Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
Marc 2, 15-17 – Le Repas Avec les Pécheurs – Proverbe
Dans notre lent cheminement au long de l’Évangile de Marc, nous nous trouvons maintenant dans la zone des controverses. Le chapitre 2 n’est presque composé que de ça. On dénombre cinq controverses dans cette première étape1, la cinquième se trouvant au début du chapitre 3.
Le chapitre 2 commence par la guérison du Paralysé (Mc 2, 1-12, étudiée dans Apostolia n° 124-125 de juillet-Août 2018), et cette guérison est l’occasion de la première controverse. En effet :
Le Christ, touché par la foi de ceux qui implorent cette guérison, vient de dire : Enfant, tes péchés sont remis. Aussitôt, des contradicteurs se manifestent : Or se trouvaient là quelques-uns des scribes qui étaient assis, et qui ruminaient dans leur cœur : Pourquoi parle-t-il ainsi celui-là ? Il blasphème. Qui peut remettre les péchés sinon Dieu seul ?
Dans l’absolu, ils ont raison. C’est un blasphème que de se donner comme détenteur du pouvoir divin de pardonner, et ils contestent. Pas encore ouvertement : ils se contentent de ruminer dans leur cœur.
Le Christ percevant le malaise en profite pour enseigner: Pour que vous sachiez que le Fils de l’Homme a autorité de remettre les péchés sur la terre ... 2 Parlant ainsi il dévoile à qui voudrait comprendre, que lui-même est Dieu puisqu’il a effectivement le pouvoir de pardonner.
Les ‘controverses’ sont pour Jésus, l’occasion de se révéler, à mots plus ou moins couverts, et de nous déstabiliser … d’ébranler nos certitudes.
Versés dans l’Écriture Sainte, les scribes en effet devraient comprendre.
Mais peut-être ne veulent-ils pas comprendre … Car il leur faudrait changer de point de vue, se convertir, lâcher leurs positions ... et sociale, et intellectuelle.
Depuis toujours en effet le peuple juif, monothéiste par définition, doit se défendre contre le polythéisme qui règne chez ses voisins et risque toujours de le gagner, et voilà que ce Rabbi veut laisser entendre qu’il est Dieu … Qu’il y aurait donc plusieurs dieux ?… Irrecevable ! Ou un Dieu en plusieurs personnes … ?? Qui pourrait avoir des idées aussi farfelues ?
Pourtant les disciples, élevés dans cette culture devront eux, changer de mentalité. Tout l’Évangile nous montre combien ce fut difficile pour eux. Au final, nous devons admirer leur abnégation : pour l’amour de leur divin Maître, ils ont renoncé à leur moule culturel.
Et nous ? … Combien ardu pour l’homme de faire ce chemin !3
Aujourd’hui, nous abordons la deuxième controverse et l’enseignement qui en découle.
Je le redis : À l’occasion des controverses, Jésus dévoile qui il est. C’est le fil conducteur. Et le milieu résiste.
Il vient d’appeler Léwi, le collecteur d’impôt, comme cinquième disciple4, et Léwi, pour fêter cela offre un festin. Le texte dit :
Comme dans la première controverse, où il était question de remettre les péchés, on retrouve ici le thème du pardon : Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs.
Étudions le texte de près :
1/ Le lieu, le temps, les circonstances.
Et il advient… On a parlé maintes fois du sens de ‘advenir’, verbe qui appartient au scénario de création5. C’est donc un jour de création-recréation, un temps de radicale nouveauté qui s’annonce ici, bien que l’histoire se passe lors d’un jour ordinaire, et non un jour de Sabbat.
… qu’il est couché à table dans sa maison …
Comme les romains, dans les festins les juifs mangent couchés, affirmant ainsi le fait qu’ils sont des hommes libres. Seuls les hommes libres mangent couchés. Les esclaves servent. Le peuple de Dieu est un peuple libre – même si son territoire est actuellement occupé par les romains auxquels il doit payer tribut …6
La scène se passe dans la maison, celle de Léwi en l’occurrence. Dans l’Évangile, la maison est l’embryon de l’Église, par opposition à la Synagogue qui ne cesse de rejeter Jésus.
