Le pèlerinage dans l’église primitive (I)

publicat in Page d'histoire pe 8 Juillet 2010, 10:01

Le pèlerinage, compris comme un voyage privé ou collectif vers un lieu sacré, est une forme de culte et de dévotion très répandue dans les religions antiques, intensément pratiquée jusqu’à notre époque. Même si chaque religion présente des particularités importantes concernant le temps, la modalité et la signification du pèlerinage, l’idée de base est commune et met en évidence la nécessité de visiter des lieux considérés comme „habités” par la divinité, sous diverses formes, des objets sacrés appartenant à des fondateurs de religions, des reliques de saints et martyrs et même des lieux reliés à des événements particuliers. Il semble que cette pratique du pèlerinage local, assez répandue dans le monde de l’antiquité, ait pour raison principale la distance entre le lieu où habite le pèlerin et l’endroit qu’il se propose d’atteindre. Cet élément nous rappelle l’origine latine du terme peregrinus (peregrinatio, peregrinor), transmise dans beaucoup de langues européennes (italien pellegrino, pellegrinaggio ; français pèlerin, pèlerinage ; espagnol peregrino, peregrinaciòn ; anglais pilgrim, pilgrimage ; allemand Pilger, Pilgerfahrt ; roumain pelerin, pelerinaj). D’un point de vue étymologique, le terme se réfère à quelqu’un qui s’éloigne de sa propre contrée (pays ou localité) et vit en tant qu’étranger dans un autre lieu. Les grecs faisaient appel, afin d’exprimer ce concept, à des termes divers comme : αποδημειν (αποδημια, εκδημειν, εκδημια) pour exprimer l’éloignement de ses propres terres et ζενος (ζενιτεια) afin d’indiquer l’étranger. Parfois le terme de peregrinus était aussi considéré comme un synonyme d’exilé, comme l’atteste Cicéron. A commencer même par l’antiquité, le mot latin subit un lent changement sémantique, dans la direction de sa signification actuelle : voyageur vers les lieux saints, dans le but de la dévotion. Cette mutation sémantique a été favorisée par la conception présente dans l’Ancien et le Nouveau Testament et, tout particulièrement, dans l’Epître à Diognet (IIème siècle), selon laquelle le chrétien est un étranger sur cette terre, toujours en pèlerinage vers sa véritable patrie céleste. Dans la nouvelle acception, de voyageur vers les lieux saints dans des fins dévotionnelles, le terme est attesté à partir de VIIème siècle, dans quatre représentations trouvées sur les murs du lieu de culte de St. Michel de Gargano (Italie).

En ce qui concerne la pratique du pèlerinage avant l’arrivée du Sauveur, nous savons que chez les vieux égyptiens elle était largement répandue, ils se rendaient par exemple à Bubasti, d’après le témoignage d’Hérodote. Les indiens, dans les temps anciens comme de nos jours, se dirigeaient vers la rivière sacrée du Gange, pendant que les japonais aimaient se rendre au temple d’Amaterasu. Dans le monde classique païen, le pèlerinage n’avait pas seulement un caractère dévotionnel, mais avait aussi l’objectif de réaliser des buts précis comme celui d’obtenir des réponses d’oracles ou des guérisons miraculeuses; en Grèce, des centres de pèlerinage étaient les temples et les tombes des héros; à l’époque romaine, les pèlerins se dirigeaient vers les sanctuaires de divinités comme Zeus et Diane.

En ce qui concerne le pèlerinage dans le christianisme primitif, par comparaison à d’autres formes de culte et de dévotion, celui-ci a pour fondement initial la tradition hébraïque et biblique et s’enrichit par des motivations ultérieures, en se développant selon des exigences, des modalités et des formes nouvelles, liées étroitement aux particularités du christianisme et à la manière dont ces particularités se sont implantées dans des réalités sociales diverses.

Par conséquent, des motifs de natures diverses se rencontrent et vivent dans le pèlerinage, que ce soit d’ordre religieux et cultuel ou bien spirituel, des motifs culturels, psychologiques, sociologiques, topographiques et économiques, qui réussissent à le maintenir comme un phénomène vivant, dans une évolution constante et avec des manières différentes d’interpréter le besoin et l’impulsion intérieure de ceux qui le pratiquent.

