Ajouté le: 8 Octobre 2010 L'heure: 15:14

La rouée vers les solutions rapides

« Les hommes n’ont plus le temps de rien connaître. »

(Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry)
 

La rouée vers les solutions rapides

Il y a maintenant quelques mois, ma sœur a été embauchée par la filiale d’une grande compagnie française, implantée à Bucarest. Elle a rempli toutes les obligations de son contrat, ayant participé vivement aux projets dans lesquels elle avait été sollicitée ; malgré tout, elle a été licenciée à peine quelques semaines plus tard. La raison : elle n’avait pas montré suffisamment d’enthousiasme. Sa hiérarchie ne pouvait pas comprendre qu’il y avait aussi des personnes discrètes, essayant de bien travailler, des personnes qui avaient besoin de temps pour prendre l’initiative de montrer tout leur savoir faire.

Nous vivons à une époque où « l’attente ne vaut pas un rond »1, comme dirait la publicité d’une compagnie offrant la possibilité (contre coût, bien évidemment) de décharger des données sur internet à une vitesse impressionnante. Quand on appelle quelqu’un sur son portable et il arrive que la personne ne décroche pas, nous sommes immédiatement agacés. Nous le harcelons ensuite avec des messages car nos problèmes sont toujours « urgentes ». Habitués comme nous sommes à avoir tout, presque instantanément, comme les informations sur Google, il nous arrive même, parfois, de prétendre aux autres de se mettre à notre disposition, chaque fois dont on en a besoin. Bien des fois aussi, nous protestons contre Dieu Lui-même parce qu’Il tarde à nous donner ce qu’on Lui demande. Et lorsqu’on nous conseille d’avoir patience, notre prière devient : « Seigneur, donne-moi de la patience, MAINTENANT ! »

En même temps, nous sommes de plus en plus irrités à cause de ceux qui ne montrent plus de patience envers nous. Plus grave encore, nous n’avons plus de patience avec nous-mêmes. Nous renonçons à nous accorder le temps de relève après les échecs, de nous remettre suite aux épreuves, de guérir nos blessures ; nous nous engageons dans le prochain assaut comme ensorcelés, assaut qui, selon nous, amènera l’accomplissement. Car « l’homme contemporain est celui toujours pressé d’agir. Notre civilisation entière est une “course vers l’agir” - et l’être se retrouve exactement au point où il était avant de démarrer »2.

« Voici, je me tiens à la porte et je frappe » (Ap. 3, 20)

Quand nous nous rendons compte qu’après toute cette course essoufflée, nous n’avons aucun résultat, nous appelons alors Dieu en aide. Sous le prétexte de l’obéissance, il peut nous arriver de glisser aussi dans l’autre extrême : l’attente passive, qui peut basculer soit dans la rêverie ou l’ennui, soit dans la paresse. Parfois nous devenons « pieux », nous écrivons des acathistes à tout-va et nous supplions tous les saints. En fait, nous passons d’une course extérieure à une agitation intérieure car notre prière devient : « Seigneur, donne-moi ! Seigneur, que MA volonté soit faite ! ». Nous parlons à Dieu comme à un mécène ou un roi qui devrait accomplir tous nos désirs et arranger les choses de sorte « qu’il nous aille bien ».

Il existe en nous, pourtant, une sorte d’intuition spirituelle que même cette agitation n’arrive pas à étouffer, intuition qui nous fait sentir que notre attitude n’est pas la bonne. Une amie m’écrivait il y a quelque temps : « je pense à la façon dont j’attends que Dieu m’offre tout ce dont j’ai besoin, sans le moindre effort de ma part. Et je parle d’un effort intérieur et non de grandes actions incroyables. Que mon cœur change, qu’il devienne humble et ma pensée pure ! ».

