Ajouté le: 8 Janvier 2023 L'heure: 15:14

L’Eucharistie

L’Incarnation du Fils de Dieu, ce « grand mystère de la piété », ce « mystère caché depuis les siècles et inconnu des anges1 »,se renouvelle quotidiennement dans la vie liturgique des chrétiens par la célébration eucharistique. LEucharistieétait, est, et sera le cœur de la vie chrétienne. Si,ànotreépoque,la vie eucharistique sest tellement affaiblie que nous avons perdu presque toute conscience de la réalitéeucharistique et que nous traitons la divine Liturgie dans noséglises comme simplement un rite parmi dautres, un moleben2 ou un acathiste3 étant considérés presque plus importants, il n’en était pas de même au temps d’une vie d’Église authentique.

L’Eucharistie

L’Eucharistie, dans la conscience des anciens Byzantins et Moscovites jusqu’aux XVe-XVIe siècles, était le fondement et l’accomplissement de toute la vie liturgique. La période qui a suivi a progressivement achevé le processus entamé de désecclésialisation de la vie. Tout ce qui se concentrait autour de l’Eucharistie, comme centre de la vie liturgique, tous les sacrements, les prières et les rituels de l’Église orthodoxe se sont progressivement transformés, dans la compréhension des chrétiens, en des demandes d’intercessions privées, ils sont devenus l’affaire privée d’une personne ou d’une famille en particulier, pour qui la conscience de la communauté ecclésiale n’existe pas et dont elle n’a que faire. Or, aux temps apostoliques, paléochrétiens, comme durant la croissance et l’épanouissement de la conscience ecclésiale, à Byzance et dans la Rus ancienne, il en allait différemment. Pour les chrétiens, tout ce qui avait trait à la vie ecclésiale et à l’église se concentrait autour de la Liturgie, lui était lié, entrait dans sa composition. Et effectivement, déjà aux temps les plus anciens du christianisme, le baptême des catéchumènes se faisait au cours de la Liturgie eucharistique, certains jours spécialement prévus, comme Pâques, Noël, la Théophanie et d’autres. Des auteurs du IIe siècle et des siècles suivants (le saint martyr Justin le Philosophe, Sylvia d’Aquitaine4 et d’autres) parlent de telles « Liturgies baptismales ». De même, le mariage ou le sacrement de lhuile sainteétaient inclus dans le rituel de la Liturgie. Le mariageétait célébréavant le canon eucharistique, probablement au cours de la liturgie des catéchumènes, prèsde la lecture desÉpîtres et de lÉvangile ; ensuite les jeunes mariés communiaient ensemble aux Saints Mystères. Le sacrement des saintes huiles, dont le rite a connu une évolution si complexe, se déroulait aussi dans le cadre de la Liturgie : la bénédiction de l’huile se faisait au cours de la proscomidie et l’onction, après la prière de « l’ambon ». Le saint myron,maintenant encore, est béni pendant la Liturgie tout de suite après la bénédiction des Saints Dons, le Grand Jeudi [Jeudi saint]. L’ordination sacerdotale est inséparable de la Liturgie. De plus, tout ce que la théologie scolastique, pour une quelconque raison, ne considère pas comme un sacrement, mais qui, dans la conscience et les écrits des Pères et des docteurs de l’Église, était un sacrement et l’est toujours, par exemple la consécration d’une église, la consécration d’un antimension, la bénédiction des eaux à la Théophanie, la tonsure monastique, tout cela, d’une manière ou d’une autre, est lié à la Liturgie ou même y est inclus. Et même les funérailles sont d’habitude précédées d’une Liturgie des défunts. Ce n’est que par la suite, sous l’influence de la sécularisation de la vie et de sa désecclésialisation, que ce lien organique s’est rompu et que tous les sacrements se transformèrent, dans la conscience des fidèles, en des offices privés, dont certains ne prenaient qu’une forme de simples rituels, l’Eucharistie elle-même cessant d’être le pain spirituel essentiel. […]

Il convient de rappeler de plus que la nature même de l’Église est eucharistique. L’Église est le Corps du Christ. L’Eucharistie est aussi le Corps du Christ. C’est pour cela que sans l’Eucharistie il n’y a pas de vie ecclésiale, il n’y a pas, et il ne peut y avoir « d’ecclésialisation »de la vie. De même lEucharistie est impensable en dehors de lÉglise. Hors de lÉglise, on peut seulementreprésenterla Sainte Cène, la symboliser, mais on ne peut accomplir le Sacrifice eucharistique. En dehors de l’Église, elle est dépourvue de la Grâce. L’Eucharistie, comme l’ensemble de la vie sacramentelle, ne peut exister sans la force sanctifiante du Saint-Esprit […].