2/ Les protagonistes.
… et beaucoup de collecteurs et de pécheurs étaient à table avec Yéshoua’ et ses appreneurs …
Les collecteursd’impôts, exerçant pour le compte de l’occupant romain sont honnis dans cette société, parce qu’ils sont voleurs sur le dos du peuple. Les métiers qui permettent de voler facilement les compatriotes sont mis au ban dans la société juive de ce temps7.
Qui plus est, les collecteurs sont impurs du fait de leur commerce avec des païens. Pour les stricts observateurs de la Loi, il est donc scandaleux de fréquenter ces gens-là. Encore pire de manger avec eux ! L’impureté des païens contamine ceux qui les fréquentent.
Il faut se rendre compte du risque social que prend Jésus, et dans lequel il entraîne ses disciples : Ceux-ci doivent renoncer à faire partie des ‘gens de bien’ dans cette société théocratique. Il leur faut endosser le rejet, et ce, non pas dans l’anonymat des grandes villes mais dans des communautés villageoises, petites, où tout le monde se connaît …
Quant aux pécheurs, ce sont ceux qui commettent des péchés, qui se conduisent mal, et ont besoin de pardon.
… C’est qu’ils étaient nombreux et ils le suivaient.
C’est-à-dire qu’en grand nombre ils reconnaissent Jésus comme Maître, comme Rabbi, éblouis par ses capacités de thaumaturge, son enseignement surprenant et sa miséricorde. La société en place rejette ce Rabbi atypique, mais l’homme dans sa pauvreté a soif, a besoin de lui.
Et les scribes des pharisiens …
Voilà l’autre camp. Les scribes sont les spécialistes de la Loi. Ils ont les moyens, ils ont la connaissance, pour déchiffrer ce que le Christ dit à mots couverts. Mais, comme j’ai dit plus haut, comprendre ce serait renoncer à ce qui les définit. Qui est capable de cela ?
Ici il s’agit desscribes du parti des pharisiens. Dans Marc, les pharisiens sont présentés comme des gens dont la religion se limite à une application stricte et rigide d’une Loi faite de centaines de petits préceptes compliqués à appliquer, jusqu’à occulter l’amour de Dieu et l’amour du prochain pourtant inscrits dans la Thora. Ils se montrent secs et limités à : ‘Ce n’est pas permis’ …
Ils seront indéfiniment les contestataires et les ennemis de Jésus et garderont toujours
un ‘cœur endurci’.
… ayant vu qu’il mange avec les pécheurs et les collecteurs …
Jésus donc se démarque complètement des règles sociales, ouvertement.
… disaient à ses appreneurs : Quoi, avec les collecteurs et les pécheurs il mange !
Ici, les scribes du parti des pharisiens dépassent le stade de ruminer dans leur cœur, et s’adressent, non pas encore au Maître, mais à ses disciples, exhalant leur dégoût devant ce comportement si choquant à leurs yeux. Disons-le encore une fois, dans ce milieu, une telle conduite est le contraire du ‘politiquement correct’. C’est une remise en cause fondamentale de la société, et qui provoquera le rejet.
3/ La réponse de Yéshoua‘
Et ayant entendu Yéshoua‘ leur dit …
On ne s’est pas adressé à lui, mais il s’avance, il n’esquive pas. Il répond et enseigne.
‘Ceux qui sont bien-portants n’ont pas besoin de médecin, mais les mal-portants’ …
C’est un proverbe, une maxime. Il est typique de la culture orale de parler par maximes et proverbes, en les citant de façon habilement adaptée à la situation.
Il nous dit donc qu’il est LE MEDECIN, et qu’il est bon pour nous d’être mal-portants car il a le souci des mal-portants ; grand thaumaturge il en a déjà guéri tant ! Mais les bien-portants eux, n’ont pas besoin de médecin …
Il développe ainsi le proverbe :
… Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs.
