Le lavement des pieds (Jean 13) (1)

publicat in Lexique liturgique pe 7 Mars 2022, 15:30

Tout lecteur quelque peu assidu des Évangiles le sait : les péricopes afférentes au repas pascal, à l’institution de l’Eucharistie se trouvent dans les synoptiques (Mt 26, 26-29, Mc 14, 12-25), ainsi que dans 1 Co 11, 23-26.  Et le choix de Saint Jean le Théologien de ne point nous transmettre ce même récit, tel que cela l’avait été avant lui, ne peut que nous rendre davantage attentifs – si tant est que l’on puisse n’être pas fascinés par la totalité théologique du Quatrième Évangile ! – à la densité du chapitre 13. Comme toujours, la Tradition de l’Église, la Liturgie par laquelle elle nous enseigne, élève nos regards au plus haut. Le synaxaire du Grand Jeudi n’affirme-t-il pas : « Le saint et grand jeudi, comme nos Pères nous l’on prescrit, selon la tradition reçue des Apôtres divins et des saints Évangiles, nous célébrons les quatre mystères suivants : le Lavement des pieds, la Cène mystique, la Prière suprême du Christ et la Trahison de Judas. » Le chapitre 13 : celui du lavement des pieds, celui de la trahison de Judas, constitue aussi le commencement de la seconde partie du quatrième évangile. Alors que les douze premiers donnent un récit de la révélation du Christ devant le monde, les chapitres 13 à 20 présentent, eux, la révélation de la gloire du Christ devant les Siens.1 Le début du récit nous saisit par la force d’une sorte de prologue : « Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout. Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture. »2

Nous n’avons pas affaire à un rituel sacral et purificatoire

Ce récit, ce témoignage, se situe, en un sens, aux antipodes des rites sacraux et purificatoires que nous pourrions rencontrer dans le Pentateuque, dans le livre de l’Exode par exemple, lorsque Yahvé donne à Moïse les instructions suivantes : « Tu feras pour les ablutions un bassin de bronze à socle de bronze ; tu le mettras entre la Tente du Rendez-vous et l’autel, et tu y mettras de l’eau, avec quoi Aaron et leurs fils laveront leurs mains et leurs pieds. Quand ils entreront dans la Tente du Rendez-vous, ils se laveront avec de l’eau afin de ne pas mourir ; de même, quand ils s’approcheront de l’autel pour le sacrifice (…) ils laveront leurs mains et leurs pieds, afin de ne pas mourir. »3relative dating weatheringhttps://apostolia.eu/index.php/casual-dating-engl/hook up intentionssouth indian dating sites

Le dévoilement d’un des sens les plus profonds de ce lavement des pieds nous est donné, dès les trois premiers versets, déjà cités, de ce chapitre 13. Nous sommes comme élevés, en une suite vertigineuse d’affirmations, nous sommes comme introduits dans le mystère de la Kénose du Christ Pantocrator : Il nous prépare à Sa Pâque, puisque Son heure est désormais venue, l’heure de passer de ce monde à Son Père, l’heure de faire retour par Sa mort librement consentie en ce Père qu’Il n’a jamais quitté. Sa mort volontaire est accomplissement de Sa mission, elle met fin à Sa présence incarnée, ouvre Son élévation vers Son Père. Et, comme si cette acceptation volontaire du trépas ne suffisait pas à nous faire comprendre la force de cet Amour qui se déploie dans le dépouillement et par lui, il faudra encore que le Christ se dévête jusque de Ses vêtements pour pouvoir nous introduire dans Sa gloire, en intervertissant les symboles du maître et ceux des gens ordinaires et, de façon plus profonde encore, en nous faisant entrevoir Sa Pâque sur la Croix, au cours de laquelle Il Se laissera dépouiller de ses vêtements8.

Le face à face du christ et de saint pierre

Les gestes du Christ, au cours de ce repas, induisent une vive réaction de la part de l’apôtre Pierre. Il n’y a pas entre eux de dialogue stricto sensu, nous ne sommes pas en présence de deux paroles, de deux raisons (logos) qui parviendraient à se compénétrer (dia). Un dialogue demeure pour un temps impossible, et cela ne tient pas à la psychologie pétrinienne, quelque impulsive et généreuse, aimante et erratique qu’elle se manifeste ici aussi. Le malentendu ne procède pas de la psychologie, mais d’un cœur qui ne s’est pas encore laissé convertir par l’Inattendu de Dieu. Jean Zumstein écrit avec pertinence que « L’image que Pierre se fait du Christ ne tolère aucune idée d’abaissement ou de service »9. Le coryphée des Apôtres ne peut accueillir cette inversion des rôles dont il est le témoin décontenancé et quelque peu scandalisé : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? »10. Et dans Sa réponse, le Christ ne tente aucunement de convaincre Pierre du bien-fondé de Son geste, Il n’entreprend pas de corriger l’image que l’apôtre s’est faite de Lui : Il concède au contraire que le sens des gestes accomplis ne pourra être saisi que plus tard, après coup, après la sidération devant le tombeau vide, avec la compréhension de la plénitude lumineuse et victorieuse de ce vide, compréhension rendue possible par l’action de l’Esprit-Saint. La pleine intelligence du sens du lavement des pieds ne pourra sourdre qu’au pied de la Croix glorieuse et salvifique. En revanche, le Christ dit à Pierre ce que ce dernier peut entendre sans, à ce moment-là, comprendre : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »11. En effet, il n’y a pas d’égalité, de réciprocité, dans la relation qui vient d’être signifiée et instaurée. Si Pierre avait lavé les pieds du Christ, cela n’aurait rien changé de l’image que Pierre se faisait de son maître. Rien de ce qui se noue et se joue dans cette scène du lavement ne serait advenu si un autre que le Christ s’était « abaissé » : seule la kénose du Maître et Seigneur, dans l’acte de laver les pieds, comme quelques jours plus tard dans l’élévation de la Croix, donne le Sens, indique le Chemin, révèle la Vie. Tant que je n’accepte pas le don que le Christ me fait de Sa vie, je ne puis avoir de part avec Lui ; ce n’est point qu’Il ne le veuille pas, c’est que je ne suis pas prêt à recevoir un tel don. Et cela, Pierre ne le comprend pas encore, et ne sait que surréagir en s’écriant, de façon pathétique et décalée « Pas seulement les pieds, mais les mains et la tête »12 comme s’il s’agissait de quelque purification rituelle à parfaire, au lieu qu’il s’agit d’une relation d’amour, un amour jusqu’à la mort sur la Croix, et un amour absolu en lequel il n’y a nulle place pour quelque ajout que ce soit, puisqu’il est la plénitude même et le cœur de la révélation.

Jean-Marie Gobert

Notes :


1. Cf Jean Zumstein L’Évangile selon saint Jean (13-21) CH -1204 Genève 2007. Nous faisons de très larges emprunts à cette étude d’une rigueur remarquable.
2. Jn 13, 1-5 Traduction Association Épiscopale Liturgique pour les pays Francophones.
3. Ex 30, 17-21.
4. Jn 18, 6.
5. Gn 18, 1-4.
6. Jn 13, 1.
7. André Scrima, L’Évangile de Jean. Un commentaire. Paris, Le Cerf 2017 p 185.
8. Jn 19, 2-5.
9Op. cit. p. 27.
10. Jn 13, 6.
11. Jn 13, 8.
12. Jn 13, 9.