Ajouté le: 1 Mars 2019 L'heure: 15:14

Le mystère du pardon

« Répandant sur Ta tête, ô Sauveur, le vase d’albâtre contenant la myrrhe de mes pleurs, je T’appelle comme la courtisane implorant Ton amour, j’apporte ma prière et demande de recevoir le pardon ».
Grand Canon de Saint André de Crète

Le Grand Carême nous invite à lutter avec nous-même et non avec les autres, à nous vaincre nous-même et tenter de mettre en pratique l’amour que Dieu nous donne par le don de soi, car c’est de Dieu lui-même que nous avons appris l’amour, non qu’Il nous aurait laissé quelque chose d’écrit ou nous en aurait dit quelque chose, mais par le fait d’être Lui-même venu vers nous, de s’être fait semblable à nous et d’avoir pris sur Lui notre péché. Cela passe par le pardon, qui est un avant-goût du Royaume des Cieux. Car dans le Royaume des Cieux nous arrivons comme « les pardonnés de Dieu ». Mais y arrivent également ceux que nous pardonnons, car si Dieu nous pardonne, nous aussi pardonnons – comme nous pardonnons aussi à nos débiteurs1.

Dans le pardon se cache le Christ. Pourquoi pardonnons-nous ? En pardonnant nous recevons plus de grâce. En pardonnant, nous trouvons encore plus de miséricorde, de compréhension, d’amour, de connaissances en Dieu Lui-même. Si nous ne pardonnons pas, tout dans notre vie se transforme en accusation contre l’autre et en auto-justification : « je n’aurais pas fait de faute si l’autre ne l’avait pas fait d’abord, ou : moi j’ai fait une faute ? Mais l’autre ! Que penserais-je à ma propre faute quand je sais combien l’autre en a fait ! ». C’est ainsi que nous avons l’habitude de penser, de manière passionnelle. Mais si nous nous retournons toujours vers notre propre faute et pardonnons l’autre pour les siennes, derrière le pardon se cache le Christ qui se montre à nous de plus en plus tel qu’Il est, par le fait que le Christ n’est pas celui qui parle du pardon, mais Il est le Pardon même. Il est notre Pardon devant le Père céleste. Durant le Dimanche du pardon nous essayons d’entrer dans ce mystère du pardon de Dieu, mais aussi dans le mystère du pardon que nous donnons à notre prochain, et encore dans un autre mystère du pardon : celui de notre propre pardon envers nous-même. Parce que parfois nous ne nous pardonnons pas nous-même. Soit nous nous pardonnons inconsciemment et trop facilement, soit nous ne nous pardonnons jamais. Nous nous auto-punissons. Parfois nous nous punissons en nous éloignant de Dieu, en disant : « comment Dieu me pardonnerait-Il alors que je suis impardonnable ? Je dois rester loin de Lui car Il ne peut pas me pardonner ». D’autres fois, nous nous pardonnons trop facilement en disant : « tout le monde fait comme cela ». Et dans les deux cas nous nous trompons, parce que nous ne faisons plus appel au combat spirituel. C’est‑à‑dire : j’ai fauté, je ne mérite pas, mais la miséricorde de Dieu fait que Lui-même me pardonne. Car sans Sa miséricorde, le pardon n’existerait même pas. Et sans pardon Sa miséricorde ne serait pas non plus. Puisque Dieu est miséricorde, je sais qu’Il me pardonne. Mais Il ne me pardonne pas n’importe comment, Il attend mon retour, comme le fils prodigue. Si nous Lui tournons le dos, le Père ne peut rien faire. Une séparation tel un mur s’élève entre nous et Lui. Notre cœur se refroidit, soit parce que nous avons l’impression qu’il est de son devoir de nous pardonner et que de toute façon Il nous pardonne quoi que nous fassions, et que tout le monde fait la même chose. Ou l’autre extrême : de toute façon Dieu ne me pardonne pas, donc je vaque à mes occupations, puisque je suis impardonnable. Et Saint Syméon le Nouveau Théologien d’écrire : « Tel sera en effet, à tes yeux et aux yeux de tous, le signe manifeste que tu as obtenu le pardon de tes péchés, c’est quand tu auras atteint ce pays : celui où séjourne la sainte humilité ; et le premier don qu’elle accorde à ceux qui arrivent jusqu’à elle, c’est de ne considérer aucun homme au monde comme plus pécheur ou plus vils qu’eux-mêmes mais, dans un sentiment de toute l’âme, de se regarder eux-mêmes et eux seuls comme pécheurs, seuls promis à la perdition et voués au châtiment »2.

