Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
« Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par qui aussi il a fait les siècles » (Hb. I, 2.)
« Venez, réjouissons-nous dans le Seigneur en exposant le mystère de ce jour : le mur de séparation est renversé ; le glaive flamboyant est déposé, les Chérubins ne gardent plus l’arbre de vie, et moi je participe aux délices du Paradis dont la désobéissance m’avait exclu, car l’Icône immuable du Père divin, l’empreinte de son éternité, prend forme d’esclave en naissant d’une Mère vierge, sans subir de changement, et le Dieu véritable demeure ce qu’il était, assumant ce qui lui était étranger, par amour des hommes, l’humanité ; aussi chantons à notre Dieu : Toi qui es né de la Vierge, aie pitié de nous » (Stichère du Lucernaire des Vêpres du 25 décembre. Ménée de décembre).
Ce premier stichère de l’office des Vêpres du 25 décembre résume bien le grand mystère de l’Incarnation, profond mystère que proclame le saint Apôtre Paul dans la première épître à Timothée en déclarant : « Grand est le mystère de la piété : Dieu est apparu dans la chair ! θεὸς ἐϕανερώθη ἐν σαρκὶ » (I Tim. III, 16). La profondeur de ce mystère réside en ce que le Verbe qui est Dieu (Jn. I, 1) s’est abaissé jusqu’à nous en se faisant homme, sans cesser d’être Dieu, sans que sa divinité subisse un changement ou une quelconque altération.
Saint Justin de Tchélié dit que « Par son incarnation, Dieu est entré de la manière la plus évidente dans la matrice de la vie humaine, entré dans le sang, il est entré au cœur, au centre même de tout. Chassé du monde, du corps et de l’âme de l’homme par le péché, Dieu revient par l’Incarnation dans ce monde, dans ce corps, dans cette âme, devient homme, et de l’homme travaille pour l’homme ; Il s’établit dans le monde (Jn. I, 14-15) et de la Création pourvoit à la création.L’incarnation de Dieu est le plus important des ébranlements de ce monde et de tous les mondes, car c’est un miracle au-dessus de tous les miracles qui s’est ainsi réalisé. S’il y eut jamais un miracle important depuis la création du monde, il ne fait pas de doute que l’incarnation de Dieu l’ait surpassé en merveille. Alors que lors de la création du monde les paroles de Dieu se sont revêtues de matière, lors de son Incarnation c’est Dieu lui-même qui s’est revêtu d’un corps, de matière et de matérialité. C’est pourquoi l’incarnation de Dieu est le plus grand des miracles de tous les mondes, pour toute personne, pour tout être et pour toute chose » (Philosophie orthodoxe de la Vérité, tome II pages 13 et 14 – Éd. L’Âge d’Homme, Lausanne 1993).
De son côté, saint Jean Chrysostome affirme dans sa première Homélie sur l’Épître aux Éphésiens : « Le Verbe qui consomme et abrège tout dans la justification, embrasse le passé et l’enrichit encore. Voilà le magnifique résumé de l’Incarnation […] Dieu a donné à tous, aux anges comme aux hommes, une seule et même tête, le Christ selon la chair : le Christ est le chef de tous les hommes parce qu’il s’est revêtu de notre chair, des anges parce qu’il est le Verbe de Dieu. Comme vous diriez, d’une maison en partie détériorée, en partie solide, qu’on l’a rebâtie, par la raison qu’on a consolidé les parties faibles et raffermi les fondements, ainsi pouvons-nous parler de la création spirituelle. N’ayant plus qu’une tête, elle est restaurée, toutes les parties sont exactement rattachées ensemble, la parfaite unité s’établit : c’est un lien supérieur et divin qui vous est donné » (1ère Homélie sur l’Épître aux Éphésiens, page 180. Œuvres complètes de saint Jean Chrysostome, tome 18 – Édition bilingue grec-français par J. Bareille, Paris 1872). Autrement dit, par son Incarnation, le Dieu-Homme met fin à la séparation entre le monde céleste et le monde terrestre.
