Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
L’anesthésie régionale est devenue de plus en plus importante dans les techniques d’anesthésie, car elle a relativement peu de contre-indications, réduit considérablement le besoin d’analgésiques opioïdes et assure un retour plus rapide de l’anesthésie générale en cas d’association. Au début de l’anesthésie moderne, l’anesthésie régionale était préférable à l’anesthésie générale, puisque cette dernière était risquée, ne pouvait être administrée que dans certains grands hôpitaux et était limitée par des incidents désagréables tels que l’explosion des salles d’opération (à cette époque, l’éther était utilisé, un gaz extrêmement inflammable), de sorte que les chirurgiens, en particulier ceux qui voulaient pratiquer dans la province, devaient apprendre le plus de techniques d’anesthésie régionale possible afin d’effectuer le plus de chirurgies possible. Au début du XXe siècle, en Russie, le professeur Voino-Iaseneski, celui qui deviendra Saint Luc de Crimée, allait être l’un des fondateurs de l’anesthésie régionale et de la chirurgie septique.
Valentin Voino-Iaseneski est né le 9 mai 1877 (par coïncidence, le jour où la Roumanie a déclaré son indépendance) dans la ville russe Kerchi, dans une famille mixte, à la fois ethniquement et religieusement. Le père est polonais et catholique pratiquant et la mère est orthodoxe russe (figure 1). Passionné de peinture à l’adolescence, Valentin fréquente une école d’art à Kiev mais se réoriente et fréquente l’école de médecine de Kiev. Au collège, comme tout amateur d’art, il est avant tout passionné d’anatomie, mais il réussit le reste des examens avec de très bonnes notes. Alors que tous ses collègues lui prévoient un avenir radieux dans le milieu universitaire, Valentin décide de devenir médecin de campagne, afin de se rapprocher des patients nécessiteux. Ainsi, après avoir obtenu son diplôme, il choisit de partir en tant que médecin dans l’Extrême-Orient russe, dans la ville de Cita, où il travaille dans un hôpital militaire pendant la guerre russo-japonaise (figure 2). Il y rencontre sa future épouse, avec laquelle il ira plus tard aux hôpitaux d’Ardatov et de Verhnii Liubaj (où naîtront ses premiers enfants, Misha et Elena). L’expérience de ces hôpitaux lui démontrera que l’anesthésie générale est risquée et qu’elle nécessite un personnel spécialisé et bien formé. Ainsi, en 1908, il part pour Moscou pour étudier l’anesthésie régionale pendant le doctorat, qu’il achève en 1915 (figure 3). Le point de départ de l’étude de l’anesthésie régionale est le livre du professeur Heinrich Braun (1862-1934), « L’anesthésie locale, sa base scientifique et ses applications pratiques ». Au cours de ses études doctorales, il lit plus de 500 articles spécialisés et réalisera des centaines d’injections de gélatine colorée sur des cadavres, afin de trouver les meilleurs repères anatomiques à l’approche des nerfs qu’il souhaitait anesthésier. Nous présenterons les améliorations apportées aux techniques d’anesthésie des nerfs fémoraux et sciatiques.
En ce qui concerne le nerf fémoral, la première technique anesthésique a été décrite par Läwen en 1911. Elle consistait à injecter 5 ml de novocaïne 2% + adrénaline, directement sous le ligament de Poupart à 1-1,5 cm latéralement de l’artère fémorale et à une profondeur de ½ - 1 cm, entrant avec l’aiguille perpendiculairement à la surface de la peau. Les expériences effectuées sur 11 cadavres, lors desquels il injecte de la gélatine colorée selon les points de repère ci-dessus, démontrent que la gélatine frappe le muscle psoas et l’intima des vaisseaux fémoraux sans jamais toucher le nerf fémoral. Il recommande donc que l’aiguille soit insérée plus près de l’artère fémorale et que la direction soit oblique par rapport à la peau et en haut sous le ligament de Poupart (pour s’assurer qu’elle trouve le nerf non divisé). L’élément nouveau est représenté par la vérification de l’emplacement correct du nerf. Il recommande que l’anesthésique ne soit injecté qu’après avoir obtenu des paresthésies le long du nerf fémoral, après contact avec l’aiguille de la seringue (les stimulateurs électriques n’étaient pas inventés à l’époque).
