon ce qui a été prouvé par les recherches ultérieures, la grippe a été très probablement d’origine aviaire, causée par le H1N1, un sous-type des virus grippaux de type A2,ayant un intermédiaire possible, le cochon, qui a facilité la transmission du virus des oiseaux à l’homme. La période de guerre, traversée pendant ces années, a empêché les analyses et les statistiques minutieuses, de sorte que les appréciations sont incertaines. On estime que le nombre de malades s’est situé entre 100 et 500 millions3, et les décès à approximativement 50 millions4. D’autres calculs proposent cependant jusqu’à 15 millions de décès en 1918 et encore 2,5 millions en 19195.

Quatre décennies plus tard, en 1957, l’humanité s’est confrontée à une autre grippe. Il s’agit de la grippe asiatique, dans laquelle le rôle principal a été pris par le sous-type H2N2. Celle-ci est apparue à Singapour, se répandant à Hong Kong et aux États-Unis et faisant au niveau mondial environ 1,1 millions de victimes6. Il est important de noter que dans le cas de cette grippe asiatique, le virus est aussi d’origine aviaire7.

Àenviron 10 ans d’intervalle, en 1968, est apparue la grippe Hong Kong (H3N2). Il s’agit aussi du sous-type H3N2, apparenté à H2N2. Les recherches ont montré l’origine du virus est très probablement liée à des cochons co-infectés avec des virus humains et aviaires, qui ont transmis à leur tour ce virus à l’homme, sans exclure que le virus se soit transmis des oiseaux directement à l’homme8. Des formes de la grippe Hong Kong sont réapparues en 1969, en 1970 et en 1972, faisant plus d’un million de victimes.

Trois décennies plus tard, entre 2004-2007, est apparue la grippe aviaire, qui avait à la base le sous-type H5N1. Détectépour la première fois en Chine, en 1996, ce virus s’est finalement répandu en une décennie dans plus de 50 pays d’Afrique, Asie, Europe et Moyen-Orient9. Les analyses génétiques ont fait apparaître que le H5N1 est d’origine aviaire. Il est apparu d’abord chez les oiseaux, faisant des millions de victimes parmi ceux-ci. Ultérieurement il s’est transmis aussi aux animaux, et finalement à l’homme. Afin d’en limiter la dissémination, des centaines de milliers d’oiseaux ont été tués. Il y a eu peu de victimes parmi les humains, mais ce n’est pas parce que le virus n’était pas dangereux. En réalité il était bien dangereux, puisque le taux de mortalité était de presque 50%. Le nombre de cas (861 personnes) et de victimes (465) était petit, seulement parce que le virus ne s’est transmis que des oiseaux à l’homme, et non pas de l’homme à l’homme. Ont été donc exposés à l’infection ceux qui, pour une raison ou une autre, ont développé des activités à proximité d’oiseaux malades. La grippe déclenchée par le H5N1 est réapparue plusieurs années de suite, ayant de moins en moins de foyers (65 foyers en 2006, 55 en 2007, 11 en 2008). De même, le nombre de victimes parmi les oiseaux et les hommes a enregistré des baisses successives10.

Cinq ans plus tard, en 2009, au Mexique et aux États-Unis, est apparu le virus grippal A/H1N1, d’origine porcine11. Il s’est vite répandu dans 30 pays, par la transmission inter-humaine. Quelques articles ont signalé alors le potentiel dangereux du virus et la possibilité que celui-ci déclenche une pandémie12. Jusqu’à aujourd’hui, le A/H1N1, transmis par les particules de liquide de la respiration, s’est répandu dans 213 pays et territoires, parmi lesquels le Pakistan, Malte, le Maroc, l’Iran, l’Inde ou le Canada. Certaines estimations, offertes par une publication prestigieuse, indiquaient au niveau global, en 2009, entre 150.000 et 575.000 décès13. Bien que le taux de mortalité n’ait été que de 0.03%, on a souligné que le danger ne devait pas être négligé, en indiquant la nécessité de surveiller la grippe, parce que les éventuelles modifications pourraient mener à l’apparition de virus à potentiel pandémique chez l’homme14.

Peu de temps avant CoVid-19. Deux avertissements sans réponse : SARS et MERS

Avant toute discussion sur le coronavirus SARS-CoV-2, qui a déclenché la pandémie CoVid-19, àla brève liste ci-dessus nous devons ajouter deux autres événements.