Pour saint Maxime le Confesseur, le Christ Dieu-Homme, par son Incarnation, « après avoir frappé d’inertie les puissances ennemies qui emplissent l’espace entre le ciel et la terre, il a montré qu’unique est l’assemblée des puissances terrestres et célestes qui reçoivent en partage les dons divins, dès lors que la nature humaine, dans l’unique et même volonté, célèbre en joie, avec les puissances d’en-haut, la gloire de Dieu ; mais encore en ce que, après avoir accompli l’économie de notre salut et s’être élevé avec le corps qu’il avait assumé, il a uni par lui-même le ciel et la terre, il a relié le sensible à l’intelligible, et il a montré qu’est une la nature créée, laquelle forme un tout uni en elle-même… » (Brève interprétation de la prière du Notre Père pour un ami du Christ, page 551 in Philocalie des Pères neptiques, tome A3 – Éd. Abbaye de Bellefontaine, 2004).
Ce grand mystère de l’Incarnation « a été caché aux générations [et même aux Anges] depuis la fondation du monde » nous dit l’Apôtre (Col. I, 26), mystère qui « consiste dans l’ineffable et inconcevable union hypostatique de l’humanité et de la divinité » affirme saint Maxime le Confesseur en commentant ce verset de l’épître aux Colossiens : « Cette parole de l’Écriture […] Il s’agit à l’évidence de l’union ineffable et inconcevable de la divinité et de l’humanité selon l’hypostase… » (Questions à Thalassios 60, SC. 569, tome III, page 83 – Éd. du Cerf). Saint Maxime ajoute que ce mystère caché depuis la fondation du monde est « connu avant tous les siècles, par le seul Père, Fils et Saint Esprit, le premier par sa bienveillance, le second en le réalisant lui-même, le troisième par sa coopération : une est en effet la connaissance du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, parce que l’essence et la puissance sont aussi une. Ni le Père ni l’Esprit Saint n’ignoraient l’incarnation du Fils, parce que dans le Fils tout entier qui réalisait par son incarnation le mystère de notre salut, se trouve le Père tout entier selon l’essence, non parce qu’il prend chair mais parce qu’il considère avec bienveillance l’incarnation du Fils ; et l’Esprit Saint tout entier se trouve selon l’essence dans le Fils tout entier, non parce qu’il prend chair mais parce qu’il coopère avec le Fils à son ineffable incarnation à cause de nous » (op. cit. Question 60, page 89).
Mais quand vint la plénitude des temps, comme le dit la grande prière d’action de grâces qui ouvre l’anaphore eucharistique de saint Basile le Grand, s’adressant au Père : « Tu nous as parlé par ton propre Fils, par qui aussi tu avais fait l’univers, Lui qui est la splendeur de ta gloire et l’empreinte de ta personne… », cette plénitude des temps, signifie que l’Incarnation de l’Unique-Engendré-Dieu vient à un moment précis de l’histoire du peuple choisi mais aussi de tous les hommes, venue précédée par longue préparation et rendue possible par le ‘oui’ de la Vierge Marie à l’Archange Gabriel, réalisation de la promesse du Messie-Sauveur, ainsi que l’atteste l’Écriture sainte.
Dès Genèse III, 15 qui concerne la malédiction du serpent inspirateur de la prévarication d’Adam : « vous serez comme des dieux » et l’inimitié entre lui et la femme, laquelle lui écrasera la tête, les Pères comprennent que celui qui relèvera la nature humaine sera de cette race de la femme : « …l’une étant mordue au talon, mais ayant assez de force pour fouler aux pieds la tête de l’ennemi, l’autre mordant, tuant et entravant la marche de l’homme, « jusqu’àce que fût venue la postérité » (Ga. III, 19) destinée à fouler aux pieds (Lc. X, 19) la tête du serpent, c’est-à-dire le fruit de l’enfantement de Marie (Ga. III, 16) » (Saint Irénée de Lyon : Contre les Hérésies. Livre III, 23, 7, page 391 – Éd. du Cerf).