Enracinée dans l’Ancien et le Nouveau Testament, la simple visite à Jérusalem et dans d’autres lieux sacrés, entreprise par les Hébreux et les chrétiens, représente le fondement culturel et historique du pèlerinage chrétien, qui, comme on le sait, a eu comme première aire de développement l’Orient et surtout Jérusalem. Cela est montré même par le père de l’histoire de l’Eglise, Eusèbe (265-340), qui relate que, peu après l’an 200, un évêque nommé Alexandre, quittant la région de Cappadoce, a entrepris un voyage à Jérusalem dans le but de prier et de connaître (ευχης και.... ιστοριας ενεκεν) les lieux saints. Si l’information porte effectivement sur un vrai pèlerinage au sens propre, alors (selon l’opinion d’un chercheur) c’est un cas isolé, puisque la conscience d’un pèlerinage aux lieux saints (ad loca sancta) n’était pas encore formée. N’oublions pas le statut des chrétiens dans l’Empire Romain d’avant 313, qui n’était pas parmi les plus privilégiés. En plus, la destruction de Jérusalem en 70 et sa reconstruction comme ville païenne n’offrait pas le cadre adéquat pour un tel voyage. Pourtant, parmi les personnages illustres qui ont entrepris au Ier et IIème siècles des voyages à Jérusalem ou en Orient afin de s’informer sur des aspects particuliers du christianisme on compte Méliton de Sardes et Origène, mais leurs voyages ne peuvent pas être considérés comme des pèlerinages à proprement parler, parce que la motivation historique prévalait sur la motivation dévotionnelle et spirituelle. On ne peut pas non plus considérer comme des pèlerinages les visites rendues aux tombes des martyrs et surtout le jour de leur mort, pendant la période pré-constantinienne. On rencontre ce phénomène dans cette période à Rome, et il est rapporté dans de nombreuses inscriptions laissées par les visiteurs, par exemple sous le mur dit « g » de la crypte St. Pierre à Vatican et dans le complexe dit « de Triclie » sub memoria Apostolorum de via Appia, à présent l’église St. Sébastien. Dans ce dernier lieu, considéré comme la sépulture temporaire des Saints Apôtres Pierre et Paul, entre la moitié du troisième et le début du quatrième siècle, il semble avoir existé un centre de culte funéraire, où les deux Apôtres étaient commémorés par les visiteurs. Ces visiteurs consommaient à cet endroit une nourriture rituelle et laissaient une trace de leur présence. Selon certains spécialistes, dans ces endroits ainsi qu’à d’autres endroits similaires, qui nous ont fourni des inscriptions épigraphiques, il y avait une sorte de fréquence cultuelle qui ne semble pourtant pas avoir le caractère d’un pèlerinage.

Un moment crucial dans l’histoire du pèlerinage chrétien est représenté sans doute par l’édit de Milan (313), par lequel on reconnaît la liberté de culte des chrétiens et on change le statut de l’Eglise dans la société de l’époque. Après avoir été nommée auguste, et après la construction de Constantinople, Ste. Hélène, la mère de l’empereur Constantin, entreprend dans les mois de janvier à mars 326 un voyage aux Lieux Saints. En souhaitant voir les lieux du Nouveau Testament, elle a appris que sur le Golgotha il y avait, en dessous des ruines du Capitole construit par l’empereur Adrien (117-138) et détruit par Constantin après sa victoire sur Licine, la Croix du Sauveur. En effet, les fouilles entreprises dans ce lieu ont découvert la Croix du Sauveur. L’empereur Constantin a ordonné la construction d’une église dans ce lieu, église qui sera plus tard appelée du Martyre. Pendant les travaux, dans la partie occidentale, on a aussi découvert le Sépulcre du Sauveur, où l’on élèvera quelques années plus tard l’église de la Résurrection (Anastasis). L’empereur Constantin a continué de faire bâtir de nouveaux édifices pour les chrétiens, à côté de ceux que nous venons de mentionner, qui représentent un seul complexe ecclésial, et en plus une église sur le Mont des Oliviers, une autre à Bethléem, au-dessus de l’endroit où est né le Christ Sauveur, et quelques années plus tard, au chêne de Mamvré, le lieu où Abraham a reçu la visite des trois envoyés de Dieu (Genèse 18).

Selon l’opinion d’un spécialiste, (Giorgio Otranto), la naissance et la diffusion du pèlerinage chrétien sont dues surtout aux changements historiques plutôt qu’à une nouvelle mentalité. Celui-ci souligne que tout changement de mentalité nécessite du temps, afin d’assimiler certaines conceptions; en revanche, le pèlerinage chrétien se développe surtout après la paix de l’Eglise, en tant que réponse à la nécessité alimentée depuis longtemps par les lectures bibliques, de visiter les lieux saints où a vécu et a accompli son œuvre le Christ Sauveur.

Déjà dans son travail Demonstratio evangelica, composée entre 314 et 320, Eusèbe affirme, non sans enthousiasme, que tous les croyants en  Jésus Christ venaient de tous les coins de la terre, dans la Cité Sacrée, mais non comme avant, juste pour admirer sa beauté et pratiquer le culte dans le temple, mais pour prier sur le Mont des Oliviers, où S’est arrêté et a prié le Sauveur, et où, d’après les Actes des Apôtres (1, 9. 12), Il est monté aux cieux. En parlant du voyage de Sainte Hélène à Jérusalem, (De vita Constantini), Eusèbe souligne le fait que la mère de l’empereur voulait non seulement visiter les Lieux Saints, mais aussi prier en ces Lieux. De l’Onomasticon du même Eusèbe nous apprenons aussi que certains chrétiens y allaient non seulement pour prier mais aussi pour recevoir le baptême.

