Ajouté le: 15 Mars 2023 L'heure: 15:14

L’Évêque, icône du Christ

Le terme « évêque » vient du grec episkopein qui signifié « voir au-dessus », surveiller. L’episkopos est donc celui qui surveille, protège, défend, ce qui correspond à la fonction de berger, pasteur, qui veille sur son troupeau. Or le Christ a dit expressément qu’Il était « le Bon Pasteur » (Jn 10/11 et 14). Par Son comportement même, et Son enseignement, le Seigneur a posé les fondements de l’épiscopat. Il pourra dire aux Douze, avant de les quitter pour rentrer sur le trône divin, en tant qu’homme déifié1 : faites comme Moi, conduisez-vous comme Moi.

L’Évêque, icône du Christ
Et nous voyons que dans Sa façon de faire, Il se comporte comme un évêque. Il aurait pu sauver le monde et l’Homme, seul – avec Son Père et l’Esprit –, sans même la collaboration des anges, mais Il ne l’a pas fait. Il a voulu dès le début faire coopérer l’Homme à son salut et à la prêtrise, qui est par nature christique, parce qu’on n’acquiert vraiment que ce que l’on expérimente, ce à quoi on participe réellement. Le christianisme ne s‘apprend pas dans les livres, il se vit.

Il a choisi et appelé 12 collaborateurs – les Apôtres – qu’Il a soigneusement formés pendant 3 ans, qui seront les premiers auditeurs de son enseignement, avec lesquels Il vivra dans Son « séminaire de Capharnaüm, pour qu’ils Le voient être et vivre, et auxquels Il transmettra les deux pouvoirs divins constitutifs de la prêtrise : celui de consacrer le pain et le vin en Son Corps et en Son sang, et celui de pardonner les péchés. Ce sont eux qui sont la source de l’épiscopat et de la prêtrise dans l’Église.

Mais Il appellera aussi 702 autres disciples, que nous pouvons considérer comme les ancêtres symboliques des diacres et des clercs mineurs, et qui ont vocation à prendre soin du peuple dans sa vie quotidienne.

Enfin n’oublions pas les Femmes-disciples3, qui auront un rôle important mais discret dans la vie de cette Église originelle, dont elles furent l’âme, comme la Femme l’est dans son foyer. Sans Marie, l’incarnation de Verbe eût été impossible. Elles n’ont pas de « fonctions », parce que celles-ci relèvent de la structure, alors qu’elles sont la vie. Mais elles sont les grandes oubliées de l’histoire de l’Église.

Ce que nous venons de décrire correspond exactement à ce que doit être et faire un évêque. Il doit rassembler le troupeau des brebis du Christ, le conduire dans les « verts pâturages » célestes, les nourrir par un enseignement juste et par l’eucharistie, les défendre contre les loups (les démons et les hérésies). Il doit s’entourer d’un « presbyterium4 » pour démultiplier son action sacerdotale et envoyer des prêtres là où il ne peut pas aller, ordonner des diacres et des clercs mineurs pour le soin du peuple, et bénir les femmes qui se dévouent à l’Église avec humilité et amour. Ainsi un évêque est-il appelé à être une icône du Christ-Évêque.

Mais un évêque n’est pas seul : de même que chacun des Apôtres a dû tenir compte des 11 autres, et œuvrer avec eux, parce que l’Église est une comme Dieu est un, il doit être en communion avec ses frères évêques et œuvrer avec eux. Ce mystère de l’unité-diversité est évidemment un reflet de la Divine Trinité qui est une dans Sa nature et trine dans Ses Personnes. Et c’est probablement là où il y aura le plus de difficultés, d’autant plus que chaque évêque étant par nature le « premier » dans son éparchie, il faudra savoir qui est le premier des premiers.

Nous allons donc faire un survol des premiers siècles5 pour voir comment nos pères ont su trouver la voie de la ressemblance à la Divine Trinité en matière ecclésiale. Avant tout revenons à l’Évangile.

Préambule évangélique : « qui est le premier ? »

Sur cette question, nous nous trouvons dans une situation de blocage depuis un millénaire et il serait bien de revenir à notre source commune, l’Évangile, c’est-à-dire aux pensées divines.