On pourrait également citer dans le même registre, saint Justin Martyr, saint Cyprien de Carthage et d’autres encore. Il faut aussi mentionner les promesses faites aux Patriarches, en particulier Abraham, car par eux la bénédiction sera donnée aux nations de la terre et surtout l’annonce que Jacob, mourant, fait à Juda son fils : « Le sceptre ne sera pas retiré à Juda, ni le bâton de commandement qui est entre ses jambes, jusqu’à ce que vienne Shilo et que les peuples lui obéissent » (Gn. XLIX, 10).
Balaam fils de Béorannonce l’avenir glorieux d’Israël et salue par avance « celui qui sort de Jacob » (Nb. XXIV, 19) et Moïse évoque la venue d’un prophète comme lui, suscité par le Seigneur du milieu d’Israël : « Je susciterai pour eux, parmi leurs frères, un prophète comme toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. Si quelqu’un n’écoute pas mes paroles, celles qu’il dira en mon nom, c’est moi qui lui en demanderai compte » (Dt. XVIII, 18-19).
Nombre de psaumes parlent des gloires du Messieà venir. Le plus connu est probablement le second psaume, psaume royal, mais il y en a d’autres comme le psaume XLIV : « Ceins ton épée sur ta hanche ô Puissant, dans ta splendeur et ta beauté, élance-toi, avance en vainqueur et règne pour la vérité, la clémence et la justice et que ta droite te fasse accomplir d’admirables actions » (XLIV, 4-5). Citons le psaume LXXI qui décrit celui qui « durera de génération en génération » et « sauvera les fils des malheureux et humiliera le calomniateur », ou un autre comme le CIX : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : ‘siège à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds’… » (verset 1).
D’autres encore décrivent les souffrances du Messie, livré par l’un des siens : « L’homme avec qui j’étais en paix, qui avait ma confiance et qui partageait mon pain, a levé le talon contre moi » (XL, 10), couvert d’opprobres, et : « Pour nourriture ils m’ont donné du fiel, pour ma soif, ils m’ont abreuvé de vinaigre » (LXVIII, 22), entouré de persécuteurs qui lui percent pieds et mains : « Ils m’ont percé les mains et les pieds, ils ont compté tous mes os, ils m’ont observé et fixé du regard ; ils se sont partagé mes vêtements, ils ont tiré au sort ma tunique » (XXI, 18-19).
Plus l’avènement de l’Incarnation du Christ s’approche, plus la prophétie se fait précise : Michée annonce celui qui doit venir, en ces termes : « Quant à toi, Beth-Léhem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi Celui qui doit gouverner Israël » (Mi. V, 1). Son origine remonte aux « jours de l’éternité » et le saint Apôtre et évangéliste Matthieu a vu la réalisation de cette promesse en la naissance du Verbe divin parmi les hommes : « Beth-Léhem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda, de toi sortira le chef qui fera paître Israël mon peuple » (Mt. II, 6).
Isaïefils d’Amoç, Prince des prophètes, est très explicite quand il parle de l’incarnation future : « La vierge concevra et enfantera un fils, auquel sera donné le nom d’Immanou-El [Dieu avec nous] » (VII, 14) et : « Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, Il a la souveraineté sur son épaule, et on l’appelle Admirable, Conseiller, Dieu fort, Père de l’éternité Prince de la paix » (IX, 5). Lorsqu’il parle de ce Messie qui naît petit enfant, il évoque aussi les souffrances que devra subir celui qui est issu du tronc de Jessé : « Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleur et habitué à la souffrance […] ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’était chargé ; et nous, nous le pensions atteint d’un fléau, frappé par Dieu et affligé. Or il était transpercé à cause de nos transgressions, écrasé à cause de nos fautes… » (LIII, 3-5a).Tout se tient : l’Incarnation ne saurait être séparée de la Passion, et la Passion de la Résurrection. Les langes qui enveloppent l’enfant Jésus ne préfigurent-elles pas les bandelettes à côté du suaire au tombeau ? Et dans la prophétie de Daniel (VII, 14) nous voyons la figure du « Fils de l’Homme », titre messianique que le Seigneur utilisera pour lui-même.