En plus de sa contribution au développement de l’anesthésie régionale, il fait des recommandations révolutionnaires pour l’époque au sujet de l’anesthésie générale. Il recommande que le patient soit endormi avant d’entrer dans la salle d’opération afin de réduire le stress psychologique induit par la vue des « blouses blanches », des équipements et des instruments. Il recommande aussi de réchauffer le patient pendant l’opération, pour éviter l’hypothermie intra opératoire.
Après 13 ans en tant que médecin de campagne, il part pour l’hôpital de Tachkent, où, à l’occasion de l’ouverture de l’université en 1920, il y devient professeur d’anatomie et de chirurgie topographique. Ici il commence à rédiger sa thèse «Essais sur la chirurgie septique” et écrit un « Serment chrétien médical ». Pendant la Seconde Guerre mondiale, il travaille dans l’un des hôpitaux militaires de Krasnoïarsk, le point d’évacuation le plus à l’est des blessés de la guerre. Il est nommé consultant dans tous les hôpitaux de la région (figure 4). Le travail assidu qu’il effectue à l’hôpital du matin au soir, auquel s’ajoute la profonde souffrance de la perte de chaque patient, fait souffrir le professeur du syndrome d’épuisement depuis 1942, « le burnout » d’aujourd’hui, ou la névrose asthénique, tel qu’on l’appelait alors. Ceci le tiendra alité pendant des semaines. Entre temps, il achève les ouvrages « Essais sur la chirurgie septique » et « Résections tardives dans les cas de plaies infectées de grosses articulations » pour lesquels, en 1946, il reçoit le prix Staline de première classe pour la médecine.
Sa valeur en tant que médecin et professeur est reconnue dans toute la Russie depuis le début de sa carrière, et l’exemple le plus éloquent est la correspondance avec le professeur Pavlov en 1925, à l’occasion de l’anniversaire du professeur. Il commence ainsi sa lettre : « Bien-aimé en Christ, frère et collègue profondément estimé, Ivan Petrovici ! J’ai appris récemment votre célébration, qui a eu lieu à l’occasion du 75e anniversaire de votre vie couverte de gloire… Veuillez accepter mes félicitations tardives ». Pavlov répond : « Dans les moments difficiles, débordant de problèmes qui ne peuvent être évités pour ceux qui pensent et se sentent humains… Je suis avec vous de tout mon cœur dans votre martyre. Le vôtre, sincèrement dévoué, Ivan Pavlov ».
Les mots « dans votre martyre » peuvent sembler surprenants, mais Pavlov (diplômé du séminaire et confesseur de la foi orthodoxe) savait ce qu’il disait. Après la mort de sa femme de tuberculose et l’installation du communisme, Valentin choisit de devenir prêtre. À partir de 1923 il devient évêque de Tachkent et du Turkestan (recevant le nom de Luc – figure 5), en 1942 archevêque de Krasnoyarsk et Enisei, en 1944 archevêque de Tambov et Myurinsk, et puis archevêque de Simferopol jusqu’en 1961. Le choix d’une telle voie à cette époque ne pouvait que conduire à des persécutions, des arrestations et des déportations. Les exils de Turuhansk et d’Arkhangelsk l’amèneront près des souffrants, qui avaient besoin de sa science et de sa lumière. Mais il subira la période la plus difficile lors de l’époque du chef le plus cruel de la police politique (NKVD), Nikolai Iejov. Officiellement enquêté pour espionnage (bien que les enquêteurs n’aient jamais pu spécifier pour qui il espionnait), on lui demande en réalité de renoncer à sa robe sacerdotale, ce que l’évêque Luc refuse (figure 6). Il est soumis à deux reprises à des interrogatoires continus pendant 11 jours et nuits, période pendant laquelle, en raison de l’épuisement, il commence à avoir des hallucinations, qui disparaitront avec l’arrêt des enquêtes. Même en prison, il est une lumière pour les compagnons de cellule qui demandent sa bénédiction avant de partir pour un interrogatoire. Le début de la Seconde Guerre mondiale mettra fin à la persécution car ils auront besoin de l’évêque comme médecin. Après la fin de la guerre, sa santé commence à se détériorer, de sorte qu’au cours des dernières années de sa vie, il perd la vue. Sa vie exemplaire de médecin dévoué et de hiérarchie orthodoxe (figure 7), ainsi que l’exemple d’autres médecins croyants comme Ivan Pavlov et Vladimir Filatov, conduira un groupe de jeunes Français à se convertir à l’orthodoxie. Il est décédé le 11 juin 1961 à Simferopol ; la police et les autorités du régime le plus athée qui existait jusque-là, ne réussiront pas à empêcher les milliers de personnes qui le souhaitent de rejoindre le cortège funèbre. Il sera canonisé comme saint par l’Église orthodoxe russe le 25 mai 1996, avec la date de célébration le 11 juin.