Est-ce que la pensée peut devenir humble et pure si l’être ne laisse pas le Seigneur entrer dans son cœur ? Lui, le Seigneur, se tient à la porte et frappe. Mais est-ce que le novice, aspirant au monachisme, entend-il toujours ce signe, lui, toujours préoccupé à trouver sa place et à passer d’un monastère à un autre ? Ou le jeune homme qui,  abasourdi à la recherche de l’amour ou du désir de se marier, après chaque échec, il est pressé de faire une nouvelle connaissance, sans attendre que son âme retrouve la tranquillité après la tempête ? Il est triste de voir que nous sommes tellement fatigués de se soucier chaotiquement pour nous-mêmes, tellement fatiguées que lorsque, finalement, nous entendons frapper à notre porte, nous n’avons plus la force d’ouvrir…

Et pourtant nous n’avons pas une autre chance que de crier, du point même où nous nous trouvons, avec les forces qui nous restent, « agis avec ton serviteur selon ton amour, apprends-moi tes volontés » (Ps. 118, 124). Mais pour cela, il nous faut être prêts à accepter qu’ « il est indispensable d’avoir un rythme, de savoir refuser, de savoir agir “lentement” »3, de reconnaître que …

« Il est temps d’agir, Seigneur » (Ps. 118, 126)

… et que ces paroles ne signifient pas du tout de la passivité. Ces paroles-là, lorsqu’elles sont prononcées par le diacre avant la Divine Liturgie, se retrouvent sous la forme « il est temps d’agir pour le Seigneur ». Et cela ne concerne pas uniquement les prêtres célébrants, mais chacun d’entre nous. Car pendant que le Seigneur est à l’œuvre dans la Liturgie, nous aussi, nous sommes appelés à prendre conscience que notre destin est celui d’être co-célébrants, d’être vivants, mais à un niveau plus profond et vrai que celui visible. En répondant à l’appel « soyons attentifs », nous commençons à désirer « en paix à prier le Seigneur » ; c’est ainsi que nous nous détachons doucement des « soucis de ce monde ». Une fois acquis ce rythme intérieur, nous prenons conscience des souffrances des autres également et ce n’est plus difficile de « nous aimer les uns les autres ». En communion, « nous remercions le Seigneur » et nous décidons d’« élever nos cœurs ». Nous devenons disponibles pour le Seigneur, lui permettant d’œuvrer avec nous. Nous ne lui demandons plus uniquement de nous aider, mais nous osons à emprunter le même chemin que Lui.

Il me semble que la chose la plus difficile commence précisément ici. Car « nous pouvons invoquer le nom du Seigneur et le Seigneur peut nous aider. Mais s’Il ne nous connait pas ? Si nous n’avons pas changé intérieurement ? »4 Cette transformation suppose du courage. Qu’arrivera-t-il si nous nous laissons regardés par Lui ? Peut-être serons-nous troublés au début, mais ensuite, nous ferons probablement confiance et nous comprendrons, dans la lumière de Son regard, que nous avons besoin que le Docteur des âmes intervienne et nous prescrive un long traitement. Si notre maladie est dans un état avancé, l’anesthésie n’agira pas et l’intervention sera douloureuse, malgré tout l’amour et la douceur apportés. Une fois saisis, il va falloir lutter contre la tentation de retourner « à nos affaires » et abandonner le traitement. Il faut cependant s’interroger sur le risque couru si nous accordons à Dieu tout notre temps et Lui permettons de nous connaître. Peut-être aurons-nous l’intuition de « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme » et que « Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment » (1 Cor. 2, 9) ? Ne serait-ce pas la joie dont le Seigneur nous disait que « nul ne vous l’enlèvera » (Jean, 16, 22) ? Et qui n’aimerait pas être dans la joie ?

Bogdan Grecu, Belfast

Notes:

1. « Waiting sucks ! » dans le texte.
2. Le Journal du Père Alexander Schmemann, le 20 décembre 1979, dans l’édition roumaine. Curieusement, dans l’édition francaise ce paragraphe n’apparaît pas.
3. Ibid., le 30 septembre 1977. La phrase continue: « Pourquoi les étudiants „n’assimilent-ils” pas ce qu’on leur „enseigne” ? Parce qu’ils n’ont pas le temps de „comprendre”, c’est-à-dire de revenir sur ce qu’ils ont entendu, de pouvoir s’en pénétrer vraiment. »
4. Mère Siluana Vlad, dans sa conférence adressée aux jeunes au Congrès Nepsis de Rome, le 25 septembre 2010.

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