Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
Dans tous les rites le temps après la Pentecôte est constitué d’une alternance d’actes thaumaturgiques du Christ (des miracles) et de paraboles : c’est une catéchèse vivante, alternant theoria et praxis, qui nous apprend à devenir chrétiens.
L’évènement miraculeux choisi aujourd’hui par l’Eglise est unique dans l’Evangile et constitue un enseignement théologique et spirituel remarquable. Il est relaté par deux des Synoptiques, Matthieu et Marc (6/45-52)et, ce qui est assez rare, aussi par Jean (6/16-21), mais d’une façon plus brève. Le récit le plus développé est celui de St Matthieu.
Le Seigneur est probablement dans la seconde année de Sa mission terrestre. St Jean précise que « la Pâque était proche1 » (6/4). L’évènement se passe en Galilée et au Nord du lac de Tibériade. La péricope débute par « Aussitôt après » : c’est juste après la première multiplication des pains et des poissons2. Rappelons les circonstances : le Seigneur a appris le martyre de St Jean Baptiste (Son cousin selon la chair), assassiné par Hérode Antipas pour satisfaire le caprice d’une adolescente3 ; Il se retire alors en barque sur le lac, probablement pour prier4. La foule Le suit des yeux, depuis la terre. Et lorsqu’Il débarque, un peu plus loin, « Il a compassion » d’elle (Mt14/14) : Il guérit de nombreux malades, puis accomplit le grand miracle de la multiplication des pains et des poissons, pour nourrir plus de 5 000 personnes. Les gens sont tellement émerveillés qu’ils veulent l’enlever pour le faire roi (Jn 6/14-15). Le Seigneur réagit alors très fermement, parce que cela n’entre pas dans le plan divin de Son Père céleste : Il demande à Ses disciples de partir en avance, par la mer5, puis Il « renvoie la foule ». Ensuite, « Il montesur une montagne à l’écart pour prier ». Le soir est tombé et Il est « seul ». Où cela se passe-t-il ? Ce n’est pas dit dans l’Evangile, mais la Tradition indique que cette première multiplication des pains s’est passée au bord du lac à Tabgha6,dans la plaine de Gennésareth, à environ 6 km au Sud de Capharnaüm. On ne sait pas sur quelle montagne est monté le Seigneur, mais il y en a beaucoup autour du lac (et notamment le mont des Béatitudes, qui se trouve un peu plus au Nord).
Que deviennent les Apôtres pendant ce temps ? Le Seigneur leur a demandé de « Le précéder vers Bethsaïde », selon St Marc, et « vers Capharnaüm », selon St Jean. C’est à peu près dans la même direction, mais Bethsaïde est beaucoup plus au Nord et sur la côte Est du lac, au-delà du débouché du Jourdain. Ils ont énormément de mal à avancer, à la rame (Mc et Jn), parce que « le vent est contraire » : il y a « un vent violent » (Jn), de grosses vagues (Mt), et on est en pleine nuit. Vers la « quatrième veille de la nuit7 », c’est-à-dire vers 4h du matin, ils n’avaient parcouru que « 25 à 30 stades » (Jn 6/19), c’est-à-dire 5 à 6 km.
Le Seigneur, du haut de Son promontoire, voit tout ce qui se passe sur cette partie de la mer : Il voit que Ses disciples sont en difficulté, et probablement même en danger ; alors Il met fin à Sa prière et va les rejoindre, car Il est toujours très attentif à Ses disciples, qui Lui ont été « donnés par Son Père » (Cf. Son Dernier discours). Et Il vient vers eux en marchant sur la mer comme si elle était de la terre ferme. Ce n’est pas le seul miracle : Jésus Se tient debout alors qu’il y a un vent terrible et des vagues impressionnantes. Ici l’Evangile nous donne un grand enseignement théologique. Le Christ, dans cette circonstance précise, manifeste Sa toute-puissance divine : Il révèle qu’Il est le maître du cosmos. Lui qui est, avec le Père et l’Esprit-Saint, le créateur de la nature cosmique, Il commande à la nature. Il faut ajouter que cette révélation concerne aussi la nature humaine du Christ, car, en Lui, Dieu et l’Homme sont unis hypostatiquement. Le Christ a endossé librement les conséquences de la nature humaine déchue, pour pouvoir souffrir, mourir et ressusciter, et ainsi sauver l’Homme de la mort. Mais, lorsque le Christ manifeste Sa divinité, Sa nature humaine est nécessairement déifiée. D’où le fait qu’Il puisse, en tant qu’homme, marcher sur l’eau comme si elle était de la terre ferme. L’homme déifié n’est plus soumis à la nature : il la domine. Dans la mesure où Sa nature humaine assume ce pouvoir divin, le Seigneur peut le communiquer aux hommes : ceci est confirmé par le fait que, pour un court moment, Il transmette ce don à Pierre. Et les saints, à Sa suite, marcheront sur les eaux (comme St Honorat de Lérins8).
