Ajouté le: 1 Novembre 2020 L'heure: 15:14

Les fruits du silence

« Le silence est ici-bas le symbole du siècle à venir. » (Saint Isaac le Syrien, Troisième Lettre, 13)

En ce carême, essayons de faire un effort, non seulement du point de vue alimentaire, mais aussi mental, visuel, auditif et par tous nos sens. Sous tous les aspects de la vie humaine nous nous efforçons de tenir le carême, de nous couper de tout ce que nous étions auparavant, afin de devenir plus conscients de notre rencontre avec le Christ, plus conscients de notre vie, de ce que le Christ attend de nous. Nous tentons d’éloigner bon nombre de choses de notre champ de vision et de laisser le Christ nous montrer comment Lui voit le monde, comme Il voit notre prochain et chacun d’entre nous, et de Le laisser regarder Lui à travers nos yeux.

Le Christ ne nous donne-t-Il pas au baptême Ses propres yeux pour regarder ce monde ? Tandis que nous, nous nous auto-aveuglons et aveuglons le Christ en nous, parce que nous ne voulons pas voir le monde comme Lui le voit.

Le carême et l’ascèse consistent en l’effort pour surpasser nos limites sans pour autant devenir insupportable à l’égard des autres. En effet, nous avons parfois tendance à nous plaindre de nos privations et à mettre en avant notre effort de renoncement ; et de cette manière nous nous enlisons dans une autre forme de faiblesse. Nous savons tous très bien de quoi il est question, car nous passons tous par là. Or en déplorant ouvertement qu’il est éprouvant de jeûner, soit nous renforçons l’autre, soit nous l’affaiblissons et l’attirons à notre suite vers le bas.

Ce sont des détails de notre vie quotidienne qui ne peuvent sembler que des broutilles, mais elles ne sont en réalité pas insignifiantes. En effet, toute parole, tout geste ou regard nous tire vers le haut – vers le Christ, ou vers le bas, mais jamais nous ne restons indifférents à ce que nous nous transmettons les uns aux autres. Il est primordial d’apprendre cela au cours du carême : prendre l’habitude de nous taire davantage en ces jours, de nous taire chez nous, de ne pas allumer tous les appareils diffusant des informations, de ne pas chercher à savoir beaucoup de choses.

Voyez combien d’informations circulent aujourd’hui. Or une information qui n’est pas à sa place jette la panique dans le monde entier. C’est comme cela que fonctionne la Bourse : une simple information divulguée par quelqu’un peut suffire à faire s’effondrer les bourses du monde entier et à déséquilibrer toute l’économie mondiale. Quelle que soit la manière dont on le tourne, le propos, l’information, la parole que nous transmettons des uns aux autres, le propos rapporté, peut nous affermir, nous ressusciter, nous illuminer, ou peut nous faire sombrer dans le désespoir, dans toutes sortes de souffrances ou dans des pensées incontrôlées. C’est pour cela que lorsque nous nous taisons, même si nous sentons que nous ne pouvons pas contenir nos pensées ou réfréner notre agitation intérieure, nous gardons une certaine maîtrise. Saint Jacques, le frère du Seigneur, dit que celui qui maîtrise sa langue maîtrise tout son corps1. Or celui-ci n’est pas seulement maître de son corps, mais du monde. Saint Isaac nous décrit comment du silence même provient la grâce : « Plus que toutes choses, aime le silence, car il t’apporte un fruit que la langue est impuissante à décrire. Commençons par nous faire violence pour nous taire, et ensuite de notre silence même naîtra en nous quelque chose qui nous amènera au silence. Que Dieu te donne de ressentir ce quelque chose qui naît du silence ! » puis : « Si tu gardes ta langue, ô frère, la grâce de la componction du cœur te sera donnée par Dieu, en sorte que, grâce à elle, tu verras ton âme, et, par cette vision, tu entreras dans la joie de l’Esprit. Mais si tu te laisses vaincre par ta langue, crois-moi, jamais tu ne pourras échapper aux ténèbres. Si tu n’as pas le cœur pur, aie au moins la bouche pure, comme dit le bienheureux Jean (cf. Apoc. 14, 5). »2

Les maîtres de ce monde, quand ils maîtrisent leur langue et ne parlent que lorsqu’il le faut, que de bien ne font-ils pas au monde et à l’humanité en général ! C’est pour cela que nous prions continuellement pour les dirigeants de nos pays, afin que Dieu leur donne la sagesse de ne pas ravager par leurs décisions et déclarations ce monde où nous vivons. Mais avant d’arriver jusqu’à eux, dans nos communautés, nos familles, dans tout groupe humain, il est bon de ne pas rapporter le mauvais propos de l’un à l’autre, la parole dévastatrice. Ce que j’ai entendu à droite, je le dis à gauche. Ou ce qui me semble à moi être juste ou me paraît être vrai, le dire sans même en vérifier auparavant la véridicité. C’est à cela que nous pousse l’information. C’est ainsi qu’Abba Poemen dit un jour : « Si l’homme se souvenait de la parole de l’Écriture : C’est d’après tes paroles que tu seras justifié, et d’après tes paroles que tu seras condamné (Mt 12, 37), il choisirait plutôt de se taire »3.

Pourquoi arrêter notre esprit à l’information ? Si nous voulons voir une chose bonne chez quelqu’un, nous la voyons. Nous devons parfois la chercher plus en profondeur, d’autres fois nous la voyons au premier abord. Mais parfois l’homme la cache. Il y a des personnes qui cachent très bien leurs bonnes œuvres. Aussi, écrit Olivier Clément, « regardé sur fond de nuit, de néant, le visage est un archipel inhabité, une caricature disqualifiante. Regardé du côté du soleil, le visage révèle un autre, quelqu’un, une réalité qu’on ne peut décomposer, classer, comprendre, car elle est toujours au-delà, étrangement absente quand on veut la saisir, mais qui rayonne de son au-delà même quand on accepte de s’ouvrir à elle, de lui donner sa foi comme dit admirablement la vieille langue. »4 Or Dieu nous a donné la sagesse de chercher cette beauté et de la trouver, jusqu’au bout, tant que nous sommes en vie, sans aucune autre limite. Tant que notre vie est maintenue, efforçons-nous de faire comme le Christ a fait et fait pour nous, non pas seulement jusqu’à la fin de notre vie, mais jusqu’à la fin des temps.

† Le Métropolite Joseph

Notes :


1. Cf. Jc 3, 2.
2. Saint Isaac le Syrien, Discours ascétiques, 34, 7 et 73, 41, Monastère Saint Antoine le Grand et Monastère de la Protection de la Mère de Dieu - Solan, 2011.
3Apophtegmes des Pères du désert.
4. Olivier Clément, Le Visage intérieur, Stock, Paris, 2001.
 

Les dernières Nouvelles
mises-à-jour deux fois par semaine

Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale

Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale

Le site internet www.apostolia.eu est financé par le gouvernement roumain, par le Departement pour les roumains à l'étranger

Conținutul acestui website nu reprezintă poziția oficială a Departamentului pentru Românii de Pretutindeni

Departamentul pentru rom창nii de pretutindeni