Et pourtant Nicolas n’avait aucune raison personnelle d’être joyeux. À douze ans, il n’avait jamais pu courir comme les autres garçons, traînant derrière lui une jambe tordue, ce qui n’était ni joli ni commode. Il n’y pensait guère, il est vrai, quand sa maman était près de lui.

Mais sa maman, malade, avait dû partir pour l’hôpital. Et son papa était au ciel. Maintenant, Nicolas était tout seul.

Il n’y avait plus, à la maison, avec lui que la poule noire et la chèvre blanche. La poule noire pondait de temps à autre, et la chèvre blanche donnait son lait crémeux. Mais voilà qu’un beau jour la chèvre disparut… et la poule noire cessa de pondre, on ne sait pourquoi…

Ce n’était pas encore la saison des fruits, et Nicolas vivait surtout de pain sec et d’eau claire.

Mais ce matin-là, c’était le matin de Pâques. Et personne sur la terre ne doit être triste un matin de Pâques. Quand on n’a pas de joie à soi, il vous reste à puiser dans tout le bonheur du ciel. « Le Christ est ressuscité ! »

Nicolas ne pouvait pas aller à la Divine Liturgie, car l’église était fort loin : il n’aurait jamais pu traîner sa mauvaise jambe jusque-là. Le meunier l’emmenait quelquefois dans sa charrette avec ses enfants. Mais le meunier ne pouvait pas s’occuper de Nicolas tous les dimanches.

« J’irai tout de même jusqu’au tournant de la route, se dit Nicolas. De là, on voit le clocher. »

Il se mit en marche en boitant. Quand il passa devant la ferme des Hêtres, la fermière l’appela :

« Nicolas, viens donc prendre un œuf de Pâques. Il n’est pas en chocolat, mais il est frais pondu et te donnera des forces. »

Nicolas, tout content, prit l’œuf et le mit dans sa poche.

Quand il arriva au tournant de la route, il aperçut dans la vallée le clocher bleu. Un joyeux son de cloche s’en échappait, et Nicolas répéta en écho :

« Alléluia ! Alléluia ! Alléluia ! »

Puis il tira le pain qu’il avait dans sa poche et voulut gober son œuf.

C’est alors qu’il rencontra le regard affamé de la vieille Marie. On la craignait un peu partout et on la disait méchante, mais Nicolas pensait qu’en général les gens sont beaucoup plus malheureux que méchants. Et il comprit très bien ce que disait le regard de Marie.

Il poussa un petit soupir, car il avait faim, lui aussi, et il lui tendit l’œuf et le pain :

« Mangez », dit-il.

Ce que fit Marie… en oubliant de remercier.

Quand il fut un peu reposé, Nicolas fit demi-tour ; il allait traverser la grand-route quand une voix rude l’interpella :

« Holà, petit ! »

Nicolas aperçut Alexandre le meunier, entre deux gendarmes. Auprès d’eux il y avait une chèvre blanche. Le cœur du petit garçon accéléra un bon coup.

« Nicolas, dit le plus grand gendarme, qui le connaissait depuis longtemps, n’est-ce pas là ta chèvre blanche ? »

Nicolas avant de répondre regarda le pauvre Alexandre. Ce n’était pas un mauvais homme, mais il avait eu des malheurs. La récolte de blé avait été mauvaise deux années de suite et la farine manquait… Au logis, il avait sept petits enfants aux yeux trop grands et aux joues trop pâles. Et jusqu’alors, Alexandre avait été honnête.

Nicolas se souvint encore qu’on était au matin de Pâques, le jour où l’on doit aider les âmes à ressusciter. Et il répondit au gendarme :

« Oui, monsieur, c’est bien ma chèvre blanche, mais je la lui ai donnée. »

Quand les gendarmes furent partis, Alexandre resta seul avec la chèvre blanche en face du petit garçon. La voix un peu tremblante, il lui dit :

« C’est bien mal de mentir à cause de moi aux gendarmes, Nicolas ; ta chèvre blanche, tu sais bien que tu ne me l’as pas donnée. »

« Je n’ai pas menti, Alexandre, ma chèvre blanche, je vous l’ai donnée tout à l’heure, au moment où je parlais. Peut-être me l’avez-vous prise un jour. Mais aujourd’hui, elle est à vous et à vos sept petits enfants. »

Alexandre ému et honteux toussa très fort, puis il dit :

« Je te demande pardon Nicolas, et puisque la chèvre est bien à moi, je te la donne comme cadeau de Pâques, de la part de mes sept petits. »

Et il se sauva bien vite des larmes pleins les yeux, par le sentier bordé d’aubépines.

En rentrant chez lui, Nicolas vit que le lilas, lui aussi, avait fleuri. S’il l’avait pu, il en aurait cueilli un gros bouquet pour le porter sur la tombe de son père ; mais le lilas était trop haut, et le cimetière trop loin. Alors Nicolas fit une prière :

« Mon Papa, du haut du ciel, vois comme notre lilas est beau. Que son parfum monte vers toi et te réjouisse ! »

II conduisit la chèvre blanche dans son étable. Il l’embrassa entre les deux cornes et alla annoncer la nouvelle à la poule noire. Nicolas poussa un cri de surprise. Sur la paille fraîche, il y avait une bonne douzaine d’œufs rosés ! Peut-être la poule noire avait-elle eu des remords et s’était mise à nouveau à pondre ?… ou peut-être la fermière de la ferme des Hêtres, qui avait le cœur tendre, avait-elle vu Nicolas donner son œuf de Pâques à la vieille Marie ? et avait mis une douzaine de ses bons œufs dans le nid de la poule…

Nicolas, tout heureux, s’en retourna à la maison. Sur le seuil, il s’arrêta pour contempler le chemin dont tous les cailloux semblaient rire au soleil.

Et alors, il vit s’avancer entre les haies que fleurissait l’aubépine une mince silhouette qu’il connaissait bien. Son cœur s’arrêta presque de battre.

« Maman ! » s’écria-t-il.

Et, malgré sa mauvaise jambe, il courut en boitillant. Le voici dans les bras de sa maman revenue ; une maman guérie, qui n’avait pas écrit, sachant qu’elle allait rentrer, et qui avait voulu faire cette belle surprise à son fils pour Pâques.

« Mon Nicolas, Le Christ est ressuscité ! »

« En vérité Il est ressuscité ! ma petite maman. »

Ils se prirent par la main, se serrèrent très fort pour être bien sûrs d’être ensemble. Et ils rentrèrent ainsi dans la maison où le lilas blanc, la chèvre, la poule noire et les rayons de soleil chantaient avec eux, à leur façon la Joie de Pâques :

« Alléluia ! Alléluia ! Alléluia !»

Adaptée par Magdalena d’après une histoire de Henriette Robitaillie