Avant Sa résurrection, à certains moments, pour enseigner Ses disciples et les affermir, le Seigneur manifeste qu’Il est réellement Dieu, tout-puissant, et que Sa nature humaine est parfaite, déifiée (comme ce sera le cas un peu plus tard, lors de la Transfiguration, avec, en plus, le rayonnement de Sa gloire incréée, rendue visible pour Ses Apôtres). Après Sa résurrection, Il se montrera en permanence ainsi, parce qu’Il Se sera acquis le droit, par Sa mort et Sa résurrection, de manifester qu’Il est Dieu et que Sa nature humaine est déifiée (c’est pour cela qu’Il sortira du tombeau scellé et qu’Il entrera dans le Cénacle toutes portes fermées). S’Il s’était montré ainsi en permanence, tel qu’Il est réellement, avant Sa passion, d’une part Il n’aurait pas pu souffrir et mourir pour sauver l’Homme, et d’autre part, les hommes auraient été obligés de croire en Lui, au détriment de leur liberté : or cela n’était pas la volonté de Son Père céleste.
Mais les Apôtres tremblent et crient de peur, parce qu’ils croient voir « un fantôme ». Nous avons làun deuxième enseignement théologique, mais moins important que le premier, car il concerne les hommes. Les fantômes9 sont des âmes errantes de défunts, incapables de se détacher de la terre et de s’élever : ce sont des âmes « stagnantes ». Or, l’âme est la mémoire du corps : elle en conserve la forme et, comme le dit St Jean Damascène, elle a l’aptitude à reconnaître les atomes de son corps dans l’univers (ce qui se passera lors de la Résurrection universelle). Nous avons une confirmation de cette réalité fantasmatique dans l’Evangile de Pâques : lorsque le Christ ressuscité apparaît à Ses disciples dans le Cénacle, toutes portes fermées, le soir de Pâques, ils ont peur et croient voir un fantôme. Le Seigneur leur dira alors : Je ne suis pas un « esprit » : donnez-Moi à manger. Ce n’est qu’en le voyant manger du poisson grillé et du miel devant eux, qu’ils prendront conscience du fait qu’Il n’est pas une simple apparence humaine, mais bien Lui, leur cher rabbi Ieshouah, le Christ. Ils Le « reconnaîtront ».
Le troisième enseignement est d’ordre spirituel. Voyant que Sa présence « trouble » Ses disciples et leur fait peur, aussitôt le Christ les rassure en disant : « Rassurez-vous, c’est Moi : n’ayez pas peur ». Dieu (et ce qui vient de Lui) ne fait jamais peur. Et si, malgré tout, la peur monte en nous, Il nous rassure aussitôt et révèle Qui Il est. Cela est un critère très important de discernement des esprits. Lorsque quelqu’un ou quelque chose nous fait peur, d’une façon durable et sans s’identifier, cela ne peut pas venir de Dieu. Cela ne peut venir que du monde enfèrique, car seul le démon prend plaisir à nous faire peur : c’est une de ses armes favorites, car la peur lui permet d’avoir de l’emprise sur les hommes. En corollaire on peut ajouter une mise en garde : il ne faut jamais s’amuser à «faire peur », car c’est une imitation des démons. C’est intrinsèquement malsain.
Mais les Apôtres ne sont pas entièrement convaincus. Pierre, qui est toujours un peu fougueux, veut une preuve : « Si c’est Toi, commande-moi de venir à Toi sur les eaux ». Le Seigneur accepte sans faire le moindre reproche : « Viens » (insondable patience de Dieu ! Gloire, Seigneur, à Ta longanimité !). Mais en voulant mettre le Christ à l’épreuve, Pierre a pris un gros risque. Il croit pendant un très court moment et marche réellement sur les eaux. Mais la force du vent et des vagues est telle qu’il prend peur. Il perd alors confiance en Dieu et la grâce diminue : il commence à couler. Il crie vers le Christ (« Seigneur, sauve-moi ») et le Seigneur lui tend la main. Mais Il le reprend sévèrement : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? ». Lorsqu’on demande quelque chose d’extraordinaire et d’exceptionnel à Dieu et qu’Il nous l’accorde, il faut s’en montrer digne. Lorsque Dieu a donné, on n’a plus le droit de douter : la volonté de l’homme doit nécessairement s’accorder à celle de Dieu (c’est la synergie).
Jésus monte dans la barque et le vent tombe.Matthieu dit « ils » (Jésus et Pierre), mais Marc (qui est l’Evangile de Pierre) corrige : « Et Il monta auprès d’eux dans la barque ». La barque représente l’Eglise. L’Eglise subit et subira jusqu’à la fin des temps « le vent contraire », la haine des démons. Mais lorsque le Christ, qui est l’unique chef de l’Eglise, monte dans la barque, c’est-à-dire manifeste Sa présence, les démons se taisent : ils n’ont pas d’autre choix. De même que le Christ a marché sur les eaux, malgré la tempête, de même lorsqu’Il monte dans la barque, les ennemis plient le genou : nulle créature ne peut résister à son Créateur. Jésus commande aux éléments du cosmos et Il commande aux démons. Il est, avec Son Père et l’Esprit-Saint, le Maître de toutes choses. Les Apôtres sont stupéfaits : ils viennent se prosterner devant Lui et L’adorent : « Tu es véritablement le Fils de Dieu ». Or ceci se passe avant la confession que Pierre fera au nom des Douze (« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant »- Mt 16/16, Mc 8/29, Lc 9/20). Cela signifie que Pierre exprima, ensuite, ce qui était la foi de tout le collège apostolique.
Laus Tibi, Christe !
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