Ajouté le: 1 Mai 2022 L'heure: 15:14

Le linge de l’amour

« Efface toute tâche et souillure de nos âmes, afin que, lavés de la fange qui adhère à nous du fait de nos péchés et essuyés avec le linge de l’amour, nous puissions te plaire tous les jours de notre vie et trouver grâce à tes yeux. »1

En lavant les pieds de ses disciples, le Seigneur nous a enseigné ce geste qu’Il attend de nous : non pas le seul geste matériel de prendre un linge pour en laver les pieds de notre prochain, mais celui de nettoyer la poussière, la saleté, les débris du péché que nous voyons chez notre frère, et que lui voit en nous. Jour après jour nous voyons le péché de notre prochain, la poussière de son péché que le Seigneur nous exhorte de nettoyer avec le linge, le chiffon de l’amour.

Laver les pieds de notre frère. Il ne s’agit pas là d’un simple mouvement, ni même d’un rituel que nous accomplissons le Jeudi Saint, mais c’est un geste qu’il revient à chacun d’entre nous de s’approprier à chaque instant et d’accomplir en profondeur, car « l’homme spirituel cache les fautes d’autrui, comme Dieu protège le monde, comme le Christ lave de son sang notre péché, comme la Mère de Dieu étend sur les hommes le voile de ses larmes »2, écrit Olivier Clément. Nous ne pouvons communier aux Saints Mystères sans nous pardonner les uns les autres. Or si après avoir communié nous sommes encore assaillis par le souvenir de ce que l’autre nous a fait la veille, il s’impose à notre cœur d’aller confesser aussi rapidement que possible le fait que nous nous sommes approchés du saint calice sans avoir pu pardonner notre frère. Mesurons quel travail, nous, chrétiens, devons faire quotidiennement en nous-mêmes pour parvenir à laver le péché de l’autre, que nous voyons, à le bien nettoyer de l’amour que nous ignorons même avoir. Avons-nous ce linge ? Il se peut que nous soyons dans l’impossibilité de nettoyer, étant dépourvu d’amour, car « le pardon est un acte d’amour, rappelle le Père Dumitru Stăniloae. Si je pardonne à quelqu’un, je commence à l’aimer »3.

Gagner ce linge de l’amour est œuvre délicate et malaisée. En effet, essuyer est aisé – dire de ses lèvres l’est tout autant. Pourtant, toutes les luttes qui s’élèvent en notre âme pour effacer les fautes de notre frère sont redoutables, mais doublées de beaucoup de grâce. Ce sont de véritables guerres – notre âme en est le champ de bataille.

Notre âme, depuis l’aurore de notre venue en ce monde jusqu’à son crépuscule, est le front où se mène une guerre effroyable, celle de notre lutte sans trêve pour pardonner. Or nous ne sommes pas seul dans cette guerre. Dans toute guerre, celui qui part au front doit être ravitaillé, recevoir le nécessaire pour survivre et être encouragé afin ne pas abandonner le combat. Dans notre guerre intérieure, nous sommes nourris du puissant ravitaillement que le Christ nous octroie, qu’Il nous a imparti le jeudi avant sa Passion : son Corps et son Sang. « Vous ferez ceci en mémoire de moi. À chaque fois que vous boirez de ce sang et mangerez de ce pain, vous annoncerez au monde ma mort et ma résurrection. »4

Le Seigneur, durant sa vie terrestre, a tout pardonné. Du haut de la croix où Il était suspendu, sous les coups des soldats romains, face aux moqueries du peuple Israël, rien n’a pu endurcir son cœur ni L’empêcher de pardonner. Même Judas, dont Il se savait vendu, Il ne l’a pas exclu des douze jusqu’au dernier instant. Et après cela, même en ayant vendu le Seigneur, Judas aurait pu recevoir le pardon s’il l’avait demandé.

