Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale
Revue de spiritualité et d'information orthodoxe
Dans une forêt de Russie, depuis de longues années, vivait un homme, seul au milieu des arbres, des ruisseaux et d’un grand nombre d’animaux qui habitaient là depuis des temps très lointains. C’était un ermite, un homme très simple et doux, qui aimait tellement le Seigneur et sa merveilleuse création qu’il avait décidé de se retirer de toute l’agitation du monde pour donner sa vie à Dieu, dans la prière, pour le salut de son âme et celui du monde entier.
Tout ce qu’il faisait s’accompagnait du doux murmure des mots de la prière : Seigneur Jésus Christ, fais‑moi miséricorde. Et la grâce du Seigneur s’installait dans son cœur avec beaucoup de joie.
Il était tellement proche de Dieu et toute Sa création, qu’il n’avait aucune peur, même des animaux sauvages qui vivaient autour de lui. Bien au contraire, ils s’approchaient de sa petite cabane et conversaient à leur façon avec l’ermite !
Un jour, alors qu’il était étendu sous un arbre pour se reposer, se réunirent aussi, pour passer la nuit, un corbeau, un pigeon, un cerf et un serpent. Ces animaux se mirent à parler ensemble sur l’origine du mal qui règne dans le monde.
Le corbeau prit la parole et dit :
– C’est de la faim que vient le mal. Quand tu manges à ta faim, perché sur une branche et croassant, tout te semble souriant, bon et joyeux ; mais reste seulement deux journées sans manger, et tu n’auras même plus le cœur de regarder la nature ; tu te sentiras agité, tu ne pourras pas demeurer en place, tu n’auras même pas un moment de repos ; qu’un morceau de viande se présente à ta vue, c’est pire que tout ! Tu te jetteras dessus sans réfléchir. On te donnera même des coups de bâton, on te lancera des pierres ; chiens et loups te saisiront, tu ne lâcheras pas. Combien la faim en tue ainsi parmi nous ! Tout le mal vient de la faim.
Après un moment de silence, interrompu par le frémissement de quelques feuillages, le pigeon dit :
– Pour moi, ce n’est pas de la faim que vient le mal ; tout le mal vient de l’amour. Si nous vivions isolés, chacun chez soi, nous n’aurions pas tant à souffrir… Mais nous vivons toujours par couples ; ainsi, tu aimes tellement ta compagne, que tu n’as plus de repos, tu ne penses qu’à elle : A‑t‑elle mangé ? A‑t‑elle assez chaud ? Et quand elle s’éloigne un peu de toi, alors tu te sens tout à fait perdu ; tu es inquiet à la pensée qu’un autre l’a emportée, ou qu’elle a été́ prise par les hommes. Et tu te mets à sa recherche, et tu tombes toi‑même dans la peine. Et si ta compagne est perdue, tu ne manges plus, tu ne bois plus, tu ne fais plus que chercher et pleurer. Combien il en meurt ainsi parmi nous ! Certainement, tout le mal ne vient pas de la faim, mais de l’amour…
Les autres animaux restèrent un moment en silence, comme si les paroles du pigeon les faisaient réfléchir sérieusement. Soudain, le serpent prit la parole et dit :
– Oh non, le mal ne vient ni de la faim, ni de l’amour, mais de la méchanceté ! Je vous le dis, si nous vivions tranquilles, si nous ne cherchions pas à nous quereller, alors tout irait bien ! Tandis que si une chose se fait et que cela te déplaise, tu t’emportes, tu ne songes qu’à décharger ta colère sur quelqu’un. Et la colère grossit, grossit jusqu’à te mettre à siffler, à te tordre, et à chercher quelqu’un à mordre ! Et voilà que tu n’as plus de pitié pour personne, tu mordrais même ton père et ta mère et ta fureur finirait par te perdre complètement. Oui sûrement, tout le mal vient de la méchanceté !
Quel échauffement soudain avec le serpent ! Les trois autres se regardent un peu étonnés. Pour apaiser cette agitation, le cerf dit calmement :
– Les amis, ce n’est ni de la méchanceté, ni de l’amour, ni de la faim que vient tout le mal qui règne dans le monde, mais de la peur. Oui, assurément, si l’on pouvait ne pas avoir peur, tout irait bien. D’un petit animal, nous pouvons nous protéger facilement ; avec un grand animal, nous pouvons utiliser nos défenses ou nous enfuir : mais on ne peut pas ne pas avoir peur. Il en a toujours été ainsi ! Tous nos sens sont inquiets au moindre bruit ; qu’une branche craque dans la forêt, qu’une feuille remue, et tu trembles tout à coup de frayeur ; ton cœur commence à battre, comme s’il allait sauter hors de ta poitrine ; et tu t’enfuis en volant comme une flèche. D’autres fois, c’est un lièvre qui passe, un oiseau qui agite ses ailes, ou une brindille qui tombe et tu te vois déjà̀ poursuivi par une bête fauve, et c’est vers le danger que tu cours. Tantôt, pour éviter un chien, tu tombes sur un chasseur, tantôt, pris de peur, tu cours sans savoir où, tu fais un bond, et tu tombes dans un précipice où tu trouves la mort. Tu ne dors que d’un œil, toujours sur le qui‑vive, toujours inquiet. Tu n’as aucune paix ; oui vraiment, je vous assure, tout le mal vient de la peur…
Après le récit du cerf parlant de sa vie si difficile, les trois autres animaux semblaient attristés et se tenaient la tête baissée. Aucune parole ne venait les sortir de leur accablement. Alors l’ermite se redressa et s’appuyant contre le tronc d’un arbre, il dit :
– Mes amis, je vous ai bien écouté, et chacun a parlé avec intelligence et bonne foi, mais je vais vous dire ce que je pense de tout cela. Ce n’est ni de la faim, ni de l’amour, ni de la méchanceté́, ni même de la peur que viennent tous nos malheurs, tout le mal qui règne dans le monde. Non, chers amis de la forêt, c’est de notre propre nature que vient le mal, du fond de notre cœur, car nous nous sommes éloignés de notre Créateur, nous faisons comme s’il n’existait pas, alors que c’est Lui qui nous donne la vie ! Et notre cœur, notre nature, loin de Dieu, créent en nous la faim insatiable, l’amour qui s’inquiète, la méchanceté et la peur… Nous ne respirons plus le bon air de son Amour qui seul peut nous rendre doux et bons, joyeux les uns envers les autres…
Les animaux écoutaient sérieusement les paroles de leur ami l’ermite. Il se fit un étrange silence au cœur de la forêt, comme si une onde bonne et douce venait de se déposer dans la clairière, éclairée par le faible reflet de la lune.
L’ermite se mit à genoux et avec tendresse, il dit :
Revenons vers le Seigneur, notre Dieu, et demandons‑lui, dans nos prières, de nous aider à ne pas l’oublier, demandons‑lui de nous pardonner tous nos péchés si nombreux, afin de sentir sa présence dans nos vies. Ainsi nos paroles et tout ce que nous faisons seront le reflet de la bonté et de la tendresse de Dieu.
De nombreuses et joyeuses larmes tombèrent sur l’herbe rafraîchie par la nuit, comme des semences et des promesses nouvelles et chacun se reposa, en silence, sur la bonne terre créée par Dieu, dans la prière, le cœur plein d’espérance et de joie.
Hélène Dragone, texte inspiré d’une histoire de Léon Tolstoï
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