Le premier est bien sûr la pandémie connue sous le nom de SARS(Severe Acute Respiratory Syndrome), qui a affecté le monde entre 2000 et 2003. Transmis par la respiration, SARS s’est répandu en 30 pays, couvrant des régions vastes en Europe, aux États-Unis et au Canada, àla Nouvelle Zélande et en Australie, en Chine et dans de nombreux pays d’Asie. Il a été la cause de 8500 infections et plus de 700 décès. Peut-être qu’aujourd’hui, lorsque le nombre de malades du CoVid-19 a dépassé 2 millions de personnes, les cas de maladie provoqués par le SARS semblent peu nombreux. Pourtant, le danger était considéré extrêmement grand à l’époque, puisque le taux de mortalité était très grand, entre 9 et 11%15.

Dans le cas de SARS, l’origine du virus n’est pas liée aux oiseaux ni aux cochons. Il s’agit d’un coronavirus (SARS-CoV-1)16 qui provient, très probablement, de la chauve-souris en fer-à-cheval (une espèce qui vit également en Chine), avec comme possible intermédiaire dans la transmission à l’homme la civette du palmier (le chat indonésien).

Le second événement est représenté par la grippe du chameau (MERS – Middle East Respiratory Syndrome), signalée dans les années 2012-2019. Celle-ci a été déterminée par un autre coronavirus, appelé MERS-CoV. C’est une grippe d’un spectre clinique semblable à SARS (fièvre, toux, insuffisance respiratoire), avec divers degrés de sévérité, de maladies respiratoires asymptomatiques, légères, jusqu’à des pneumonies sévères, affectant au final plusieurs organes. Dans le cas de MERS également, le taux de mortalité a été très grand, mais le virus n’a pas été capable de se transmettre de l’homme à l’homme. Pourtant, il a enregistré une dissémination importante, après s’être manifesté d’abord dans la Péninsule Arabique, arrivant en Autrice, Chine, France, Allemagne, Grèce, Italie, Pays-Bas, Philippines, Corée du Sud, Thaïlande, Grande Bretagne ou aux États-Unis. Entre 2012 et 2019, MERS a été dépisté dans 27 pays, chez plus de 1360 personnes, provoquant 527 décès, ayant donc un taux de mortalité extraordinaire, de plus de 35,7%.

Il est important de préciser que les analyses génétiques ont montré que le MERS-CoV provient lui-aussi, très probablement, de la chauve-souris, ayant comme intermédiaire, dans la transmission à l’homme, le chameau.

Enfin, nous pouvons maintenant parler du SARS-CoV-2, qui est à la base du CoVid-19, la pandémie qui nous affecte durant ces semaines, et qui provient aussi, selon les recherches réalisées jusqu’à maintenant, de la chauve-souris. Depuis le 31 décembre, jour où il a été identifié, sont passés environ 100 jours, et pendant ce temps le coronavirus, appelé par certains spécialistes SARS-CoV-2, a changé beaucoup d’aspects dans la vie des sociétés et des communautés où nous vivons. Dans ce bref intervalle de temps, l’affection CoVid-19 a atteint déjà (au moment de l’impression et de la diffusion de ce matériel), environ 2,5 millions de malades et plus de 150.000 décès, dans plus de 210 pays et régions du monde entier.17

Nous évitons la discussion sur les nombreuses implications de ce fait. L’espace éditorial serait insuffisant pour tout ce qui concerne cette pandémie. Nous continuons à mettre en évidence seulement une partie des aspects qui présentent une pertinence pour une évaluation spirituelle, en espérant que dans les prochains numéros nous aurons l’occasion de faire d’autres exposés.

Il y a de nombreuses différences entre le SARS-CoV-2 et ce que nous appelons habituellement une grippe saisonnière. Même si le temps qui s’est écoulé est assez bref, les spécialistes ont assemblé suffisamment de preuves cliniques pour esquisser quelques différences majeures entre la grippe saisonnière et CoVid-19. Sur ces situations, on pourrait également écrire un matériel de nature à mettre en évidence d’autres aspects pertinents pour la vie spirituelle qui nous intéresse. Mais pour l’instant, concernant CoVid-19, nous gardons seulement l’aspect qui concerne l’origine du virus SARS-Cov-2. Les recherches réalisées jusqu’à maintenant montrent que dans ce cas également, il s’agit toujours de chauves-souris. Un article apparu dans la prestigieuse revue Nature démonte un cliché semblable à celui qui est apparu à l’occasion de SARS : ce virus non plus n’est pas produit artificiellement dans le laboratoire18. La source en sont, très probablement, les chauves-souris, et les intermédiaires sont pour l’instant inconnus.

