Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
Lors de la dernière Université d’été, en août 2017, le programme de l’atelier de mémorisation était : la ‘Guérison du Sourd-Muet’, en Marc 7, 31-37.
Je vais mettre par écrit un certain nombre des commentaires qui ont été énoncés.
Voici le texte1 :
Cette guérison s’insère dans un ensemble de 13 guérisons, et elle en est la dixième.
Bien sûr nous comprenons qu’en treize degrés, c’est la guérison spirituelle de l’homme que Saint Marc nous raconte : de quelle manière le Dieu–Homme, le Christ, s’y prend pour opérer ce rétablissement, usant de générosité absolue et de miséricorde infinie. L’Évangile ainsi nous expose le moyen de notre retour vers Dieu ou les degrés du combat et du progrès spirituels. L’Évangile est notre Maître spirituel.
Ayant été jeté au plus bas, sur la terre porteuse d’épines et de chardons (Gn 3, 18), livré au pouvoir du Prince de ce monde, l’homme déchu se trouve sourd et aveugle pour le monde divin. Ses sens ont été obscurcis, tout son être est enténébré.
C’est pourquoi au Baptême, après l’Exorcisme préalable qui permet à l’homme d’affirmer que librement il renonce à Satan, il y a une onction d’huile sur le front et le dos « pour la guérison de l’âme » « et du corps » ; puis sur les oreilles « pour l’écoute de la foi » – et c’est ce qui nous intéresse ici ; puis sur les mains et les pieds « car tes mains (m’)ont formé et façonné » pour que je « marche sur la voie de tes commandements »2
Ces guérisons sont préalables à l’immersion dans la mort et la Résurrection du Christ. Elles y préparent. Dans l’Évangile aussi, les guérisons précèdent la Mort et la Résurrection du Sauveur. Elles préparent le disciple à rencontrer la Vie.
La guérison du sourd-muet nous parle donc de la guérison de l’ouïe, « pour l’écoute de la foi » comme dit le rituel du Baptême. Rappelons-nous que dernièrement, dans la même veine, nous avons étudié la parole de Saint Paul : Ainsi la foi vient de l’écoute, de l’écoute d’une Parole du Messie. (Romains 10, 17).3 Écoute et guérison vont de pair.
Approchons-nous maintenant du texte :
Et aussitôt, sortant hors de la région de Tyr, il est venu par Sidon, vers la mer de Galilée, au milieu de la région de la Décapole.
Comme toujours, Saint Marc situe les temps et les lieux. L'Évangile ne parle pas d’abstractions gnostiques, mais d’évènements concrets qu’il situe toujours dans le lieu et dans le temps. C’est une scénographie, qui permet à l’auditeur-appreneur de se projeter dans l’histoire qui lui est racontée. L’approche est globale, on peut se projeter dans la scène présentée, ce qui la rend facile à mémoriser. C’est typique de l’enseignement du Christ, qui lui-même appartient à une culture orale, où le verbal ne prime pas toujours. L’enseignement ici est donné par le moyen de saynètes, d’histoires brèves qui tiennent de la réalité.
Le Christ vient de guérir la fille de la Syro-Phénicienne dans la région de Tyr, au bord de la mer Méditerranée. Maintenant il quitte cette région et s’en vient par Sidon – c’est-à-dire qu’il monte vers le nord toujours le long de la Méditerranée ; Tyr et Sidon, c’est la Phénicie, grande civilisation païenne – vers la mer de Galilée : Il revient donc vers le centre et le sud. Le Christ est un grand marcheur ! au milieu de la région de la Décapole, ou région des Dix Villes (‘déca’ = dix ; ‘polis’ = ville). Cette région est située à l’Est et au Sud du lac ou ‘mer’ de Galilée, et est aussi une région païenne, comme l’indique son nom grec. Ce verset nous donne donc une description géographique : la topographie, le peuplement, les religions locales. Tout ceci intéresse le Seigneur.
Et on lui amène un sourd et muet et on le supplie de le toucher.