Dans le Nouveau Testament les saints Apôtres et évangélistes insistent sur le réalisme de l’Incarnation, son accomplissement et sesimplications : c’est le Verbe éternel de Dieu qui s’est fait chair (Jn. I, 14), qui est par conséquent consubstantiel au Père quant à la divinité et consubstantiel à nous quant à l’humanité. Il est Dieu et homme véritable –corps-âme-esprit –, sans confusion ni séparation, avec une volonté divine et une volonté humaine distinctes, Il est en tout semblable à nous hormis le péché et puisqu’il assume pleinement la nature humaine, Lui seul peut la sauver de sa déchéance et de la mort, héritage de la prévarication d’Adam, car seul Dieu peut sauver l’homme.
En son humanité, il naît, il croît, il éprouve dans sa chair toutes les affections naturelles des hommes : faim, soif, fatigue, crainte, tristesse : ne dit-il pas à Pierre et aux deux fils de Zébédée qu’il prend avec lui au jardin de Gethsémani : « Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi » (Mt. XXVI, 38. Voir aussi Jn. XII, 27). Et au Mont des Oliviers, alors qu’il priait, cette parole qu’il prononce : « Père, si tu veux, éloigne de moi cette coupe ! [Le sang répandu, la mort] Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse ! » (Lc. XXII, 42).
Le Christ Jésus est de la lignée de David et des Ancêtres, et c’est pourquoi le dimanche avant Noël, appelé dimanche « de la Généalogie », nous lisons la généalogie du Seigneur dans l’évangile de saint Matthieu. Saint Paul dans l’épître aux Hébreux dit qu’en venant parmi les hommes, le Fils de Dieu, puisque « les enfants avaient en commun le sang et la chair, Lui [le Christ] aussi y participa pareillement afin de réduire à l’impuissance, par sa mort, celui qui a la puissance de la mort, c’est-à-dire le diable, et d’affranchir tous ceux qui, leur vie entière, étaient tenus en esclavage par la crainte de la mort » (Hb. II, 14). Il a assumé une nature humaine avec « une chair semblable à celle du péché et en vue du péché, a condamné le péché dans la chair » (Rm. VIII, 3b).
C’est la raison pour laquelle, l’Apôtre saint Jean dans sa première épître, nous donne un précieux critère de discernement pour distinguer qui est de Dieu et qui ne l’est pas : « À ceci reconnaissez l’esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu ; c’est là l’esprit de l’Antichrist » (I Jn. IV, 2-3).
Concluons avec saint Justin de Tchélié (le bienheureux Père Justin Popovitch) Luminaire de l’Orthodoxie au XXè siècle : « La cause de l’Incarnation de Dieu est son amour de l’homme, dit saint Grégoire de Nysse, parce que l’amour de l’homme est la caractéristique spécifique de la nature divine. Notre nature souffrante avait besoin d’un médecin, l’homme déchu avait besoin qu’on le redressât ; privé de vie il avait besoin qu’on le vivifiât ; écarté de la participation au bien, il avait besoin d’un guide vers le bien ; prisonnier de l’obscurité il avait besoin d’un rayon de lumière ; dans sa captivité il cherchait un rédempteur, dans ses larmes, un protecteur, dans sa servitude, un libérateur. C’était assez pour pousser Dieu à visiter la race humaine, à s’incarner » (Philosophie orthodoxe de la Vérité, tome II, page 20 – Éd. L’Âge d’Homme, Lausanne 1993).
Saint Irénée de Lyon, parlant de la nouveauté du Christ, dit : « Lorsque le Roi est arrivé, que ses sujets ont été remplis de la joie annoncée, qu’ils ont reçu de lui la liberté, qu’ils ont bénéficié de sa vue, entendu ses paroles et joui de ses dons, alors, du moins pour les gens sensés, ne se pose plus la question de savoir ce que le Roi a apporté de nouveau par rapport à ceux qui avaient annoncé sa venue : car il a apporté sa propre personne et fait don aux hommes des biens annoncés par avance et ‘que les messagers désiraient contempler’ (I Pi. I, 12) » (Contre les Hérésies. Livre IV, 34, 1 – Éd. du Cerf). Et saint Jean Damascène de proclamer que le Christ « est le seul nouveau sous le soleil » (De la Foi orthodoxe III, 1).
P. Gérard Reynaud
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