Il n’est pas possible de limiter le concept de l’Église à la seule définition classique du catéchisme : « L’Église est la communauté des fidèles, unis dans une même foi… » etc… LÉglise ne peutêtre réduite seulementàce cadre canoniquement administratif. Être inscrit dans une paroisse et participer aux assemblées paroissiales ne suffit pas encore pour vivre en l’Église. Il est impossible – souvenons-nous de G.Samarine5 – de seulement s’inscrire dans une Église ou d’être compté parmi ses membres, il faut vivre en elle, c’est-à-dire par elle. Il faut réellement, concrètement, organiquement, participer à la vie de l’Église, c’est-à-dire à la vie du Corps mystique du Christ. Il faut être une partie vivante de ce Corps. Il faut être participant, c’est-à-dire communier à ce Corps […].

Notre façon de voir le monde doit être eucharistique et nous devons vivre dans un état d’esprit eucharistique. L’Église dans la Liturgie rend grâces à Dieu « pour tous les bienfaits, connus ou ignorés, qui sont répandus sur nous »,« pour tous et en tout ». « Le prêtre qui célèbreoffre le sacrifice pour ses péchés et pour les péchés du monde » ou, pour reprendre les motsde la prière de saint Ambroise de Milan, il :

« Apporte au Seigneur l’affliction des hommes,
les soupirs des prisonniers, les souffrances des miséreux,
les besoins des voyageurs, l’affliction des impotents,
les infirmités des vieillards, les pleurs des enfants,
les serments des vierges, les prières des veuves et la fragilité des orphelins... »

Le prêtre, et avec lui toute la communauté assemblée et tout fidèle, doivent concentrer dans l’Eucharistie toute leur vie de prière. Dans la Coupe eucharistique, toute peine et toute joie sont offertes, elles doivent s’y dissoudre. L’Eucharistie doit embrasser et sanctifier toute la vie du chrétien, son travail, ses actions et ses élans créateurs.

C’est pour cela que la Liturgie et la vie eucharistique ne sont pas, et ne peuvent se limiter à la transmission au prêtre des diptyques pour les vivants et les défunts. La vie eucharistique ne consiste pas seulement à rester debout et être présent à un office ni à écouter des chants religieux. Le laïc n’assiste pas, il vit activement, en prière, le drame liturgique du Golgotha et il communie.

Dans l’Église Une, il ne peut y avoir qu’une Eucharistie. Cela ne contredit pas le fait qu’en raison du nombre important d’Églises locales, de la diversité des groupes et des peuples qui les composent, des différentes strates historiques, des traditions locales, etc., il existe une énorme quantité de types différents de prières eucharistiques, ou anaphores. L’unité de l’Église et l’unité de l’Eucharistie n’exigent pas une similitude du rituel de célébration. Des variantes, des particularités locales ne sont pas seulement tolérées, mais elles sont importantes pour démontrer la nature conciliaire de l’Église [sobornost’] […].

Il ne faut jamais oublier que, pour la conscience d’un chrétien « ecclésialisé », la célébration liturgique est la philosophie vivante et vitale de lOrthodoxie, et pas seulement un rituel comme le conçoit une conscience hors de lÉglise. Ou, pour reprendre lexpression desaint Irénéede Lyon, il faut dire que « Notre enseignement est en accord avec l’Eucharistie et l’Eucharistie, à son tour, confirme l’enseignement6 ».

Archimandrite Cyprien Kern,
« L’Eucharistie, Étude historique, théologique et pratique » 
À paraître aux éditions Apostolia, 2023

Notes :

1. Citation provenant du Théotokion du dimanche du ton 4.
2. Court office d’intercession ou d’action de grâces.
3. Ensemble (assez long) de prières de glorification d’un saint ou d’une icône, au cours desquelles « on ne s’assoit pas », d’où le nom « d’acathiste ».
4. Sylvia d’Aquitaine, ou Égérie, ou Éthérie, ou encore Étéry, a accompli un pèlerinage à la fin du IVe siècle (vers 380) en Terre Sainte, dont elle a rendu compte dans un texte dont une partie a été conservée sous l’appellation Itinerarium Egeriae o Peregrinatio Aetheriae ou Peregrinatio ad Loca Sancta, c’est le premier texte connu de pèlerinage. Cf. Égérie, Journal de voyage, SC 296.
5. Georges Samarine (1819-1876). Penseur russe de la chose publique. Disciple de Khomiakov dont il a développé les idées, notamment sur ce qu’est l’Église. Sur Khomiakov et l’Église, voir notre postface à A. S. Khomiakov. Le Dimanche Lumineux. ÉditionsApostolia, 2019.
6Contre les hérésies, IV, 18, 5.

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