On nous signifie ici l’infirmité du sens de l’ouïe et de la faculté de parole. Ainsi que l’intercession des membres de l’entourage de l’infirme, qui forment Église autour de lui en présence du Christ.
Et l’ayant pris à part de la foule, à l’écart …
Pour cette guérison d’ordre spirituel, il y a une mise à part, c’est notable.
… Il a mis les doigts dans ses oreilles, et ayant craché, il a touché sa langue.
Dans les guérisons précédentes, le Christ guérissait par sa seule parole4, ou en saisissant la main5, en touchant6, et une fois en étant touché au niveau de son propre vêtement7.
Ici, nous voyons le Christ façonner, modeler avec ses doigts et sa salive. Cela nous fait penser à la création d’Adam, pour laquelle il nous est dit que, alors qu’une source montait de la terre et arrosait toute la surface de la terre, Dieu façonna l’homme, poussière prise à la terre. (Gn 2, 6-7 – Traduction ‘La Bible d’Alexandrie-Septante’.)
Dans ces deux cas, il y a un contact tactile et plastique, une mise en forme ; dans l’Évangile, la réparation du corps humain déchu est opérée par l’action corporelle du corps divino-humain de notre Seigneur. Le Seigneur re-crée, il s’engage. Je remarque, amusée : pour il a mis les doigts dans ses oreilles, le verbe grec est ‘ballô’ : « il a jeté les doigts » – ce qui n’est pas une façon de parler correcte pour nous, mais j’aurais envie de dire : « il a fourré les doigts dans ses oreilles … » Le Christ ‘fourre ses doigts’ pour ce qui est des oreilles, puis pour la parole, il crache humidifiant la langue de l’infirme avec sa salive divino-humaine, et il touche : le verbe grec ‘aptô’ employé ici au mode moyen avec le génitif signifie un contact intime –comme pour le lépreux d’ailleurs.
Stupéfiant ! Il nous faut réaliser, nous représenter ce qui est dit … Ce n’est pas un joli Jésus romantique et éthéré. C’est un créateur qui paye de sa personne, qui n’est pas dégoûté, qui engage son propre corps dans un contact très intime. Et l’humidité joue un rôle.
Pour nous aider à ressentir cet acte de recréation, j’avais apporté deux images :
- Une reproduction d’un vitrail de la Cathédrale de Chartres, datant du XIe siècle si je ne me trompe, et représentant la création d’Adam : Ils sont face à face, et le Créateur touche sa créature. Comme une caresse, il pose sa main divine sous le maxillaire de l’homme, enveloppant la barbe, tout en le regardant avec tendresse, tandis que l’insufflation de l’un par l’autre est figurée par un trait qui va d’un visage à l’autre dans la région de la bouche. Adam lui, a une expression comme celle d’un bébé qui va émettre sciemment un son de reconnaissance et d’amour – comme les petits bébés savent faire quand ils gazouillent en direction de leur mère, dans des moments privilégiés.
- Une autre image, de Chartres toujours, une sculpture du portail nord cette fois, montrait le Christ assis façonnant la tête d’Adam agenouillé, comme s’il modelait une boule de glaise, avec le plaisir qu’il y a à palper la terre lisse et humide. Là encore la communication amoureuse entre les deux était perceptible.
Combien est physique et intime cette guérison ! Nos gestes s’appliquaient à mimer la scène avec discrétion et hiératisme, comme les vitraux de Chartres sont hiératiques et pourtant porteurs de sensibilité et d’émotion communicatives.
Et levant-le-regard vers le ciel, il a soupiré et lui dit …
Lever-le-regard, traduit le verbe grec ‘anablepô’. Le Christ l’a fait déjà lors de la première multiplication des pains, en Mc 6, 41 : Et ayant pris les cinq pains et les deux poissons, ayant-levé-le-regard vers le ciel, il a béni et a rompu les pains en morceaux … ;
En 8, 24 – lors de la guérison de l’aveugle de Bethsaïda qui vient après celle qui nous occupe ici – c’est l’aveugle qui lève-le-regard ;
et en 16, 2 lorsque les femmes arrivent au tombeau, ce sont elles : Ayant levé-le-regard, elles ont observé que la pierre a été roulée en arrière.
