Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
Bon sens et humour du Christ (Mt 7, 3‑5 et Lc 6, 39‑42)
Les paraboles sont de courtes histoires facilement mémorisables, destinées à donner un enseignement spirituel profond au plus grand nombre, en frappant les esprits par leur caractère ludique. C’est un genre littéraire qui était très connu en Orient dans l’Antiquité et qui se rapproche des « fables », connues notamment chez les Grecs (Ésope) et les Latins (Phèdre), puis au 17è siècle en France (La Fontaine). On y retrouve aussi la sagesse populaire des « dictons », qui représentent le « bon sens paysan ». Le Christ utilisera constamment cette pédagogie et excellera dans ce domaine. Ses paraboles sont connues dans le monde entier, même chez les non-chrétiens.
Celle de la Paille et de la Poutre est une des plus courtes, mais une des plus savoureuses. Elle fait suite directement à un logion (Parole divine) du Discours inaugural du Christ sur « Ne jugez pas », que nous avons commenté dans le précédent numéro d’Apostolia. L’intérêt de cette parabole est tel que nous avons préféré lui consacrer un article à part. En ce qui concerne les aspects généraux, et notamment le Discours inaugural (« Sermon sur la montagne ») ainsi que sur le thème abordé par le Christ (« Ne jugez pas, pour ne pas être jugé »), le lecteur pourra se reporter à notre article de mai 2018.
Rappelons néanmoins que le Christ parle devant une foule nombreuse de Juifs galiléens, de toutes conditions, qu’Il a conduit au sommet d’une petite montagne, et qu’Il a déjà parlé pendant presque une journée (cette parabole se situe vers la fin du Discours). Il alterne entre des révélations théologiques et des préceptes spirituels, exprimés en un langage accessible (non réservés à une élite intellectuelle), illustrés (on pourrait presque dire « mis en scène ») par des paraboles, qui rendent Son discours plus léger, parfois drôle.
En l’occurrence, Il va illustrer Son propos grave sur « Ne jugez pas… », exprimé en langage ordinaire (« en clair ») par une petite histoire, courte et ludique, la parabole de la paille et de la poutre. Elle est rapportée par St Matthieu et par St Luc à la suite du logion sur « Ne jugez pas…. », mais pas de la même façon. Chez St Matthieu elle lui fait suite immédiatement, tandis que chez St Luc le Seigneur a d’abord complété « Ne jugez pas pour ne pas être jugé », par deux autres recommandations du même type (« remettez et il vous sera remis, donnez et il vous sera donné ») pour insister sur la réciprocité des comportements [dont le modèle est la 5è demande du Notre Père]1, puis Il les a illustrés par deux propos de type parabolique (un aveugle qui guide un aveugle, un disciple et son maître) avant la parabole de la paille et de la poutre.
À priori, on pourrait penser que la paille qui est dans l’œil de notre prochain est un propos raisonnable, tandis que « la poutre » qui est dans notre œil serait une grosse exagération, destinée à forcer le trait. En fait il n’en est rien, et nous allons voir que c’est d’une grande finesse physiologique, psychologique et spirituelle. Avoir une paille2 dans l’œil est, hélas, un petit malheur de la vie quotidienne très courant, surtout dans un milieu rural, comme c’était le cas en Palestine au 1er siècle. C’est désagréable, sans être dramatique, et on a souvent besoin d’une tierce personne pour la retirer. Cette paille est le symbole d’un défaut, d’une déficience, d’un péché qu’on a repéré chez son prochain. Elle est « petite » parce qu’elle est dans l’œil d’un autre, mon prochain. Mais lorsqu’ une paille du même type se trouve dans mon œil, je n’y vois plus rien : elle est comme une brindille, un morceau de bois qui, psychologiquement, est comme une « poutre »3. Elle est grande parce qu’elle se trouve dans mon œil et qu’elle m’aveugle.
Et le Seigneur en tire les conséquences : comment peux-tu prétendre retirer la paille de l’œil de ton frère, alors que toi-même tu n’y vois rien ? « Hypocrite ! » : enlève d’abord la poutre de ton œil, tu pourras alors retirer la paille de l’œil de ton frère. C’est d’un bon sens qui est sans appel, imparable. On peut transposer facilement au plan spirituel : comment pourrait-on reprocher à son frère d’avoir bu un verre de trop, lorsqu’on est soi-même ivre ? Ou lui reprocher d’avoir volé un œuf, lorsqu’on a volé un bœuf ?4 Ou lui reprocher un regard indécent sur une femme, lorsqu’on est soi-même débauché ? On peut décliner cela à l’infini. Outre le bon sens spirituel évident, il y a un autre enseignement spirituel : on ne peut reprocher une erreur à son prochain que lorsqu’on est soi-même impeccable. Sinon, on est hypocrite. Et, si l’on fait l’effort de ne pas être hypocrite, c’est-à-dire menteur et tricheur, cela nous laisse une possibilité de changement, de transformation. Par contre, lorsqu’on a commencé à mentir et à tricher, on est pris dans un engrenage et il est quasiment impossible de changer.
Chez St Luc le Christ insiste avec deux belles comparaisons de style parabolique : « un aveugle peut-il guider un aveugle » ? Évidemment non ! « Les deux tomberont dans le trou »5. Pour guider un frère aveugle, il faut être soi-même « voyant », c’est-à-dire avoir du discernement5. Et si l’on n’en n’a pas, il faut avoir l’humilité de ne pas prétendre conduire les autres. La deuxième comparaison est d’une nature un peu différente et fait encore plus appel à l’humilité : « Le disciple6 n’est pas au-dessus du maître7 ; mais tout disciple sera parfait s’il est comme son maître ». Le but du vrai disciple n’est pas de devenir maître et encore moins de le dépasser, mais de ressembler à son maître8. C’est une leçon d’humilité (comme les autres passages de cette péricope) et aussi une allusion au destin initial de l’Homme qui est de ressembler à Dieu, et non pas d’égaler Dieu, ou pire, de prendre la place de Dieu (ou de le prétendre) ce qui est un péché, le péché initial de Satan et d’Adam et Ève.
C’est grâce à cette pédagogie extraordinaire mêlant la profondeur, la gravité et l’humour, destinée à tous et accessible à tous, que le Christ ravira les foules jusqu’à l’extase : c’est Dieu Lui-même qui s’est fait notre didascale, notre maître. 2000 ans après, nous en sommes encore nourris, imprégnés, et dans la même extase que les foules de Palestine. Mais cela provoquera la jalousie féroce – haineuse – de ceux qui pensaient être de grands spirituels, les grands-prêtres, les scribes et les Pharisiens. Ils voudront prendre la place du Maître, la place de Dieu, tuer le fils du Vigneron divin pour voler son héritage, et seront jugés par la Parole même du Christ9 que nous venons de commenter.
Quant à nous, les disciples du Maître, efforçons-nous simplement et modestement de Lui ressembler : c’est cela être « parfait comme notre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48).
Notes :
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