L’histoire du dernier siècle laisse sans objet la conspiration concernant CoVid-19

On peut faire trois observations au bout de ces mentions de nature historique. La première concerne le besoin de réfléchir au danger d’accepter, sans pensée critique, les théories de la conspiration pour ce que nous vivons maintenant. Pourquoi considérer CoVid-19 comme le résultat d’un virus fabriqué de manière artificielle ? Si tout était commandé par un groupe secret, comment expliquerait-on alors tous les autres virus et pandémies ? Serait-il juste de prendre en compte le fait que l’humanité se confronte périodiquement à de telles épidémies, et d’essayer de voir d’autres causes plus profondes ? Y aurait-il un sens à chercher un lien entre tous ces événements, tenant compte de la fréquence avec laquelle ils apparaissent, de leurs mécanismes semblables et de leurs origines communes ? Pourrait-il y avoir des causes plus cachées, qui les déclenchent encore et encore ? S’il en était ainsi, alors il ne serait plus question que de CoVid-19, mais d’une situation plus ample, étroitement liée au monde et à la vie que nous vivons.

Nous avons vu que les virus proviennent du monde vivant. Concernant les grippes d’origine aviaire (A/H1N1, H2N2, H3N2, H5N1), les sources sont les oiseaux et les cochons. Ici on ne devrait pas perdre de vue que certaines recherches indiquent comme causes pour ces situations le non-respect de conditions d’hygiène et de santé dans les grandes fermes d’élevage intensif des oiseaux et des cochons. Nous allons voir, dans les prochains articles, que la transmission chez l’homme des grippes aviaires ou porcines peut avoir de telles causes. Même si elles sont présentes dans des lieux lointains du globe terrestre, la civilisation hyper-connectée par les vols aériens et les échanges commerciaux généralisés peuvent mener rapidement dans notre contexte à de tels dangers.

Pour l’instant, nous retenons cette constatation, qui est que nous avons à perdre si nous embrassons une théorie de la conspiration. Il est plus utile de situer les événements dans un contexte historique plus large, et en connexion les uns avec les autres. Nous pouvons définir une compréhension plus vaste, qui nous montre que le mal dont nous faisons l’expérience pourrait relever d’une philosophie économique et d’une vie mal construites, alimentées par des pratiques civilisationnelles indésirables, insoutenables, par des habitudes irrationnelles. En fait, elles nous conduisent vers l’idée que, dans une bonne mesure, nous avons nous-mêmes provoqué le mal que nous vivons, dans la civilisation que nous avons choisi de bâtir. Et ainsi, la pandémie actuelle pourrait produire une rare, amère et très coûteuse occasion pour remettre en discussion une partie de nos habitudes.

Une apparition naturelle et inévitable

La deuxième observation qui peut être apportée ici est quelque peu ahurissante, mettant à nouveau en évidence les déficiences de fond de la civilisation actuelle. Il y a eu de nombreux avertissements, mais ils n’ont pas été perçus ! Surtout après SARS, sont apparues diverses recherches qui ont mis en évidence le danger et la force de ces virus, partant de leurs caractéristiques, de la facilité avec laquelle ils subissent des modifications, pouvant s’adapter à des cellules hôtes. Ont été publiées des études génétiques, des recherches statistiques, des études comparées, diverses évaluations des risques présentés par les coronavirus et leurs causes possibles19. Ont été formulées des recommandations de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et ont été diffusées des informations liées à de tels scénarii possibles. Mais les réactions au niveau global ont été beaucoup trop faibles.

En quelque sorte, ceci nous montre que, même si à l’échelle globale on a l’accès à l’information, la manière dont on procède ultérieurement est caractérisée plutôt par l’impuissance, l’inertie ou l’ignorance. En général, nous avons la tendance de minimiser les dangers s’ils sont éloignés dans le temps ou dans l’espace20. De même, les mises en garde n’ont pas provoqué un repositionnement du monde et la préparation d’une réponse adéquate, parce qu’elles visaient seulement un avenir possible, mais indéterminé.

