Tout d’abord, il est bon d’observer que Dieu ne vient pas dans le monde de façon « imposante » ou avec des apparitions de nature à nous effrayer, mais de façon mystérieuse, discrète, presque dans l’anonymat... Il ne vient pas de façon « visible », en un lieu et d’une manière publique, comme à notre époque en faisant venir les chaînes de télévision ou en faisant des conférences de presse, mais, après avoir essayé, sans succès, de venir « parmi les Siens », il trouve demeure dans une simple grotte sombre et froide, symbole du monde (homme, terre et cosmos) déchu et éloigné de la Source de vie, de lumière et de chaleur – Dieu.

C’est de la même façon que Celui qui est le Créateur de toutes choses s’approche aussi de tout homme qui vient dans le monde, en essayant d’abord, dans le secret, de frapper à la porte de son âme... Si l’agitation qui régnait au moment de l’incarnation du Seigneur a fait qu’Il passe inaperçu de tout habitant de la cité de Bethléem, le vacarme intérieur et extérieur qui caractérise le monde d’aujourd’hui semble rendre presque inaudible Celui qui vient discrètement frapper, « naître, croître, et nous sauver »... Mais celui qui veut avoir des oreilles pour entendre Celui qui frappe aujourd’hui à la porte de l’âme, est appelé à s’arrêter, ne serait-ce que pour quelques instants, à stopper la course quotidienne et le tourbillon où nous sommes engagés de plus en plus, et à faire silence, si toutefois il sait encore ce que cela veut dire, afin de ne pas L’obliger une fois de plus à se réfugier dans la grotte sombre et froide de notre existence. C’est le seul moyen d’éviter de passer encore une fête de Noël qui se réduit à manger et à boire, à compter les cadeaux reçus et à faire des dons à ceux dont on est sûr d’en recevoir en retour... 

Le mystère de l’incarnation de Dieu touche, renouvelle et console toute âme meurtrie, écrasée ou affligée, toute âme exilée et errante, toute âme esseulée, les enfants qui sont loin de leurs parents et les parents qui sont loin de leurs enfants, les vieillards et les jeunes blessés par le refus de l’amour qu’ils veulent donner ou recevoir, les malades et surtout les malades incurables, toute âme inconsolée et qui ne voit plus de lueur d’espoir dans les ténèbres de son découragement... 

Mais à Sa venue dans le monde, tous ne souhaitent pas ou ne peuvent pas recevoir la Lumière, parce qu’elle met en évidence les taches discrètes qui ne se voient pas dans la lumière artificielle de ce monde, et gênent ceux qui sommeillent ou qui dorment, et même aveugle les amateurs des ténèbres qui ne veulent pas sortir dans la lumière, parce qu’ils font le mal. Mais même lorsque l’âme s’oppose à la lumière, dans les profondeurs reste la soif de la lumière du Christ allumée en elle au Baptême. Dans ces profondeurs Dieu descend et, Grâce sur grâce, illumine et renouvelle, vers une nouvelle vie, sur de nouveaux fondements, qui n’ont plus la finalité fatale de la mort et ne se réduisent plus à vivre pour manger, mais à manger – le Pain de Vie Qui descend maintenant du ciel jusqu’à nous – pour vivre.

Dans les « traditions » du peuple (qui se définit lui-même comme « croyant ») à se préoccuper de tout ce qui est nécessaire pour manger et boire, à Noël, il y a donc aussi une intuition juste... Seulement, même le peuple « croyant », ici, ne sait plus très bien quelle est en fait la vraie nourriture et la vraie boisson à laquelle si quelqu’un goûte, il ne meurt plus. C’est pourquoi Dieu vient discrètement juste au cœur de notre être, pour rallumer de l’intérieur la faim et la soif pour le Paradis et ses biens, par les soupirs ineffables de l’Esprit, en ne nous interdisant plus l’accès à l’Arbre de la connaissance et à l’Arbre de vie, mais en se faisant Lui-même Lumière de la connaissance de la vraie Vie bienheureuse pour laquelle des milliers et des milliers de martyrs ont joyeusement sacrifié cette vie passagère. Il se fait pour les affamés et assoiffés de justice le Fruit donateur de vie qui convient pour la nourriture des fils de Dieu nés à nouveau, d’eau et d’Esprit. Et si ce qui naît de l’Esprit est esprit, alors il est naturel que ceux qui sont nés à nouveau, par le Baptême, et ont été adoptés par Dieu, se nourrissent de ce qui est propre à Dieu, à savoir l’Esprit et tout ce qui est spirituel.

Ceux-ci ne se nourrissent plus seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, reconnaissant en lui l’Esprit et la Vie et accomplissent sans tarder le commandement salvateur qui est la condition de leur séjour dans le Royaume du Père, du Fils et du Saint Esprit, qu’ils proclament solennellement, Liturgie après Liturgie, et dont ils s’évertuent à devenir les fils dès maintenant. Si jadis Adam a perdu le Paradis en mangeant, ceux qui sont nés à nouveau, par le Baptême, s’évertuent à ne pas perdre le Royaume de Dieu qui est venu vers eux en ignorant le commandement donné par le Dieu-Homme qui a dit: Celui qui mange mon Corps et boit mon Sang a la vie en lui et qui nous appelle solennellement à chaque Liturgie, par la bouche de Son serviteur, en disant: Prenez, mangez, ceci est mon Corps ; buvez-en tous, ceci est mon Sang qui est versé pour vous et pour beaucoup – Faites ceci en mémoire de Moi. Car, à chaque fois que vous mangerez de ce pain et que vous boirez à cette coupe, vous annoncerez ma mort et témoignerez ma résurrection. Si le fait de ne pas garder le commandement de ne pas manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal a fait perdre à Adam le Paradis, d’autant plus le fait de ne pas garder ce commandement salvateur donné par Dieu Lui-même et scellé par son Sang précieux fait perdre le Royaume de Dieu à ceux qui l’ont entendu et qui l’ignorent. 

Par la Nativité du Seigneur, le Paradis qui était fermé, s’est rouvert aujourd’hui pour tout Homme, à savoir pour l’Adam total, dont chacun d’entre nous sommes des hypostases ; mais chacun se trouve à son propre âge spirituel et à sa mesure de la connaissance quant au grand privilège qui lui est donné, certains allant jusqu’à l’ignorer totalement... Le Christ non seulement naît pour chacun d’entre nous, mais par sa naissance, Il renouvelle l’être de l’Adam total, de toute l’humanité et surtout de ceux qui ont été greffés à Lui, par le Baptême, en les élevant à la dignité de fils du Père Céleste, dès ici-bas. Mais afin de pouvoir rendre active la vie de Dieu en nous, nous devons veiller à rester toujours liés à Lui – corps et sang – à ne pas nous éloigner trop longtemps de Lui, pour ne pas être ravis par le loup spirituel et être surpris à la fin de notre vie en étant séparés de la source de Vie, et ainsi perdre les privilèges de fils de Dieu et héritiers de son Royaume éternel.

Que la Fête de la Nativité du Seigneur de cette année soit pour nous une occasion de nous rappeler ces préceptes salvateurs, pour ne plus ignorer pareil salut, pour renouveler notre être vieilli par le péché et passer le restant de notre vie dans la paix et le repentir, en louant sans cesse Celui qui a assumé la nature corporelle pour que nous puissions communier aux choses célestes. A Lui la gloire et la louange, avec son Père sans commencement et son Très-saint, bon et vivifiant Esprit, pour les siècles des siècles. Amen.

† Mgr Silouane Évêque d’Italie,
(extrait de la Lettre Pastorale, Noël 2015)