Ajouté le: 14 Mars 2023 L'heure: 15:14

Les origines de l’institution synodale

par le Métropolite de Pergame JEAN (ZIZIOULAS)

L’institution synodale constitue, du moins pour la théologie orthodoxe, le corps de l’administration et de la structure canonique de l’Église. Toute Église autocéphale orthodoxe a son Synode, et nul législateur, ecclésiastique ou politique, ne saurait lui substituer un organe administratif d’une autre forme, de caractère collectif ou individuel.

Les origines de l’institution synodale

Cela dit, il faut reconnaître qu’il n’est peut-être pas d’autre institution aussi mal com- prise, que ce soit par l’Église ou même par l’État, que l’institution synodale. Les malentendus dont elle fait l’objet risquent autant d’entraîner la vie ecclésiastique sur des voies hasardeuses et des péripéties que de conduire, dans certains cas, à des estimations erronées de certains événements (c’est ce qu’il advient, par exemple, pour diverses décisions du Conseil de l’État en Grèce), mais, nécessairement, ils portent atteinte aux fondements théologiques de l’Orthodoxie. Ces malentendus proviennent de ce que le contenu ecclésiologique de l’institution synodale est souvent ignoré ou méconnu. Contrairement à tout ce qui concerne la législation et l’administration de l’État, les institutions canoniques de l’Église ne peuvent être comprises indépendamment de l’ecclésiologie, c’est-à-dire des principes théologiques qui régissent la nature de l’Église. Des institutions administrant l’Église, et qui sont aussi fondamentales que le Synode, sont inséparables de l’essence de l’Église et, de ce fait, toute séparation entre le dogme et les institutions administratives fondamentales de l’Église est, non seulement malencontreuse, mais même dangereuse.

Pour comprendre le contenu ecclésiastique d’une institution, au sein de l’Église orthodoxe du moins, il est nécessaire de retourner en arrière, aux débuts historiques de cette institution. Le temps a fait subir, en effet, à nombre d’institutions, des altérations qui tendent à les éloigner de leur contenu initial. Certes, l’Église orthodoxe ne refuse pas les évolutions historiques qui se produisent dans ses institutions, mais elle ne les accepte qu’à la condition que la relation initiale de ces institutions avec l’essence et la nature de l’Église demeure intacte, à l’abri de toute éventuelle transformation ou modification. Par conséquent, pour comprendre et étudier les institutions ecclésiales de l’Orthodoxie, il est indispensable d’en connaître les débuts historiques et l’évaluation ecclésiologique. L’ecclésiologie et l’histoire de l’Église, notamment de l’Église des premiers siècles au cours desquels les institutions ecclésiales1 se sont formées, sont les guides indispensables pour toute recherche sur le Droit Canon de l’Église orthodoxe.

La principale question, que rencontre l’historien qui étudie la genèse de l’institution synodale, peut être formulée comme un dilemme : doit-on considérer les synodes comme un produit des conditions existant à la fin du 2e siècle ap. J.-C., au moment où les synodes apparaissent effectivement sous la forme qu’on leur connaît aujourd’hui, ou bien doit-on rechercher les racines de cette institution dans les structures synodales existant déjà dans les premières communautés ecclésiales, dont la vie est décrite dans le Nouveau Testament ? Les historiens qui prennent, pour point de départ de leur étude, les dernières décennies du 2e siècle, se heurtent à une difficulté : les facteurs ayant contribué à l’apparition des synodes sont-ils externes ou internes àlÉglise ?[…]

Le fait historique le plus important, qui nous conduit à penser que les débuts historiques de l’institution synodale sont à rechercher au sein de l’Église, et, plus encore, dans la structure des premières communautés eucharistiques, est que la composition des synodes semble avoir été, dès le début, épiscopale. La question que l’historien ne peut éviter est dès lors la suivante : pourquoi les synodes étaient-ils essentiellement composés d’évêques ? Était-ce une initiative prise par l’Église de la fin du 2e siècle, sous l’influence de facteurs internes ou externes, spécifiques à cette époque ? Ou bien était-ce dû à des raisons ecclésiologiques plus profondes, en rapport avec la vie et la foi de la première Église ?