Saint Luc est un modèle de scientifique et de médecin qui s’est sacrifié pour son prochain, au point de l’épuisement. Il a été un nouvel apôtre du Christ et l’exemplification du fait que les saints sont des gens avec des chagrins, des joies, de l’impuissance. Toute sa vie a été placée sous le signe de l’amour, pour la famille, les amis, les malades, les bourreaux ... Il a également aimé la Passion, considérant qu’elle « nettoie merveilleusement l’âme ». Ainsi, en aimant, Dieu l’a montré victorieux.
Bibliographie :
Article paru dans la revue « La Vie Médicale », n° 24 (1532), le 14 juin 2019
Traduction du roumain assurée par Mme Maria Diana Lupa
Le serment médical chrétien, par Saint Luc de Crimée
J’apprécie la vie humaine comme une valeur suprême et une bonté, et je la traiterai comme un don divin – la garantie de la vie éternelle.
Je vois le bonheur et le sens de la vie en amour envers l’homme.
Je n’ai aucun droit d’arrêter de me battre pour la vie du patient en toutes circonstances.
Je reconnais que le patient est une personne vivante et souffrante, pas un cas de pratique médicale, et je m’engage à utiliser tous les moyens disponibles pour soulager ses souffrances.
Je m’engage à traiter toutes les maladies dangereuses, même au péril de ma vie.
L’amour pour une personne malade doit être au-dessus des relations personnelles.
Je m’engage à ressentir la mort d’un patient comme la perte d’un être cher.
Je n’ai pas le droit de faire ce que j’aime, mais je suis obligé de faire ce qui est utile pour les personnes qui souffrent.
Je ne refuserai jamais d’aider le patient qui s’est adressé à moi, quels que soient l’heure de la journée, mon état d’esprit ou l’état du temps.
Je promets de ne jamais refuser de donner des consultations, y compris avec le déplacement au domicile du patient.
Je serai toujours sensible à la souffrance des autres.
Je promets de ne pas opérer uniquement les patients avec un espoir évident.
Je promets de ne faire des amputations que dans des cas extrêmes et d’une urgence maximale et d’ouvrir des foyers purulents.
Je promets de ne jamais injecter de patients en position assise.
Je ferai de mon mieux pour éviter au patient le trauma mental grave avant la chirurgie.
Je m’engage à améliorer mes connaissances médicales professionnelles et mes compétences pratiques spécifiques à la spécialisation.
Je m’engage à compiler les antécédents médicaux de la maladie avec un sentiment de compassion comme si je décrivais mes propres maladies.
J’étudie et étudierai la médecine dans le seul but d’être un médecin pour le peuple et d’aider les gens qui souffrent.
Je m’occuperai de l’éducation de l’âme chirurgicale des étudiants.
J’enseignerai à mes étudiants la chirurgie humaine.
Je considère inacceptable d’insulter le collègue, l’infirmière ou le personnel médical.
Je suis obligé de dénoncer le comportement contraire à l’éthique de mes collègues.
Je m’engage de faire des recherches uniquement pour soulager la souffrance des personnes malades et souffrantes.
Je suivrai la voix de ma conscience, de mes obligations professionnelles et du serment en toutes circonstances.
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