Le Fils de Dieu, humilié et tourné en dérision pour notre péché, nous transmet un don très particulier que la foi vient affermir : la capacité, porteuse de grâce, d’être humilié devant tout le monde, d’être abaissé, continuellement avili sans chercher à se venger. Or notre attitude humaine est de ne nous humilier d’aucune manière. Nous nous raidissons comme une poutre qu’on ne peut plus courber et passons aux abords de notre frère en lui lançant l’un de ces regards qui lui donnerait envie de s’enfouir sous terre, et nous l’avons dévoré. Nous pensons ainsi fièrement affirmer qui nous sommes. Est-ce ainsi que le Seigneur s’est comporté ? Et nous, chrétiens, nous faisons cela. Devant l’Humilié, nous parvenons encore à nous tenir fièrement et méditant vengeance. Nous ne sommes pas encore de ceux dont Il dit : « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis. »5 Alors qu’allons-nous apprendre aux autres ? Si quelqu’un d’une autre foi vient nous provoquer, nous l’affrontons. Nous sommes loin de réaliser la parole de l’Évangile, nous sommes à peine dans l’Ancien Testament ! Même dans les monastères, ne croyez pas que nous soyons des saints. Nous traversons des luttes intérieures absolument terribles. Il suffit que l’autre nous effleure du bout du doigt pour que nous sautions au plafond et ne le regardions même plus, que nous ne puissions plus même poser notre regard sur lui, que nous passions à côté de lui des jours durant sans pouvoir lui adresser la parole. Nous ne le regardons plus, cette personne n’existe même plus pour nous. Et nous pensons nous montrer ainsi plus forts que lui. Nous agissons de la sorte en famille, dans le monde, et même au monastère. Bien sûr que nous finissons par nous retourner, puisque nous luttons, mais nous ne parvenons que très difficilement à vaincre notre orgueil et à nous courber devant notre prochain et lui dire : pardonne-moi, j’ai mal agi.

Or, le pardon ne se demande pas simplement des lèvres. Celui qui demande pardon des lèvres recommence à s’offusquer dès qu’il observe que l’autre ne le lui a pas demandé en retour, et de cette humilité formelle surgit l’orgueil de manière plus brutale encore. D’une humilité feinte, non authentique, l’orgueil resurgit plus puissamment. Nous devons donc être très attentif à ce qui se passe dans notre âme et de quelle manière. Tel doit être notre baromètre quotidien : Comment me suis-je conduit aujourd’hui face à mon frère ? Suis-je passé devant lui sans le voir, sans lui prêter attention ? Ai-je levé les yeux du côté opposé feignant de regarder autre chose lorsque je l’ai croisé ? Ai-je cherché à me venger ou à le pénaliser du fait qu’il m’ait semblé qu’il n’aurait pas agi selon ma volonté ? Et Saint Sophrony de nous rappeler que « devant chaque personne, nous devons être prêts à accomplir sa volonté plutôt que la nôtre »6. Nous devons garder tout cela à l’esprit, car il nous semble trop facilement que nous aurions eu raison de nous fâcher contre notre frère.

Mais voilà que le Seigneur nous enseigne une autre attitude. Face à Pierre ou à d’autres disciples qui se détournèrent de Lui, Il eut la patience d’attendre leur retournement intérieur. Nous ne sommes jamais seuls. Ayant le Christ en nous, étant porteurs du Soleil de justice – Lumière de notre vie, nous pouvons tout affronter, même si l’esprit d’orgueil nous fait la guerre, l’esprit qui refuse de pardonner, de s’incliner devant son frère. Étant du Christ, avant que le soleil ne se couche nous devons échapper à cet esprit. Et si le soleil se couche sans que nous ayons pu pardonner, nous devons le dire en confession à la première occasion. « Que le soleil ne se couche pas sur votre colère ! »7 Contemplant le soleil matériel, prenons garde à ne pas risquer de manquer l’Inextinguible.

Le Seigneur nous a tout donné pour que nous puissions vaincre. Les armes véritables sont Son humilité, et Lui-même qui se donne en nourriture pour nous affermir et nous permettre de vaincre toutes les tentations qui nous viennent de notre prochain. Et enfin, Il nous a laissé le linge de l’amour, qu’il nous suffit de vouloir prendre pour laver et effacer tous les péchés de notre frère, eux qui s’impriment en nous. C’est le comble ! Je me souviens si bien du péché de mon frère qu’il finit par s’imprimer en moi et me faire du mal. Ainsi, pour me déshabituer à l’imprimer en moi et afin de l’essuyer de mon frère, il faut d’abord que je l’essuie de ma propre âme et de mon propre cœur, puis des siens, avec ce linge de l’amour que le Seigneur nous a légué dans Son amour inconditionnel. C’est la cime de l’humilité à laquelle le Christ nous appelle.

† Le Métropolite Joseph

Notes :


1. Triode, Jeudi Saint, prière après le lavement des pieds.
2. Olivier Clément, Sources. Les mystiques chrétiens des origines. Textes et commentaires, réédition, Desclée de Brouwer, 2008.
3. Marc-Antoine Costa de Beauregard, Dumitru Stăniloae, Ose comprendre que Je t’aime, Cerf, Coll. Patrimoines, Paris 2008.
4. Cf. 1 Co 11, 25-26.
5. Cf. Jn 15, 15.
6. Archimandrite Sophrony, De Vie et d’Esprit, Cerf, Le Sel de la terre, 1992, 1993, 1995.
7. Eph 4, 26.

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