Ajouté le: 13 Décembre 2018 L'heure: 15:14

« Quand vint la plénitude des temps » (Gal. IV, 4a)

La Nativité de notre Seigneur et Dieu Jésus Christ à Bethléem de Juda, cité du roi David, est la manifestation d’un très grand mystère, celui du Dieu d’avant les siècles, le Logos, le Verbe qui est dans le sein du Père de toute éternité et qui devient homme, pleinement homme, sans que sa divinité ne subisse ni changement ni altération. Ce mystère est ineffable et dépasse l’entendement humain. « Dans le Principe était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu »1. Ces paroles d’une profondeur inouïe et qui ouvrent l’Évangile de l’Aigle de Patmos nous introduisent dans la Révélation du mystère trinitaire qui est au cœur de la foi chrétienne : Dieu est unique mais Il n’est pas seul, Il est communion d’amour de trois hypostases, le Père, le Fils et le Saint Esprit, dont le Père est la Source. Dans son « Homélie sur le Prologue de Jean », Jean Scot Érigène, moine irlandais né dans le premier quart du IXe siècle et qui fut traducteur de saint Maxime le Confesseur, nous dit, à propos de ces paroles ineffables : « Saint Jean le Théologien, non seulement s’élève au-dessus de ce qui peut être saisi par l’intelligence et signifié par la parole, mais est transporté au cœur même des réalités qui surpassent toute intelligence et toute signification. C’est ainsi que, par le vol ineffable de l’esprit, il est emporté, au-delà de toutes choses et, que, percevant clairement l’unité suressentielle et la distinction supra-substantielle du Principe et du Verbe, c’est-à-dire du Père et du Fils – l’une et l’autre incompréhensibles – il commence son évangile par ces mots : Dans le Principe était le Verbe »2.

Nous savons, là aussi par saint Jean, que Dieu est amour et que la Création est un acte d’amour de la divine Trinité présente dans l’acte de création du monde, puisque dès les premiers versets de la Genèse nous voyons Dieu le Père, le Logos et l’Esprit qui sont à l’œuvre. Cette création n’obéit pas à une logique de nécessité, c’est un acte d’amour absolument gratuit et lorsque, par le péché, l’homme s’est détourné de Dieu, il n’a pas été abandonné à son triste sort, mais il a reçu la promesse du salut qui devait s’accomplir quand vint la plénitude des temps, c’est-à-dire selon le dessein de Dieu et au terme d’une longue préparation du peuple choisi ou plus exactement du petit « reste » saint de ce peuple, dont la Vierge Marie est le signe suréminent.

Le salut ne pouvait venir que de Dieu car la nature déchue conséquence de la prévarication d’Adam ne pouvait, par elle-même, sortir du cercle infernal de la naissance pour la mort. La mort, salaire du péché, ne pouvait être vaincue que par Dieu. C’est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait chair. Il est venu parmi les siens pour accomplir le dessein du Père en faveur du salut des hommes et sa venue restaure ce qui était perdu, réunie le ciel et la terre.

Saint Paul nous dit lui aussi combien ce mystère de l’incarnation du Verbe de Dieu est grand, dans la première épître à Timothée, son fidèle disciple : « Assurément il est grand le mystère de la piété : Dieu a été manifesté dans la chair, justifié dans l’Esprit, contemplé par les anges, proclamé chez les païens, cru dans le monde, exalté dans la gloire »3. Ainsi sont unis dans le Christ le mystère de Dieu et le mystère de l’homme, union sans confusion et sans séparation, parce qu’avec sa venue dans la chair le Seigneur nous révèle la vraie nature de l’homme, la nature originelle, sans péché et qui a été perdue lorsqu’Adam a revêtu les tuniques de peau, symbole de sa prévarication selon saint Grégoire de Nysse.

Le Prologue de l’Évangile de saint Jean dit, en rendant compte de ce grand mystère de la piété, inaccessible à la raison humaine, mais saisi, aimé et contemplé par la foi simple et confiante, semblablement à celle des bergers de Bethléem : « Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous »4. Littéralement le verset dit : Il a dressé sa tente parmi nous – καὶ ἐσκήνωσεν ἐν ἡμῑν. La tente dont il est ici question renvoie à la Tente d’assignation, Lieu de la Présence divine, pour les hébreux pérégrinant au désert. Le terme σὰρξchair – exprime avec réalisme l’abaissement de Dieu le Verbe qui est descendu jusqu’à nous en prenant un corps véritable et non une apparence d’homme comme l’affirmaient les hérétiques docètes dès le IIe siècle.