En fait, avec ‘anablepô’, le sujet entre en communication avec le Ciel.
Nous pouvons comprendre avec ce verbe ‘anablepô’ que le Christ entre en communication avec son Père. Puis il soupire, il a une motion du Souffle, et enfin, il dit : voilà le Verbe qui se manifeste. Ainsi donc, cachées dans ces mots, ce sont les Trois Personnes de la Divine Trinité qui sont présentes pour cette ‘re-création’ de l’Homme. Quelle émotion pour nous !
Epphata ! Ce qui veut dire : Sois ouvert
Epphata est un mot araméen, et l’auteur l’a gardé tel quel. L’homme fermé et enfermé, recroquevillé sur lui-même (notre geste va l’exprimer), le Créateur l’appelle et lui offre la possibilité de s’ouvrir.
Et se sont ouvertes ses oreilles et a été délié le lien de sa langue …
Remarquons la concomitance des deux : écouter la foi et rendre grâces.
…et il parlait juste.
Est juste ce qui est conforme à la volonté de Dieu. Cette conformité est exprimée par le geste des deux index qui se meuvent en parallèle.
Et que disait-il ? Il disait, comme les lallations du bébé qui n’a pas encore de mots : Merci. Je t’aime. Gloire à toi.
La relation d’amour entre l’homme et Dieu est rétablie et elle s’exprime. L’homme écoute avec foi, et il loue.
Et il les a avertis qu’ils ne le disent à personne …
Toujours cette consigne de silence de la part du Christ quand il manifeste son pouvoir de Créateur-Re-créateur, souverain et tout-puissant.
Or plus il les avertissait, bien plus ils le clamaient …
Cette guérison de l’homme intérieur est perceptible à l’extérieur et réjouit les témoins. Le Règne de Dieu s’est approché (Mc 1, 15), et la louange déborde des cœurs.
Et ils étaient encore bien plus frappés en disant : il a fait belles toutes choses
‘Beau-belle’ est un mot qui fait partie du scénario de création : Dieu dit : Qu’advienne lumière, et lumière est advenue. Et Dieu a vu la lumière : c’est beau. (Genèse 1, 3)
Ils ressentent la présence de Dieu dans cet événement de re-création, et sont transportés.
« Il fait et entendre les sourds, et parler les sans-paroles. »
C’est une citation d’Isaïe 35, 5-6 : (Traduction TOB 2011)
Notons qu’au verset précédent (Is 35, 4), il est dit : Voici votre Dieu (…) Il vient lui-même vous sauver.
Par ces paroles, et d’autres, Isaïe annonce l’ère du Salut, et Saint Marc, en mettant précisément ces mots dans la bouche des témoins, nous donne à entendre la mission de Sauveur de Jésus.
Nota – Cette scène de guérison n’existe que dans Saint Marc.
Saint Matthieu et Saint Luc, pour nous faire savoir la mission de Sauveur de Jésus n’utilisent pas un récit, mais l’Écriture, Isaïe en l’occurrence. Ils recourent à des citations et non à une mise en scène. On voit là l’originalité de Saint Marc – qui finit lui aussi par utiliser la citation, mais raccourcie et enrobée dans l’historiette. Voici :
En Luc 7, 20-23 comme en Matthieu 11, 2- 15, à la question de Jean et de ses envoyés « Es-tu ‘celui qui doit venir’ ? » (ce qui signifie : Es-tu le Messie ?), Jésus lui-même a recours à Isaïe : Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres.
Dans les trois synoptiques, la prophétie d’Isaïe sert à dévoiler la mission de Sauveur de Jésus. L’ère du Salut est arrivée.
On peut chanter aussi, avec Isaïe :
Dans ce texte, on retrouve : la re-création en présence d’humidité pour l’homme jusque-là desséché, assoiffé par son éloignement d’avec Dieu. Et aussitôt la louange, surgissant de l’homme ainsi re-façonné.
Je proposerai ces textes à mémoriser lors de la rentrée, à partir du 21 septembre 2017, puis en octobre. Mâchonnons, et méditons.
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