Dans le Nouveau Testament, on rencontre deux formes principales de synodes. La forme la plus connue est celle du Synode dit Apostolique, décrit dans les Actes des Apôtres (Actes ch. 15 ; cf. Gal. ch. 2). […] La structure de ce synode, tel qu’il est décrit par Luc dans les Actes, est d’un grand intérêt. La composition du synode est la suivante : a) « la foule », c’est-à-dire l’Église locale et b) les « apôtres » et les « presbytres ». Les « apôtres et les presbytres », tout comme l’« église » (à savoir « la foule ») ont participé à l’assemblée qui s’est tenue avant le Synode pour écouter Paul et Barnabé (15, 4). Cependant, nous constatons qu’il n’est fait initialement aucune mention de l’« église » pendant le Synode proprement dit : « Les apôtres et les presbytres se réunirent pour examiner cette question ». Ce n’est que vers la fin du Synode que l’« église » réapparaît, au moment de choisir qui accompagnera Paul à Antioche (15, 22) : « Alors, il a paru bon aux apôtres et aux presbytres, ainsi qu’à l’église entière de choisir […] »2. Toutefois, l’épître, envoyée à Antioche en tant que décision officielle, ne semble n’avoir été écrite que par les « apôtres et les presbytres », quoiqu’il soit fait mention des applaudissements par lesquels l’Église locale a accueilli la décision (v. 25). Il se peut que le « nous » de la fameuse phrase « il a paru bon au Saint-Esprit et à nous » (15, 28) renvoie directement aux « apôtres et presbytres », à la condition cependant que « toute l’église » soit unanime. Par conséquent, la structure du Synode Apostolique, démontre : a) que l’Église locale constitue la base du synode et b) que « les apôtres et les presbytres » se distinguent de la « foule », en raison du rôle directeur qu’ils assument, aussi bien dans la prise de décisions que dans la communication de ces décisions aux autres Églises.

Ce qui attire, par la suite, l’attention est que, à partir du ch. 21 des Actes, la formule « apôtres et presbytres » est remplacée par celle de « Jacques et les presbytres ». Outre l’importance de la formule « Jacques et les presbytres » en général, pour l’apparition de la fonction épiscopale, et, en particulier, pour la genèse de l’institution synodale, ce passage de « apôtres-presbytres » en « Jacques-presbytres » constitue le pont qui nous fait passer du livre des Actes au « conseil de l’évêque » [sunevdrion ejpiskovpou] d’Ignace d’Antioche3, qui a joué un rôle considérable dans la genèse de l’institution synodale. Le « conseil de l’évêque », constitué de l’Évêque et des presbytres qui l’entouraient, est ce qui, lors de la synaxe de l’Eucharistie, tranchait, en présence du peuple, dans des questions relatives à la concorde et à l’unité de l’Église, avant la divine Communion.

La deuxième forme de synode qui, déjà présente dans les épîtres de Paul, influe sur le développement de l’institution synodale aux siècles suivants, est encore liée aux décisions relatives à la participation ou non-participation à la divine Communion. Au ch. 5 de la 1ère Épître aux Corinthiens, l’Église locale de Corinthe, réunie pour l’Eucharistie, est appelée à décider de la participation ou non-participation de l’un de ses membres à la divine Communion. – Il faut remarquer que cette synaxe est constituée du peuple (« de vous »), de l’apôtre (« de mon esprit ») et du Seigneur (« avec la force de Notre-Seigneur Jésus-Christ ») –, composition qui rappelle le « il a paru bon au Saint-Esprit et à nous » du Synode Apostolique.

L’étude des sources prouve incontestablement que l’institution synodale, telle qu’elle apparaît à partir du 2e siècle, est précisément liée aux conditions préalables et à cette praxis de l’Église. Les synodes, qui apparaissent lors de la querelle de Pâques, sont directement, et avant tout, en rapport avec le problème de la communion eucharistique4. On peut également le constater en considérant les grands Conciles œcuméniques de l’Église ancienne : leur but n’était jamais de formuler les principes de la foi en elle-même, mais de décider de la participation ou non-participation à la Divine Communion. […] Le but du Synode a donc, de tout temps, été lié à la Divine Eucharistie.

De ce qui précède ressort que l’institution synodale, sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui, prend sa source dans la synodalité et la praxis synodale des premières commu- nautés apostoliques, et que cette praxis est toujours liée à la communauté eucharistique. Ainsi lumière est faite sur un autre point obscur : comment, au 4e siècle, le terme de « synode » a pris le sens de Divine Eucharistie. Mais, ce qui est encore plus important pour notre étude, c’est que ce lien primitif entre l’institution synodale et l’Eucharistie nous fournit une réponse à la question principale : pourquoi les synodes sont-ils de caractère épiscopalet quel est le sens, pour l’Ecclésiologie et le Droit Canon, de ce caractère épiscopal de l’institution synodale ?