Dieu n’est pas l’auteur du mal

La troisième observation a en vue la nécessité d’une compréhension adéquate de la Providence divine, du rôle et de l’action de Dieu dans le développement de ces événements. Maintes fois, pendant ces dernières semaines, on a pu dire que nous vivons le châtiment de Dieu infligé pour les péchés des hommes. Sans doute, « il n’y a pas d’homme qui vive et qui ne pèche pas», parce que «nul n’est bon, sauf Dieu » (Luc 18, 19). Mais là n’est pas le point sensible de cette manière de comprendre, mais dans la manière de placer le drame que nous vivons au niveau de Dieu. Ce fait mérite d’être éclairci, car cela concilie deux réalités indéniables. La première relève du message Révélé, selon lequel Dieu est amour (I Jean 4, 8), et Il aime le monde d’une manière parfaite. L’autre concerne la réalité du mal, de la souffrance et de la mort dont nous faisons l’expérience aujourd’hui, à une échelle sans précédent. La compréhension spirituelle de la pandémie, comme nouvelle condition de vie du monde global, peut être entrevue à cet égard. Si Dieu nous aime, comment est-il possible que nous traversions cette amère et douloureuse épreuve de la vie ? Où est Son œuvreet Son amour salvateur ? La création qu’Il a faite était dès le début « fort bonne »21, alors pourquoi les maux que nous vivons aujourd’hui sont si grands, si importants ? Notre mal aurait-il triomphé de Son amour ? Ou bien, si Lui-même nous envoie ces fardeaux de la vie pour nous punir, alors comment ces souffrances provoquées par Lui peuvent se concilier avec Son amour pour nous, avec Son Sacrifice pour nous les pécheurs et les mortels de ce monde, pour les êtres fragiles que nous sommes ?

De nombreux passages bibliques et leurs significations dévoilées par les saints pères présentent la vérité de foi selon laquelle Dieu est amour. Dans l’Écriture Sainte, l’existence de l’homme et du monde est comprise et radiographiée spirituellement, àtravers même les fragments dhistoire quelle contient. L’Écriture récapitule – dans la Personne-même du Christ Seigneur dont nous parle le Nouveau Testament – la vie de l’homme et du monde.

C’est pourquoi, dans les conditions de la pandémie actuelle, il convient de revenir à l’Écriture Sainte. Dans le texte de la Genèse nous trouvons l’un de ces passages, qui encadrent parfaitement d’un point de vue sémantique la situation de la pandémie que nous vivons.

Après l’épisode de la chute d’Adam, Dieu lui adresse un message qui semble très lourd : « Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l’arbre au sujet duquel je t’avais donné cet ordre : Tu n’en mangeras point ! le sol sera maudit à cause de toi. C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l’herbe des champs. C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. » (Genèse 3, 17-19).

Après cela, il y a un événement qui s’avère central pour toute l’anthropologie orthodoxe, pour comprendre l’œuvrede Dieu dans le monde après la chute d’Adam. Dieu fait à l’homme des « habits de peau ». Le texte mentionne que « L’Éternel Dieu fit à Adam et à sa femme des habits de peau, et il les en revêtit. » (Genèse 3, 21). Par précipitation ou par méconnaissance de la pensée patristique, l’intervention de Dieu après la chute d’Adam est comprise comme une punition. Puisqu’Adam a péché, en ignorant le commandement divin de ne pas manger de l’Arbre de la Connaissance du bien et du mal, Dieu le punit. Pourtant, cette interprétation, qui montre la souffrance et la mort comme des châtiments de Dieu, n’est pas en accord avec les significations que les saints pères entrevoient dans le texte de l’Écriture Sainte.

Dans une étude particulièrement précieuse22, le théologien grec Panayotis Nellas montre comment les saints pères n’interprètent pas tous ces maux mentionnés dans les paroles adressées par Dieu à Adam après la chute comme une malédiction prononcée par Dieu contre l’homme. Il s’agit de saints auteurs patristiques comme Saints Jean Chrysostome, Nicolas Cabasilas ou Maxime le Confesseur. Les maux annoncés à Adam et Ève proviennent de la rationalité-même de la Création, inévitablement affectée par le péché. Dans l’interprétation de ces saints pères, écritNellas, le péché amène le châtiment, « et le châtiment vient naturellement sur celui qui transgresse, non pas de la justice de Dieu, qui n’a pas frappé ni ne demande satisfaction, mais de la justice de la création »23. Les maux ne viennent pas de Dieu, mais se retournent contre l’homme à partir de la Création, comme une justice inhérente.

L’idée principale de cette interprétation devrait être présente aussi de nos jours. La souffrance et la mort que nous voyons et vivons maintenant, de même qu’à tout autre moment dans l’histoire ou dans l’avenir, ne viennent pas de Dieu, mais sont des conséquences de nos actes.