« Primauté »et« primat » viennent du latin : « primus », premier. Qui est le premier ? [Qui est à l’honneur ? Qui a la préséance ? ou Qui dirige ? Qui domine ? Qui est la tête ?]. Cette question apparaît clairement dans l’Évangile et le Christ y répond clairement, en trois endroits au moins :

1- Les Apôtres se posent entre eux la question («Qui est le plus grand ?»). Le Christ place un petit enfant au milieu d’eux, comme un symbole, pour frapper l’esprit de Ses disciples, et dit :

- « Si quelqu’un veut être le premier (prôtos, primus) il sera le dernier de tous et serviteur de tous » (Mc 9/35).

- « Car celui qui se trouve le plus petit parmi vous tous, celui-là est grand » (Lc 9/48).

2- Jacques et Jean demandent au Christ (ou plutôt envoient leur mère le demander) à être assis à Sa droite et à Sa gauche dans le Royaume de Dieu (c’est-à-dire aux deux meilleures places). Le Christ répond d’abord : « vous ne savez pas ce que vous demandez », puis : c’est Mon Père qui a choisi ceux à qui elles sont destinées. Comme les autres Apôtres sont scandalisés, le Christ donne une leçon à tout le collège apostolique, qui confirme ce qu’Il avait dit auparavant (ci-dessus) : « Celui qui voudra devenir grand parmi vous sera votre serviteur et celui qui voudra être lepremier (prôtos, primus) sera votre esclave » (Mt 20/20-28 et Mc 10/35-45).

3- Pendant la Sainte Cène, le Christ lave les pieds de Ses disciples, ce qui était une fonction des esclaves dans l’Antiquité gréco-romaine. Il leur enjoint de faire de même et ajoute : « Vous m’appelez Maître et Seigneur et vous dites bien, car Je le suis. Si donc Je vous ai lavé les pieds, Moi le Seigneur et Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns des autres » (Jn 13/2-17).

Le Seigneur affirme clairement qu’Il est le Maître, mais Il leur montre comment Il dirige et gouverne. Et Il ajoute : « … vous êtes heureux si vous le mettez en pratique » (et pas seulement si vous le savez), ce qui veut dire : faites comme Moi6.

C’est un renversement complet des valeurs. Nous pourrions résumer l’enseignement du Seigneur :

- Le premier est celui qui se comporte comme le dernier, le plus grand comme le plus petit et le maître comme celui qui sert.

- Les places respectives des uns et des autres sont données par le Père céleste.

- La question soulevée n’est pas primordiale (le plus important est d’être « comme un enfant » devant Dieu, et de servir les autres, comme Dieu le fait Lui-même)

- En filigrane, il y a aussi une réponse : le premier c’est votre Maître, le Christ. Mais Il ne dit jamais qu’Il est le premier, car en tant que Fils, Il se tient toujours dans une obéissance parfaite à Son Père céleste, qui est « premier », parce que Source, conformément à Son caractère hypostatique.

Or, depuis 2000 ans, cette question de la primauté obsède l’Église, c’est à dire la hiérarchie ecclésiastique, comme si elle était capitale. Cela vaut pour Rome, où c’est caricatural, mais aussi pour l’Orthodoxie, où il y a des affrontements et des rivalités entre Églises-sœurs. Ce comportement n’est pas conforme à l’Évangile, et n’est pas digne du Christ. C’est un péché collectif, dont nous devons tous nous repentir.

Un survol de l’histoire de l’Église des premiers siècles

Le problème de la primauté ne peut pas être étudié en soi : il est lié, en interne, à l’évolution générale de l’Église et, en externe, à celle des relations de l’Église avec l’État et la société.

1- Le Christ et l’Église apostolique : les fondements

Pendant les 40 jours après Pâques, le Christ achève de préparer Ses Apôtres et les initie, selon la Tradition, aux mystères de l’Église et des Sacrements d’une façon plus précise et plus explicite. Puis Il les quitte lors del’Ascension. Il faut remarquer que le Seigneur n’a pas donné de « feuille de route » à Ses Apôtres : Il n’a pas laissé de structure ni d’organisation. Il leur a laissé un esprit des choses : Son enseignement et Son exemple.

Plus encore, Il va continuer à œuvrer, mais invisiblement. Les Apôtres, influencés par Pierre qui est toujours un peu volontariste, se pressent d’élire Matthias. Mais le Christ a choisi Paul (après la Pentecôte), parce que les Apôtres demeuraient craintifs et prisonniers du cadre judaïque. Paul est un ardent missionnaire que le Saint-Esprit va « jeter » comme un feu sur les gentils, les païens. Mais le Seigneur n’a pas remis en cause l’élection de Matthias. Le nombre parfait et symbolique du collège apostolique est 12, mais en fait, il se situe entre 11 (les Douze moins Juda) et 13 (les Douze plus Paul). C’est une exactitude spirituelle et non formelle. Dieu est libre et l’Homme – Son image – est libre : il y a une synergie entre Dieu et l’Homme, une union libre des deux volontés.

