Ajouté le: 18 Juillet 2013 L'heure: 15:14

Dialogue ou conversation

Bien qu’il s’agisse de termes appartenant à un même domaine, celui de la communication, chacun  – dialogue ou conversation – semble être utilisé dans des situationsdifférentes, d’où leur charge de sens différente. La question serait : dans quels termes decommunication nous rapportons-nous à Dieu et aux hommes ? Dialogue ou conversation ? Du point de vue étymologique, le mot conversation provient du latin « con-versare » qui signifie « s'asseoir ensemble ». En général, la conversation peut être vue comme étant superficielle et sans prolongation dans le temps. Elle est polieet cordiale : chacun peut exprimer son opinion sans trop s’impliquer et sans donner une importance cruciale aux opinions des autres. C’est un échange d’informations, qui ne donne souvent pas lieu à des suites. Puisque les opinions de chaque personne face à un certain sujet sont déjà formées, la conversation ne fait que les apporter à la table de discussion comme un fait divers.

 

Cette forme de communication n’a pas forcément de règles strictes : on peut très bien passer du coq à l’âne au gré de chacun; on peut y exprimer des opinions différentes, même contradictoires ; on ne lui accorde pas une grande valeur en elle-même, elle est destinée plutôt à une information « légère » et pour passer le temps d’une manière agréable.

Le dialogue, par contre, semble être la forme de communication qui s’approche le plus et qui répond peut-être de la façon la plus complète au besoin fondamental de l’homme « de se consolider et d’accroitre dans l’existence »1. Il requiertattention et considération, respect et compréhension réciproques entre au moins deux personnes. Étymologiquement, le mot dialogue provient du grec « dia » qui signifie « à travers » ou « avec » et « logos » qui signifie « parole ». En dialogue il n’y a pas de compétition : chacun participe de manière altruiste avec ce qu’il a ou avec ce qu’il est car l'homme ne se définit pas seulement à travers ses paroles, mais aussi et plus expressément à travers ses actes ; l'homme peut offrir, à travers les mots, ce qu'il est devenu suite à son mode de vie. La communication en dialogue présuppose ainsi un accord parfait entre la parole et la vie afin de ne pas tomber dans l’hypocrisie. Puisque personne ne peut s’épanouir exclusivement par soi-même, le dialogue implique aussi la communion avec l’autre, l’enrichissement et le soutien réciproque. Dans son dialogue avec l’homme, Dieu Se fait « nourriture » pour ce dernier, eucharistie. Et puisque nous sommes façonnés à l’image et à la ressemblance de Dieu, cela signifie que nous avons aussi cette capacité de devenir et de se faire « nourriture » spirituelle pour l’autre, par la vie que nous menons et par nos actes, à l’aide des dons (les talents) que Dieu a mis en chacun de nous, par nos vertus. Que je n’attende pas que l’autre se fasse « nourriture » pour moi, mais, au contraire, que je sois le premier à m’y efforcer. Heureux celui qui offre plutôt que celui qui reçoit, mais en même temps j’ajouterais : heureux aussi celui qui sait recevoir même quand il pense qu’il a suffisamment. « Celui qui croit être debout, qu'il prenne garde de ne pas tomber » dit le Saint Apôtre Paul2. Car quelle que soit la certitude qu’a celui qui s’autosuffit, cette certitude ne vient pas de lui, mais il l’a reçue des autres. Voici comment Père Staniloae souligne à quel point il est important de donner de l’attention aux autres et aussi d’en recevoir :

« Combien nous vivons  par l’attention des autres sur nous et inversement, par notre attention envers les autres, par la tension, par le cri d’après la communion, même si celle-ci n’est pas réalisée d’une manière totale, tout ça nous est indiqué par le fait que, quelque égoïste que soit notre vie, quel que soit le degré de notre préoccupation quant à la satisfaction de nos passions égoïstes, par tout ce qui est à notre disposition – même à travers la personne des autres – pourtant le souffle donateur de vie de nos efforts est la préoccupation pour l'opinion de l’autre, c’est la pensée permanente portée aux autres, à leur louange, à leur respect, aux yeux avec lesquels nous pensons qu'ils nous suivent, même si, en effet, ils ne nous suivent pas. Si quelqu’un a la certitude que personne ne le suit avec son attention, il ne pourra vivre, il lui manquera l’oxygène »3.

Dans la mesure où je me transforme en nourriture spirituelle pour l'autre, je m’approche de l'accomplissement de ma propre vie. Je me dois de souligner : de l'accomplissement de la vie, et non pas de son sens. Car le sens de la vie d'un homme est le dialogue dans l'amour avec Dieu et avec son prochain,  et tout ce qui découle de ce dialogue, n’est qu’un fruit qui amène à l’accomplissement et au perfectionnementde mon existence. Le support de ma vie est Dieu tout d’abord. Sans Lui, mon existence n'aurait aucun sens. Sans Lui, je n’existerais même pas. « L’amour est l'existence même » disait Père Staniloae4. De même, Saint Jean Damascène dit dans son livre dogmatique : « Élève-toi, à travers tous les êtres, à Moi, le Créateur, et cueilles de tout un seul fruit, Moi, la vraie vie. Que tous engendrent la vie, et que de la communion avec Moi tu fasses la fortification de ton existence. Ainsi tu seras immortel »5.