Adam est tombé, mais l’amour de Dieu ne tombe jamais

Pour continuer, et souligner encore plus la présence aimante de Dieu pour l’homme après la chute, les saints pères entrevoient dans les «habits de peau» l’expression de Son amour protecteur montré à l’homme déchu, affecté par les conséquences de sa chute qui s’est retournée contre lui, àsavoir la souffrance, la maladie et la mort. Adam est tombé, mais l’amour de Dieu pour lui ne tombe pas. Et, si nous retenons cette interprétation, nous pouvons dire qu’il n’est pas tombé non plus de nos jours. Concrètement, les «habits de peau» sont compris comme une sorte de médicament que Dieu donne à l’homme, un médicament de nature à le fortifier, dans ses nouvelles conditions de vie. Saint Nicolas Cabasilas écrit dans ce sens que la blessure, la douleur et la mort «ont été conçues dès le départ contre le péché… C’est pour cela que, immédiatement après le péché, Dieu a permis la mort et la douleur, non pas en faisant tomber une condamnation sur celui qui a péché, mais plutôt en offrant un remède à celui qui est tombé malade»24.

C’est pourquoi, à la lumière de cette compréhension des saints, dans le mal que nous vivons dans le monde, une contribution très importante relève de nos mauvaises actions. Saint Jean Damascène écrit dans ce sens que nous, les hommes, « sommes la cause de ces maux », et que «les maux volontaires engendrent les maux involontaires »25. Toutes les choses que Dieu a faites, continue-t-il, telles qu’Il les a faites, sont bonnes (Genèse 1, 31). Si elles restent ainsi, écrit-il, « telles qu’elles ont été façonnées, elles sont très bonnes », mais « si elles s’éloignent volontairement de l’état conforme à la nature et reviennent à un état contraire à la nature, elles versent dans le mal ».26

Il est important de garder, pour ces jours difficiles, la conviction que Dieu n’est pas l’auteur du mal et de la mort. Àla lumière de telles significations proposées par les auteurs patristiques et complétées par les données des sciences, nous allons entrevoir une réalité nouvelle. Nous constatons que nous pourrions être, d’une manière ou d’une autre, les auteurs du mal que nous vivons aujourd’hui, ce qui mérite pleinement une analyse attentive, une réflexion honnête. C’est une voie incomparable, plus difficile que ce que nous offrait la simple étiquette de la conspiration, qui ne faisait qu’externaliser tout simplement toute l’histoire. Sur cette voie qui suppose d’assumer, nous pourrions entrevoir les erreurs cachées, les erreurs de projection qui ont affecté toute l’architecture de notre civilisation et nous pourrions découvrir le déficit de vie spirituelle qui accompagne la dynamique du monde et de la vie, et comprendre qu’il y a là une absence impossible à remplacer.

(à suivre)

Diac. Adrian Sorin Mihalache

Notes :