Lorsqu’on regardela vie de cette première communauté chrétienne à travers les Actes et les Épîtres, on a bien du mal à en comprendre l’organisation (qui est quoi et qui fait quoi ?). Quelques exemples parmi d’autres : quelles différences de statut et de fonctions entre les évêques (ou futurs évêques), les prêtres et les diacres ? (l’École biblique allemande a soulevé de nombreux problèmes) ; pourquoi l’évêque de Jérusalem est-il, selon la Tradition, Jacques, le « frère du Seigneur7 », et non un Apôtre ? La façon dont Paul s’agrège aux Apôtres est surprenante : leurs rapports sont assez libres, non structurés. Citons maintenant deux évènements importants et significatifs :

- À Antioche, Paul va affronter Pierre : « je lui résistai en face, parce qu’il s’était donné tort… ». Et il lui dit « devant tout le monde » : « Si toi qui es juif, tu vis comme les païens et non à la juive, comment peux-tu contraindre les païens à judaïser ? » (Gal.2/11-14). C’est Paul qui l’a emporté. Le problème de la primauté ne s’est pas posé. Et Paul avait dit, juste avant ce passage : « Jacques, Céphas [Pierre] et Jean, ces colonnes, nous tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion » (Gal.2/9). Il nomme Jacques en premier.

- Le Concile de Jérusalem (Actes 15) est très instructif. Les Apôtres se réunissent spontanément pour essayer de résoudre un problème difficile (celui de la réception des gentils dans l’Église) et ils ne sont pas seuls à se réunir (« les apôtres et les anciens »). Pierre parle, et bien. Silence. Puis Paul et Barnabé parlent, racontant ce que Dieu a fait, par eux, pour les païens. Et enfin Jacques, met le point final à la discussion en faisant une proposition qui est acceptée par tous. Ensuite, ils écrivent à ceux d’Antioche : « Il a paru bon à l’Esprit Saint et à nous… », ce qui est une merveille d’ecclésiologie, exprimant admirablement la synergie entre Dieu et l’Homme. Dans ce concile prototype, le vrai président a été Jacques et non Pierre, sans qu’on puisse en faire une règle. Cela nous permet de tirer quelques conclusions.

L’Église estconciliaire par nature et non en fonction d’un canon, d’une règle extérieure, mais parce qu’elle est un reflet de la Divine Trinité, et parce qu’il y a une synergie entre Dieu et l’homme (l’Esprit Saint et nous…). Le problème de la primauté ne s’est pas posé, ni à Antioche, ni à Jérusalem. Ce qui guide les Apôtres, c’est la vérité : la règle est intérieure.

2- Le 34è canon apostolique et l’Église indivise

- L’Église va se développer ainsi « biologiquement », en faisant tache d’huile. Et elle se développe dans les cadres politiques et sociaux de l’Empire romain : elle n’est pas une superstructure qui s’imposerait au monde. Sa vocation est de changer les choses de l’intérieur, de changer le cœur des hommes. D’où une organisation qui va se calquer sur celle de l’État avec un regroupement des évêques par provinces (romaines) et par diocèses civils8.

Les concilesvont progressivement établir des règles (canons), qui ne seront pas toujours universelles ni absolues, mais qui vont structurer l’Église. Il apparaîtra aussi des recueils canoniques, souvent inspirés des conciles mais parfois avec des modifications (et des améliorations), qui prendront beaucoup d’importance, et notamment les canons des Constitutions apostoliques9.Le plus célèbre est le 34è canon, qui est un monument d’ecclésiologie : il va devenir un des fondements de l’organisation de l’Église.