Saint Paul dit à propos de Jésus, dans l’épître aux Philippiens : « Lui, qui était de condition divine, ne se prévalut pas d’être l’égal de Dieu, mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et se faisant semblable aux hommes »5.  Sa naissance comme homme est elle-même ineffable puisqu’Il est né « du Saint Esprit et de la Vierge Marie » et sa venue au monde n’a pas endommagé le sceau de la virginité de l’Enfantrice-de-Dieu – Théotokos – selon l’humanité, la très sainte Mère de Dieu et toujours Vierge Marie. Celui qu’aucun lieu ne peut contenir s’est volontairement limité dans le sein virginal pour naître parmi les hommes.

Le Mégalynaire des Vêpres de la Nativité chante magnifiquement celle qui met au monde le Sauveur des hommes et de toute la création : « En toi exulte, ô pleine de grâce, toute la création ; le chœur des anges dans le ciel et les peuples de la terre, ô Temple saint du Seigneur, merveilleux jardin du Paradis et virginale gloire dont prit chair le Dieu suprême pour devenir petit enfant, le Dieu d’avant les siècles, notre Dieu très-haut. De ton sein le Seigneur a fait son trône, Il l’a rendu plus vaste que les cieux. En toi exulte, ô pleine de grâce, toute la création, gloire à toi »6.

C’est le moment de rappeler que l’incarnation du Verbe eut été impossible sans le « fiat » de la Vierge d’Israël qui allait devenir la Mère de Dieu, à l’Ange de l’Annonciation. Mais il faut également dire qu’il ne convient pas de séparer la Mère de Dieu de la longue lignée des saints d’Israël qui la précède, les Ancêtres, les Pères, les Patriarches, les Prophètes car tous avaient foi dans la promesse divine d’un Libérateur. Cette espérance aboutit à la Mère de Dieu qui rend possible son accomplissement par son « oui » à l’ange de l’Annonciation, et son oui est aussi, d’une certaine façon, celui de cette lignée secrètement préparée par l’Esprit Saint.

Cette limitation volontaire du Verbe divin dans le sein virginal pour naître parmi les hommes, l’Église de Dieu la reconnaît avec étonnement tant est grand le mystère de l’incarnation et la chante avec une foi confiante et pleine d’espérance. Au cathisme de ton IV de la prière des Vêpres du 25 décembre il est dit : « Celui que nul espace ne contient, comment peut-il être contenu dans le sein, et celui qui repose dans le sein paternel comment une Mère le tient dans ses bras ? Lui seul le sait, Il l’a voulu, tel a été son bon plaisir. Lui qui est incorporel, Il s’est incarné librement ; et pour nous Celui qui est, est devenu ce qu’il n’était ; sans sortir de sa nature, il prend part à notre humaine condition. Dans son désir de compléter par notre humanité le monde d’en-haut, le Christ est né en deux natures homme et Dieu »7.

Et l’Église rend également grâce au Christ pour sa kénose, son abaissement jusqu’à nous, porteur de salut, de victoire sur les ténèbres de ce monde. La troisième ode de ces mêmes vêpres de la Nativité évoque ces temps qui sont les derniers, car la naissance parmi les hommes du Fils éternel du Père arrive selon le – kaïros – de Dieu, selon Son dessein et non selon le temps – chronos – du monde : « Avant les siècles, par le Père ineffablement le Fils est engendré ; et dans ces derniers temps, sans semence, d’une Vierge Il a pris chair ; chantons au Seigneur : Toi qui relèves notre front, tu es saint, ô Christ notre Dieu ».

« Toi qui pris la forme de l’humble créature faite de limon et qui, participant à notre pauvre chair, lui communiquas ta divinité, devenu homme et restant Dieu, toi qui relèves notre front, tu es saint, ô Christ et Seigneur ».8

La quatrième ode insiste sur la finalité de la kénose du Christ : « Semblable aux hommes volontairement, Dieu très-haut, tu es sorti de la Vierge en assumant la chair pour détruire le venin de la tête du serpent et conduire tout mortel des portes sans soleil vers la Lumière et la vie »9.