Les nombreuses informations d’Eusèbe concernant le pèlerinage chrétien, montrent un flux modéré de pèlerins vers Jérusalem et d’autres lieux saints de la Palestine, à la moitié du quatrième siècle.

A la même époque précisément, et plus exactement, à partir de l’an 333, il y a une histoire sur un pèlerinage chrétien ad loca santa (aux lieux saints). Dans cette histoire, un pèlerin anonyme de Burdigala, à présent Bordeaux en France, décrit un long voyage (aller-retour) de la Gaule vers la Palestine par l’Italie, pendant laquelle on note les principales auberges et cités (mansiones e civitates), situées sur les principaux chemins consulaires traversés. On s’attarde bien peu sur les lieux plus ou moins éloignés de la Terre Sainte, en revanche on prête beaucoup d’intérêt aux lieux liés à la Personne du Sauveur, pour d’autres personnages et moments de l’Ecriture reliés aux endroits visités; ne manquent pas non plus les informations liées aux quatre églises édifiées par l’empereur Constantin. L’auteur affirme, entre autre, avoir vu aussi le pilier contre lequel le Sauveur avait été flagellé. A commencer par la fin du XIVème siècle, le souvenir de ce pilier est enrichi de nouveaux motifs, parmi lesquels des traces et des signes laissés par le Christ Sauveur Lui-même, et donne naissance à des descriptions détaillées, signe de l’intérêt croissant pour les reliques de la Passion.

C’est l’époque à laquelle St. Ambroise attribue à Hélène la découverte de la Sainte Croix et des clous de la crucifixion du Sauveur. Cette information, que l’on ne retrouve pas dans Itinerarium Burdigalense, ni chez Eusèbe, qui a été préoccupé par le pèlerinage de Sainte Hélène, confirme l’existence d’un intérêt évident pour les reliques de la Passion, et spécialement pour la Sainte Croix, dans la seconde moitié du quatrième siècle. Porphyrios, évêque de Gaza, qui a vécu entre la deuxième moitié du quatrième siècle, et le début du cinquième, avait l’habitude d’aller de temps en temps à Jérusalem pour vénérer les lieux saints et la précieuse Croix.

Ainsi, au besoin de se mettre en contact physique avec les Lieux Saints, de les connaître et d’y prier, s’ajoutait la tendance de matérialiser les éléments de la narration évangélique de la Passion et le désir de se procurer des reliques, des objets, qui d’une façon ou d’une autre, même indirectement, ont touché le Sauveur, et par là étaient considérés comme ayant des vertus thaumaturgiques.

Une autre étape importante dans l’histoire du pèlerinage chrétien est constituée par l’Itinerarium Egeriae, le journal d’une dame (Egérie, ou Etérie) qui a probablement entrepris un tel voyage entre 381 et 384 et qui voulait reconstituer certaines des étapes importantes de l’histoire du salut: la cible finale est Jérusalem, avec une description détaillée du cycle liturgique qui s’y déploie. A côté des motifs originaires et consolidés d’une visite accompagnée de prières, sur les lieux de l’Ancien et du Nouveau Testament, consacrées au Seigneur, on trouve d’autres motifs qui montrent l’existence d’un pèlerinage plus ample: la présence d’un guide (deductores sancti) qui accompagne Egérie; la visite des communautés monastiques et les rencontres avec des moines; la visite aux tombeaux des martyrs, qui constitue une caractéristique importante du pèlerinage chrétien, en Orient ou en Occident.

A toutes les étapes de la visite d’Egérie on peut observer la connexion étroite entre le pèlerinage et la célébration liturgique, d’un côté, et le pèlerinage et la lecture des textes chrétiens, de l’autre: « Nous avons aussi célébré ici (sur le Mont Horeb) l’Eucharistie, nous avons fait une prière très ardente et nous avons également lu le passage correspondant du livre des Rois; pour nous le plus cher désir était, une fois arrivés au lieu en question, de lire toujours un passage de la Bible ».

Cette corrélation continuelle entre le pèlerinage, la lecture biblique et l’acte de culte, avait une signification tout à fait particulière à Jérusalem, évoquant à nouveau d’une façon dramatique le triomphe du Christ, dans les lieux-même où il s’est accompli, et donnait la possibilité au pèlerin de revivre les mêmes étapes de la vie du Christ Sauveur, à la lumière des lectures bibliques. Par ce processus de ritualisation du drame de la Passion et de la Résurrection, le pèlerinage intérieur et le pèlerinage extérieur ne font qu’une seule expérience, qui a stimulé l’intérêt pour la Terre Sainte et a attiré beaucoup de fidèles.

 
P. Alexandru Dan Nan