De ce fait, préférer la conversation au dialogue comme modalité constante de communication avec Dieu et avec les hommes signifie préférer une existence restreinte, pauvre et sans couleur, à une existence riche, saturée et multicolore. La conversation a, évidemment, son rôle, bien plaisant : tu peux t'en réjouir comme d'un souffle rafraîchissant lors d’une journée caniculaire, mais tout aussi vite elle va disparaître, comme le vent, qui ne laisse presque rien derrière lui.

« Restreinte à soi-même, explique père Dumitru Staniloae, la personne humaine se diminue à cause de l’impuissance à s'actualiser par soi-même, de réaliser toutes ses possibilités. Surtout, elle s’appauvrit en l'absence d'une réelle nouveauté, absolue, d'une spontanéité qui lui est procurée  seulement par la relation entretenue, dialogale et plénière, conviviale, avec ses proches : le fait de s’apercevoir, les uns et les autres, qu’on existe davantage. Et ça signifie que nous existons encore plus ». Seulement par une communication dans l'amour, la personne humaine se réalise pleinement, car l'humanisation est liée à la communion de plus en plus profonde entre les hommes. Si la personne est vie pour et à travers d'autres personnes, elle ne peut pas exister sans les autres. Les différences entre les hommes liées à l'unicité de la personne, au sexe, âge, culture et sang, réclament le dialogue et le partage, l'enrichissement et l'aide réciproque, car personne ne peut s'accomplir exclusivement par soi même ».6

Ainsi, le dialogue, la conversation ne sont que deux formes de communication parmi une multitude d'autres formes que l'homme peut aborder dans son rapport avec les autres et avec Dieu. La modalité plus ou moins profonde d'abord de cette communication (quelle que soit finalement la forme qu’elle prendrait) reste à la latitude de l'homme, en fonction de la mesure dans laquelle l’homme souhaite ou non s’y impliquer.

 Plus il s'implique, plus il s'accomplit lui-même. « Tu récoltes ce que tu sèmes » – dit un proverbe de la sagesse populaire – aussi bien sur la terre que dans l’éternité. Car si la mort concluait définitivement notre existence, tous ces besoins de communication et de communion avec l'autre et avec Dieu n’auraient pas de sens.

Nous possédons en nous même les gènes d'une nature qui réclame l’éternité et le sens véritable vers lequel tout notre être tend et qu’il recherche par-dessus tout, commence ici sur la terre, par ces formes de communication, et s’accomplit dans l'éternité. La qualité de ces formes dépend de chacun d’entre nous. 

« Il était une fois un vieil homme qui vivait près d'une oasis, à l'entrée d'une cité du Moyen Orient. Un jeune homme qui passait par là un jour, s'approcha et demanda au vieux :

« Je ne suis jamais passé par là. Comment sont les habitants de cette cité ? »

Le vieux lui répond par une question :

« Comment étaient-ils les habitants de la cité d’où tu viens ? »

« Égoïstes et méchants. C'est pour ça que je me réjouis d'avoir pu partir de là. »

« Les habitants de cette cité sont pareils » répondit le vieux.

Peu après, un autre jeune homme approcha de notre homme et lui posa la même question. Le vieux lui répondit avec la même question :

« Comment  étaient-ils les habitants de la cité dont tu viens? »

« Ils étaient bons et généreux, accueillant et honnêtes. J'avais beaucoup d'amis là-bas et nous nous sommes quittés avec beaucoup de chagrin. »

Le vieux répondit au jeune homme : « Les habitants de cette cité sont pareils »

Un marchand qui menait ses chameaux abreuver, entendait les réponses données par le vieux. Attendant que le dernier jeune homme s’éloigne, il se rapprocha du vieil homme et lui dit avec étonnement et reproche :

« Comment peux-tu donner deux réponses totalement différentes à la même question que deux personnes t'adressent ? Trouves-tu ça honnête ? »

« Mon fils, répondit, le vieillard, chacun porte le monde dans son propre cœur. Celui qui ne trouve rien de bon dans le passé, celui-là ne va trouver rien de bon ici non plus. Au contraire, celui qui a eu des amis dans une autre ville, va trouver des compagnons loyaux et de confiance ici aussi. Parce que, vois-tu, les hommes ne sont autre chose que ce que nous savons trouver en eux. » Et le marchand partit en réfléchissant profondément aux paroles du vieillard et trouva qu'il avait raison.7

Notes :

1. Dumitru Staniloae, Jésus Christ ou la Restauration de l’Homme, Ed. Omniscop, 1993, p. 25.
2. I Corinthiens 10,12.
3. Dumitru Staniloae, Jésus Christ ou la Restauration de l’Homme, Ed. Omniscop, 1993, p. 27.
4. En parlant de personnes de la Sainte Trinité, le Père disait : « Ils ne peuvent être qu'ensemble depuis toujours. L'amour n'est pas avant eux et ni l'inverse. Elles (les personnes de la Sainte Trinité) sont la structure éternelle de l'amour. L'amour est l'existence même. », Dumitru Staniloae, La Théologie Dogmatique, vol. I,  p. 294.
5. Saint Jean Damascène, La Dogmatique, chapitre : Sur le Paradis, Ed Scripta, 2004, p. 58.
6. Teodor Bakonsky, Bogdan Tataru-Cazaban, Dumitru Staniloae ou le paradoxe de la théologie, Ed. Anastasia, Bucarest, 2003, p. 197.

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