Se pardonner soi-même en s’accusant soi-même sans accuser Dieu des choses qui surviennent dans notre vie et avoir une confiance absolue en la miséricorde de Dieu envers nous, est chose très difficile. Cela est un mystère : et le pardon que Dieu nous donne, et le pardon que nous donnons à l’autre, et le pardon que nous nous donnons à nous-même. Pourquoi dis-je que c’est un mystère ? Parce qu’y intervient Dieu. Lorsque nous prions, vient la grâce. Il se produit en nous des choses impensables, inespérées. Dieu nous pardonne pour de grandes fautes, et à notre tour nous pouvons pardonner des choses auxquelles nous aurions cru ne jamais pouvoir remédier, et pour nous et pour les autres, car est intervenue la grâce de Dieu. Lorsqu’intervient la grâce de Dieu qui nous restitue notre dignité de fils de Dieu, cela est un mystère, au même titre que les saints mystères ou sacrements de l’Église. L’homme lui-même par le fait qu’il s’est uni au Christ est un mystère. C’est pour cela que nous ne pouvons entrer dans le mystère de l’autre qu’avec le Christ, en priant le Christ de nous révéler l’autre, de nous le montrer tel qu’il est. On entend souvent cette parole : « n’entre pas avec des bottes dans l’âme de ton prochain » ! Car en effet, lorsque nous connaissons quelque secret de notre frère, nous pouvons le blesser et lui faire mal, et par là nous venger. La vengeance est l’opposé du pardon. Nous voyons toutes sortes de vengeances : ethnique, politique, familiale, ou même la vengeance sur soi-même, lorsque nous ne croyons plus en la miséricorde de Dieu et nous éloignons de tout.

Le pardon de soi se produit dans le sacrement de la confession où nous rencontrons le Christ et ne lui disons rien d’autre que : « Seigneur, je suis pécheur, je suis venu demander ton pardon », et immédiatement pardonnons à notre tour nos frères. Mais ne pensons pas seulement à pardonner, il faut également se demander pardon les uns aux autres. Ne le demandons pas seulement formellement, car souvent la forme est notre premier ennemi. Remplissons ce geste de contenu, c’est-à-dire changeons-nous.

Le Grand Carême est un moment extraordinaire pour commencer à changer de vie, nous libérer de toutes nos addictions. Le Carême vient avec le Christ qui nous dit : sois libre ! Sois libre de tout puisque tu es plus fort avec le Christ que toute dépendance, plus fort que la colère et la haine, plus fort que le jugement et l’orgueil, plus fort que la jalousie et la soif du pouvoir, plus fort que la nourriture, que la boisson, que la cigarette, que la drogue, plus fort que tout. Certaines dépendances nous font perdre la santé, d’autre le temps, ces dons que nous avons reçus de Dieu. Le Carême peut nous aider à nous libérer de toutes les formes de dépendance et à être maître de nous-même. « Par le jeûne, écrit Olivier Clément, l’homme dépasse partiellement la dialectique du plaisir et de la douleur, de la faim et du rassasiement, il libère le désir du besoin enfermé dans ce monde, pour le transformer en désir de Dieu »3. La nourriture, par exemple, n’est qu’un petit signal : tu ne tends pas la main pour te mettre quelque chose à la bouche, geste si simple et si humain, et alors en ne mangeant pas tu penses à ce que tu donnes comme nourriture à tes pensées et à ton cœur. Nous ne mangeons pas de viande ? Mais nous mangeons notre frère, en le jugeant et se considérant comme supérieur à lui ! En effet, juger équivaut à manger de la viande, cela signifie tuer notre frère, le détruire, le démolir, le consommer, le faire disparaître, comme disent les Pères : « Comme je me tenais un jour dans ma cellule, un frère venu de l’étranger se présenta à moi et me dit : « Conduis-moi à l’abbé Macaire ». M’étant levé je l’accompagnai chez le vieillard et après avoir fait une prière nous nous assîmes. Le frère dit au vieillard : « Père, voilà trente ans que je ne mange plus de viande et je suis encore tenté à ce sujet ». Le vieillard lui dit : « Ne me dis pas, mon enfant, que tu as passé trente ans sans manger de viande, mais je t’en prie, mon enfant, dis-moi la vérité : combien de jours as-tu passé sans dire du mal de ton frère, sans juger ton prochain et sans faire sortir de tes lèvres une parole inutile ? » Le frère fit une métanie et dit : « Prie pour moi, Père, afin que je commence »4. Quelle nourriture donnons-nous à notre âme ? Les bonnes pensées, qui ne viennent pas de soi, la prière, le retour de notre esprit vers les œuvres de bien ? Nous pouvons voir beaucoup de mauvaises choses chez nos frères. Lorsque l’homme bon qui est maître de soi voit un péché quelconque, il ne le juge pas, et ne dit pas : « en voilà encore un perdu, malheur à lui ! Moi je ne suis pas comme lui, mais il dit : Seigneur, pardonne-nous lui et moi, car moi aussi je suis comme lui, je n’ai peut-être pas la même tare, mais j’en ai une autre ». Et toujours la bonne pensée retourne les mauvaises choses en bonnes. Comme Dieu sur la Croix a changé notre péché en bénédiction, parce qu’Il a pu venir et nous montrer Son amour sans limite.

De la manière dont je m’approche de mon frère je peux recevoir la vie ou je peux recevoir la mort. C’est pourquoi le grand mystère que Dieu travaille en nous, c’est celui de notre résurrection continue, celui où l’on accepte que le Fils de Dieu devienne pour nous le Pardon-même.

† Le Métropolite Joseph

Notes :

1. Cf. Notre Père.
2. Saint Syméon le Nouveau Théologien, Épître 3, 500-508, cf. The Epistles of St Symeon the New Theologian, Oxford University Press, 2009, p. 117.
3. Olivier Clément, Le Chant des larmes, DDB, 19991, p. 84.
4. Apophtegmes des Pères du désert, vol. III, 1746 - J 746, SC 498, Cerf, 2005.

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