Le gesteque nous faisons pour « juste » dans notre récitation chantée et gestuée8 de l’Évangile appris par cœur, consiste à présenter les deux index positionnés de façon parallèle devant soi, car disons-nous, ce qui est jute c’est ce qui est conforme à la volonté de Dieu – d’où le parallélisme gestuel.
Qui est juste ? Qui est pécheur ?
* Abraham eut foi, et pour cela le Seigneur le considéra comme juste (Genèse 15, 8)9
Malgré tous ses défauts, et il en a ! Dieu justifie Abraham, parce qu’il croit à la parole de Dieu, et agit selon cette parole :
– Dieu lui dit (Gn 12, 1) : « Pars de ton pays, de ta famille et de la maison de ton père vers le pays que je te ferai voir » et il part, abandonnant le moule culturel qu’il connaît, pour aller vers l’inconnu, où Dieu sera son seul repère.
– Dieu lui dit (Gn 22, 2) : « Prends ton fils, ton unique, Isaac que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu l’offriras en holocauste … » (Les sacrifices humains faisaient partie du culte dans les civilisations païennes de l’époque), et il s’apprête à le faire.
Tout en sachant que ce fils est indispensable (Gn 21, 12) : C’est par Isaac qu’une descendance portera ton nom – pour que s’accomplisse la promesse de Dieu, réitérée à plusieurs reprises :
Mais Abraham était certain, dit un commentaire juif rapporté par Saint Paul en Hébreux 11, 19, que « même un mort, Dieu est capable de le ressusciter. »
* Force est de constater que cet abandon à Dieu, sommet de la vertu, est hors de notre portée la plupart du temps, et au lieu de pleurer sur cette incapacité qui est la nôtre d’aimer et de s’abandonner – car tel est notre péché, nous nous satisfaisons de respecter un certain nombre de ‘petits commandements’, persuadés d’être dans notre bon droit, et même de plaire à Dieu ! C’est notre côté pharisien. Je me mets dans ce groupe … !
On peut relire la parabole du pharisien et du publicain (Luc 18, 10-14) et constater encore une fois que cette fierté de se sentir ‘dans les clous’ devant Dieu parce qu’on respecte quelques ‘petits commandements’, ne nous rend ‘juste’ qu’à nos propres yeux, pas aux yeux de Dieu.
* De plus, cette suffisance a pour inconvénient de fermer notre cœur au regret, à la contrition, aux larmes – qui viennent au contraire lorsqu’on se sent minable comme le publicain10 et honteux devant Dieu, ‘pécheur’ en un mot. Conscient de l’abîme qui sépare la réalité de notre existence, de ce que Dieu attend de nous, lui qui veut nous donner de participer à sa divinité … « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne dieu » par la grâce.11 Et le Christ vient pour des épousailles, pour épouser l’humanité. L’Évangile nous le dit à maintes reprises12. Ce sera le sujet du prochain article, centré sur la controverse qui suit, et qui parle du jeûne, des fils de la chambre nuptiale, du vêtement non rapiécé et du vin.
CONCLUSION
Le Christ est donc venu, nous dit-il, non pour ces ‘justes’ contents d’eux et comptables de leurs mérites, mais pour les ‘pécheurs’, ceux qui pleurent comme des enfants lorsqu’ils perçoivent leur incapacité à se donner et à aimer, et désirent ardemment le pardon.
Sans doute nous arrive-t-il parfois d’être aussi celui-là.
Dieu veut nous donner son pardon, seul capable de mettre debout les infirmes que nous sommes, et de rendre à nos pieds paralysés par la chute, la faculté de nous mener dans les voies du Seigneur. C’est pour cette réconciliation qu’est venu le Christ.
Pour accueillir le pardon de Dieu, prions avec cette strophe des Matines du Ton 313 :
Mais nous ne pouvons pas cacher ni nous cacher, que pour accéder à ce monde nouveau auquel préside le pardon de Dieu, il nous faut renoncer à beaucoup de choses du monde, à ces ‘passions de notre cœur’ – qui nous sont chères et nous attachent ...
C’est un combat. Il faut discerner, et persévérer.
Le Christ, le Victorieux, est à nos côtés. Gloire à Dieu.
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