1. Pendant ces énévements, aussi, ont circulé des théories de la conspiration, qui ont tenté des explications du même genre.
2. Il existe quatre types de virus grippaux, A, B, C et D. Les virus grippaux A infectent les hommes et les animaux, ayant un potentiel pour déclencher des pandémies. Les virus de type B apparaissent d’une manière saisonnière, se transmettent habituellement de l’homme à l’homme et provoquent les grippes saisonnières. Les virus grippaux de type C produisent en général des infections légères. Les virus grippaux de type D affectent surtout le bétail. (Cf. Organisation Mondiale de la Santé (https://www.who.int/en/news-room/fact-sheets/detail/influenza-(avian-and-other-zoonotic) et l’Hôpital Reine Marie de Bucarest (https://www.reginamaria.ro/articole-medicale/gripa-fa-cunostinta-cu-virusurile-gripale).
3Cf. Taubenberger JK, et al, ”1918 Influenza: the mother of all pandemics”, Emerging Infectious Diseases, 12 (1): 15–22. doi:10.3201/eid1201.050979. PMC 3291398. PMID 16494711.
4Cf. P. Johnson et al, « Updating the accounts: global mortality of the 1918–1920 “Spanish” influenza pandemic », Bull. Hist. Med. 2002. 76(1): 105-115; “Ten things you need to know about pandemic influenza (update of 14 October 2005)”. Weekly Epidemiological Record (Relevé Épidémiologique Hebdomadaire). 80 (49–50): 428–431. 9 December 2005. PMID 16372665, disponibil la https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/232955/WER8049_50_428-431.
5Cf. P. Spreeuwenberg; et al. (1 December 2018). “Reassessing the Global Mortality Burden of the 1918 Influenza Pandemic”, American Journal of Epidemiology, 187 (12): 2561–2567. doi:10.1093/aje/kwy191. PMID 30202996.
6Cf. Center for Disease Control and Prevention (CDC), la https://www.cdc.gov/flu/pandemic-resources/1957-1958-pandemic.html.
7Cf. Timm C. Harder et al., Influenza Report 2006, capitolul 2, disponibil online la http://www.influenzareport.com/ir/ai.htm
8Ibidem.
9Cf. Centers for Disease Control and Prevention, Highly Pathogenic Asian Avian Influenza A(H5N1) Virus, online àhttps://www.cdc.gov/flu/avianflu/h5n1-virus.htm
10. Dans l’arrêt de la dissémination de cette nouvelle souche ont joué un rôle important les mesures prises pour limiter les foyers et l’administration de vaccins chez les oiseaux, et ensuite chez les hommes.
11Cf. Centers for Disease Control and Prevention, ”Swine influenza A (H1N1) infection in two children – Southern California”, March - April 2009, Morb. Mortal. Wkly Rep. 58, pp. 400–402 (2009).
12. L’un de ces textes, publié dans Nature, exposait aussi des aspects évolutifs de la génétique du virus SARS (dont nous parlerons dans un autre article), critiquant aussi à l’époque l’idée qu’il serait artificiel.
13Cf. Fatimah S Dawood et al, Estimated global mortality associated with the first 12 months of 2009 pandemic influenza A H1N1 virus circulation: a modelling study, The Lancet, volume 12, Issue 9, pp. 687-695, 1er septembre 2012, p. 694.
14Cf. Shortridge, K. F., et al, ”Persistence of Hong Kong influenza virus variants in pigs”, Science 196, pp. 1454–1455 (1977).
15. Comparativement, la grippe saisonnière habituelle (avec des souches du virus grippal de type B), comporte des taux de mortalité de 0.1%, àsavoir un décèspour mille cas dinfections. Avec une mortalité de 9-11%, SARS est presque 100 fois plus sévère.
16. L’expression “coronavirus” est utilisée depuis le milieu des années’60, et fait référence à l’aspect semblable à une couronne, que l’on trouve chez ces virus. Ils présentent une enveloppe sphérique, n’ont pas d’ADN, mais seulement l’ARN. (Cf. Dongcheng Bai, et al, ”Porcine deltacoronavirus (PDCoV) modulates calcium influx to favor viral replication”, Virology, vol. 539, 2020, pp. 38-48, https://doi.org/10.1016/j.virol.2019.10.011.)
17. Données disponibles à https://www.worldometers.info/coronavirus/#countries.
18Cf. Andersen, K.G. et al, ”The proximal origin of SARS-CoV-2”, Nat Med 26, pp. 450–452 (2020), accessible en ligne à https://doi.org/10.1038/s41591-020-0820-9.
19. Une information présentée sur la chaîne de télévision roumaine ProTv mentionnait, dès 2019, les mises en garde de l’OMS en rapport avec la possibilité de la dissémination d’un tel virus (https://stirileprotv.ro/stiri/actualitate/oms-anunta-exact-acum-un-an-ca-o-pandemie-este-inevitabila.html?fbclid=IwAR3ossjlEDCBbmxRYXdtASBxSy3EtIXiYQo_YpauBkpuQBPkNViGBUh5sko). Les adeptes de la théorie de la conspiration ont utilisé ceci comme une preuve que l’acte criminel était connu et préparé, et pas du tout pour montrer que les données scientifiques ont anticipé correctement les risques.
20Cf. Igmar Peerson et Julian Săvulescu, Neadaptați pentru viitor [Non-adaptés pour l’avenir], All, București, 2012, p 57.
21. “Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon” (Genèse 1, 31).
22. Panayotis Nellas, Omul animal îndumnezeit [L’homme, animal divinisé], Deisis, Sibiu, 1999.
23Ibidem, p. 100.
24. St. Nicolas Cabasilas, Despre viața în Hristos [Sur la vie en Christ], apud. Panayotis Nelas, op. cit., p. 100.
25. Saint Jean Damascène, Dogmatica [Dogmatique], Scripta, Bucarest, 1993, p. 189.
26Ibidem, p. 191

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