Saint Jean Damascène dans son « Exposé de la foi orthodoxe », déclare que cet « abaissement », cette kénose du Verbe résulte de la bienveillance de Dieu envers les hommes : « En effet, par la bienveillance de Dieu le Père, le Fils Unique-Engendré, Verbe de Dieu, et Dieu, Lui qui est dans le sein de Dieu le Père, consubstantiel au Père et au Saint Esprit, Lui qui est avant tous les siècles, sans commencement et au commencement, vers Dieu le Père, Lui qui, enfin, étant Dieu, existant en forme de Dieu, Il s’est abaissé en inclinant les cieux. Abaissement sans abaissement, car le sublime ne peut s’abaisser, et pourtant il condescend à des esclaves d’une condescendance indicible et insaisissable, le mot descente – κατάβασις – a le même sens. Étant Dieu parfait, il devient homme parfait et amène à sa perfection le plus nouveau de tous les nouveaux, le seul nouveau sous le soleil, dans lequel éclate la puissance infinie de Dieu. Car qu’y-a-t-il de plus grand que Dieu devenu homme ? Ainsi le Verbe, sans changement, est-il devenu chair, du Saint Esprit et de Sainte Marie, toujours vierge et Mère de Dieu »10.

La naissance de Dieu parmi les hommes détruit le mur de séparation entre le ciel et la terre, entre Dieu et l’homme et l’homme vieilli, dénaturé par le péché, retrouve dans et par le Christ sa véritable nature, avons-nous dit, et par conséquent la finalité pour laquelle il a reçu l’être et la vie. Dans la prière de la Litie des Vêpres de la Nativité, nous trouvons ces versets : « Le ciel et la terre en ce jour, sont réunis par la naissance du Christ. En ce jour, Dieu sur terre est venu, et l’homme est monté vers les cieux. L’invisible par nature, en ce jour, à cause de l’homme se laisse voir dans la chair ; et c’est pourquoi, lui rendant gloire, chantons-lui, nous aussi : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur terre la paix que nous accorde sa venue. Toi qui nous sauves, gloire à Toi »11.

Car la nature déchue n’est pas la véritable nature de l’homme, mais, au sens strict du terme, une surnature dont il convient de se défaire avec l’aide de Dieu, dans la soumission humble, volontaire et consciente à Sa volonté et dans l’obéissance aux commandements du Christ, dans la pauvreté en esprit comme le dit le Sermon sur la Montagne12. Par cette pauvreté en esprit, les âmes généreuses et aimantes du Christ se laissent guider par Celui qui les conduit infailliblement vers la lumière de Son Royaume et vivent leur pèlerinage sur cette terre en une union toujours plus intime avec l’Époux céleste. La première ode des Vêpres de la Nativité chante la bienveillance de Dieu en ces termes : « L’homme flétrit à cause du péché, jadis image et ressemblance de Dieu, puis tout entier soumis à la corruption, et des trésors de la vie divine déchu, le sage Créateur le façonna de nouveau, car Il s’est couvert de gloire ».

« Le Créateur, voyant perdu l’homme que ses mains ont façonné, descend en inclinant les cieux ; né de la Vierge sainte, immaculée, Il assume tout son être avec sa chair en vérité, car Il s’est couvert de gloire »13.

Par son incarnation le Christ unit à Lui tous les hommes et tous les êtres de la création dans le but d’accomplir le dessein de Dieu qui est de rétablir, de récapituler toutes choses en Lui. Saint Paul déclare qu’avec la venue du Christ « Le mystère caché depuis les générations est maintenant manifesté » (Col. I, 26a), et il ajoute dans l’épître aux Galates, que, de ce fait« Il n’y a plus ni Juif, ni circoncis, ni incirconcis, ni Barbare, ni Scythe, ni esclave, ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme, mais le Christ en tout et en tous » (Gal. III, 28). Commentant dans sa Mystagogie ce thème fondamental du rétablissement de toutes choses en Christ, saint Maxime le Confesseur dit que « C’est ainsi qu’étant tout en tous (I Cor. XV, 28) le Dieu qui dépasse d’une distance infinie tous les êtres, qui est absolument unique, sera vu de ceux dont la pensée est pure (Mt. V, 8) »14.