À la question « pourquoi la composition des synodes a-t-elle toujours été épiscopale? », la réponse qui ressort de l’étude des sources est que l’institution synodale a, dès le début, été liée à la communauté eucharistique, l’évêque étant considéré comme le proéstos de la Divine Eucharistie, dans chaque Église locale. […]

Il faut remarquer que, de par sa position de proéstos de la communauté eucharistique, l’évêque était considéré, dans l’Église ancienne, comme celui qui incarne toute l’Église locale. Cependant, en même temps, de par la nature de la communauté eucharistique qui est l’expression et la manifestation de tout le Christ et de toute (« catholique », s’entend) l’Église, le proéstos de l’Eucharistie, l’évêque, était considéré comme le célébrant, celui en la personne duquel l’Église locale dépassait toute notion de localisme et s’unissait avec les autres Églises locales en « une seule Église, sainte, catholique et apostolique ». Il était donc très naturel que toute acte de l’Église visant à l’expression de l’unité des Églises locales, comme c’était le cas du synode, se manifestât par l’évêque. Par conséquent, la composition épiscopale du synode se justifie et s’impose dans l’Église ancienne, du point de vue ecclésiologique, du fait que l’évêque est, en tant que proéstos de l’Eucharistie, celui qui exprime l’unité aussi bien de l’Église locale en elle-même que son unité avec les autres Églises locales, unité à laquelle, comme nous l’avons vu, les synodes ont de tout temps aspiré.

Texte extrait de
« Mélanges en l’honneur du Métropolite Barnabas de Kitros »,
Athènes, 1980, p. 161-190 (en grec) ;
traduit du néo-hellénique par Mgr Grigorios D. Papathomas.

Notes :

1. À cet égard, les quatre premiers siècles ont une importance cruciale, étant donné que c’est au cours de ces siècles que se sont formées les institutions ecclésiastiques et qu’ont été éclaircis les critères ecclésiologiques sur la base desquels ces institutions ont vu le jour. Toute évolution de ces institutions doit être examinée à la lumière de ces critères.
2. Tout le texte est assez confus sur cette question. Au v. 12, alors qu’il était écrit auparavant (v. 6) que seuls « les apôtres et les presbytres » s’étaient assemblés, le texte ajoute subitement que « toute la foule a fait silence ». Que représente ici la « foule » ? S’agit-il de la foule des apôtres et des presbytres, en ce cas, l’usage du terme « foule » n’est plus spécialisé (foule = église locale) ou bien s’agit-il de l’Église locale et, ce cas, il y a contradiction avec le v. 6 qui parle de la synaxe des seuls « apôtres et presbytres » ?
3. IGNACE, Philadelphiens, 8, 1 ; cf. Magnésiens, 6, 1, et Tralliens, 3, 1.
4. Cela ressort clairement de la description des premiers synodes par Eusèbe. Ainsi, en ce qui concerne les synodes qui se sont réunis en raison du montanisme: « En effet, les fidèles d’Asie se réunirent souvent à cette fin en de nombreux endroits de l’Asie; ils examinèrent les discours récents et montrèrent qu’ils étaient profanes; et, après avoir condamné l’hérésie, ils chassèrent ainsi de l’Église ses sectateurs et les retranchèrentdelacommunion » (Histoire Ecclésiastique,V, 16, 10 [S.C., t.41 (II), p. 49].Cf. aussi 28, 9: « exclus de la communion »). De même, en ce qui concerne la querelle de Pâques: « Là-dessus, le proéstos de l’Église des Romains, Victor, entreprend de retrancher en masse de l’unité commune les chrétientés de toute l’Asie en même temps que les Églises voisines, comme étant hétérodoxes; il publie par lettres [sa condamnation] et proclame que tous les frères de ces pays-là, sans exception, sont exclus de la communion » (Histoire Ecclésiastique, V, 24, 9 [S.C., t. 41(II), p. 69]). Il n’est donc pas douteux que le but de ces premiers synodes était non pas de formuler un enseignement, ni même d’éliminer simplement les hérésies, mais de traiter la question de la communion eucharistique.

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