- Le 34ècanon apostolique : « Il convient que les évêques de chaque peuple reconnaissent parmi eux le premier(prôtos) et le considèrent commeun chef (ôskephalên), n’agissant pas en ce qui surpasse leur pouvoir sans lui demander son opinion ; que chacun n’agisse que dans le domaine de son district (paroïchia) et les lieux qui lui sont attachés. Mais que le premier, non plus, ne fasse rien sans l’opinion de tous. Ainsi sera la concorde et Dieu sera glorifié par le Christ, dans le Saint-Esprit ». Cette règle est toute en nuances : elle n’est pas d’esprit juridique, mais d’ordre spirituel. Chaque peuple peut y prétendre (ce n’est ni imposé de l’extérieur, ni interdit par une autorité extérieure). Le premier est considéré par tous comme un chef, mais il n’est pas le chef. Chaque évêque administre librement son éparchie (diocèse), mais pour toutes les questions qui dépassent ce niveau, il doit y avoir concertation entre les évêques, sous la présidence du « premier ». Elle exprime parfaitement l’équilibre entre la primauté et la conciliarité, entre la dimension verticale et la dimension horizontale.

- Petit à petit va se mettre en place le système métropolitain, codifié par les canons du 1er concile œcuménique (Nicée, 325) et par le 34è canon apostolique, etqui sera la base de l’organisation de l’Église : c’est une organisation « provinciale », avec des synodes qui se réunissent deux fois par an et qui sont présidés par l’évêque de la capitale de la province10 (les futurs « métropolites » ou « archevêques métropolitains »). L’Église « colle » à la vie du peuple : elle n’est pas une super- structure, abstraite. Il faut rappeler que l’épiscopat était bien plus développé que maintenant : il y avait un évêque dans chaque ville, quelle que soit sa taille.

- Toutefois les circonstances historiques vont conduire àune évolution importante de l’Église au niveau supérieur de la hiérarchie et des structures, entre le 4è et le 8è siècles. Les raisons sont internes (les hérésies et les schismes) et externes (la transformation de la société et de l’État, les évènements politiques, les invasions et les guerres). Deux faits importants sont à mentionner : les conciles œcuméniques et l’apparition de primats.

L’Église orthodoxe en général, et le Patriarcat roumain en particulier, sont restés fidèles, depuis les origines, à la tradition ecclésiologique de l’Église indivise. Notre archevêque, le Métropolie Joseph, et les évêques de notre Synode métropolitain en sont des témoins vivants. Que Dieu les garde dans cette sagesse, qui nous a été enseignée par notre Évêque éternel, notre Seigneur Jésus-Christ.

Père Noël TANAZACQ

Notes :

1. En tant que Dieu, Il est éternellement sur le trône divin, avec le Père et l’Esprit.
2. 70 dans le texte grec et 72 dans le texte latin.
3. Appelées souvent en Occident les « Saintes femmes ».
4. C’est le collège des prêtres autour de l’évêque. On en a un témoignage archéologique dans l’abside des églises antiques : le trône de l’évêque est derrière l’autel, très élevé, pour que tout le peuple puisse le voir, et tout autour, plus bas, se trouve le banc des prêtres.
5. Nous reprenons ici une partie de notre intervention lors du colloque sur « La primauté et les primats : enjeux ecclésiologiques », de mars 2013, à Paris (publié aux Èditions du Cerf en 2015).
6. Ceci a aussi une signification symbolique, car les pieds représentent les démarches : en lavant les pieds de Ses disciples, Il purifie leurs démarches. En plus de l’enseignement ecclésiologique qu’Il donne, Il montre le rôle d’un père spirituel, d’un vrai maître.
7. En fait il s’agit d’un demi-frère du Seigneur, un fils de Joseph qui était veuf (selon le Proto-évangile de Jacques) ou un cousin de Jésus. Rappelons néanmoins que certains pensent qu’il s’agît de l’Apôtre Jacques le mineur, mais cela n’est pas dit dans les Actes des Apôtres.
8. Compte tenu de l’évolution historique (« Paix de l’Église » en 313), c’est le nouveau découpage administratif de Dioclétien (fin 3è s.) qui deviendra la base des circonscriptions ecclésiastiques.
9. Les Constitutions Apostoliquesont un importantrecueil liturgico-canonique, constitué en Syrie vers 380 et qui donne un état de l’Églisefin 3è- début 4ès. (environ au moment de la Paix de l’Église). Àla fin du 8èLivre, se trouvent les 85 canons dits apostoliques, dont beaucoup proviennent de conciles antérieurs (le 34èest inspiré du 9ècanon du concile d’Antioche de 341). Voir S.C. n° 336, Éd. Metzger,1987, p.275-309.
10. Il y avait déjà une organisation provinciale pour certains cultes païens, notamment le culte impérial. Il est possible que l’Église ait copié cette organisation : les synodes provinciaux remontent au milieu du 2e siècle.

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