Par son incarnation, le Verbe fait homme, le Christ « en qui se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance » (Col. II, 3) révèle ce grand mystère tenu caché aux siècles, aux générations, aux sages de ce monde, mais dévoilé, « manifesté à ses saints. À eux, Dieu a daigné faire connaître quel trésor de gloire est ce mystère chez les païens : vous avez parmi vous le Christ, l’espérance de la gloire ! » (Col. I, 26b-27).

Que dire, pour finir, de ce grand mystère caché à toute créature invisible et visible et maintenant dévoilé par l’incarnation du Seigneur ? Mystère qui échappe à toute conceptualisation par la raison humaine comme nous l’avons dit et qui ne peut être reçu que dans la foi simple, humble et confiante, car c’est l’Esprit Saint et nul autre, nous dit saint Cyrille d’Alexandrie « qui nous introduit dans l’océan de la connaissance et de la sagesse prééternelle du Christ ». Saint Maxime le Confesseur dans la soixantième réponse aux « Questions à Thalassios » nous éclaire sur ce qui est au cœur du mystère de l’incarnation, en affirmant qu’il « s’agit à l’évidence de l’union ineffable et inconcevable de la divinité et de l’humanité selon l’hypostase… »15.

Ainsi, dans cette union est manifestée l’immensité de l’amour de Dieu pour l’homme, puisque le Verbe, en prenant chair, a pour but de nous libérer du péché, de nous délivrer de l’emprise du diable, de communiquer à notre nature l’incorruptibilité, l’immortalité. En ce sens, saint Jean Chrysostome dit que l’incarnation est un acte d’amour beaucoup plus grand que la création du monde : « La première de ses œuvres [la création] manifeste assurément la bonté ; mais elle est loin de la manifester comme la seconde [l’incarnation] »16.

Terminons avec ces paroles du Lucernaire des vêpres de la Nativité, car elles expriment, avec les autres prières, la louange de l’Église en même temps qu’elles constituent un précieux enseignement dogmatique : « Venez, réjouissons-nous dans le Seigneur en exposant le mystère de ce jour : le mur de séparation est renversé ; le glaive flamboyant est déposé, les Chérubins ne gardent plus l’arbre de vie et moi je participe aux délices du Paradis dont la désobéissance m’avait exclu, car l’Icône immuable du Père divin, l’empreinte de son éternité prend forme d’esclave en naissant d’une Mère vierge, sans subir de changement et le Dieu véritable demeure ce qu’il était, assumant ce qui lui était étranger par amour pour les hommes ; aussi chantons à notre Dieu : Toi qui es né de la Vierge, aie pitié de nous »17.

Ce Jour de la Nativité du Seigneur est, par excellence, le Jour de la bienveillance de Dieu parmi les hommes.

Notes :

1. Jn. I, 1-2.
2. Jean Scot Erigène : Homélie sur le Prologue de Jean. S.C 151, pages 207 et 209.
3. I Tim. III, 16. (traduction selon le texte majoritaire du NT).
4. Jn. I, 14.
5. Phil. II, 6-7a.
6. Ménée de décembre : Vêpres du 25 décembre. Traduction P. Denis Guillaume.
7Op. cit.
8Op. cit.
9Op. cit.
10. Saint Jean Damascène : Exposé de la foi orthodoxe : Livre III, ch. I. Cahiers saint Irénée, Paris 1966.
11. Ménée de décembre : op. cit.
12. Mt. V.
13. Ménée de décembre : op. cit.
14. Saint Maxime le Confesseur : Mystagogie. Migne : les Pères dans la foi, page 87.
15. Saint Maxime le Confesseur : Questions à Thalassios. S.C 569, page 83.
16. Saint Jean Chrysostome : Œuvres complètes. IVe Homélie sur l’épître aux Hébreux. Éditions J. Bareille, tome XX, page 142. Paris 1873.
17. Ménée de décembre. Op. cit.

Les dernières Nouvelles
mises-à-jour deux fois par semaine

Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale

Publication de la Métropole Orthodoxe Roumaine d'Europe Occidentale et Méridionale

Le site internet www.apostolia.eu est financé par le gouvernement roumain, par le Departement pour les roumains à l'étranger

Conținutul acestui website nu reprezintă poziția oficială a Departamentului pentru Românii de Pretutindeni

Departamentul pentru rom창nii de pretutindeni