Ajouté le: 8 Novembre 2012 L'heure: 15:14

Authenticite, integrite et veracite historiques des Evangiles (II)

 

2E PARTIE
 

Il est incontestable qu’une tradition orale a précédé la rédaction des Evangiles canoniques d’aujourd’hui. Mais si la tradition orale a joué un rôle important dans cette rédaction, on peut affirmer aussi que les Evangélistes ont disposé de sources écrites, en langues grecque et araméenne. Ainsi, la tradition de l’Eglise primitive est unanime pour attester que saint Matthieu rédigea, le premier, le sommaire des paroles et des actions les plus importantes de Jésus. Son Evangile, résumé de la prédication des douze Apôtres, fut écrit à Jérusalem, avant l’an 42, en araméen, la langue des Hébreux car, à cette époque, la langue hébraïque était devenue une langue morte. Ce n’est que quelques années plus tard, la prédication apostolique dépassant les limites de la Palestine, que la version grecque d’aujourd’hui vit le jour sous le titre d’Evangile selon saint Matthieu. Elle fut faite par un disciple immédiat des Douze.

L’existence de ce premier Evangile, l’Evangile selon saint Matthieu araméen, est garantie par Papias1, évêque de Hiérapolis, en Asie Mineure, avant 120, et auteur d’un ouvrage, aujourd’hui perdu, en cinq volumes intitulé Explication des paroles du Seigneur, mais dont des passages sont transcrits par Eusèbe de Césarée2 dans son Histoire ecclésiastique : « Sur Matthieu il dit ceci : Matthieu réunit donc en langue hébraïque les loggia [de Jésus] et chacun les interpréta comme il en était capable »3.

Le témoignage de Papias est‑il solide ? Il est à noter que le titre de disciple des Apôtres lui a été souvent décerné et qu’il est aussi connu sous le nom de Presbyter Joannes in Ephesus (prêtre de saint Jean d’Ephèse). L’antiquité chrétienne le mentionne fréquemment : saint Irénée de Lyon4 l’appelle un disciple de saint Jean l’Evangéliste et un ami de saint Polycarpe5. De plus, Papias vivait à une époque assez proche de l’ère apostolique et il est singulièrement instructif d’apprendre qu’il préférait la tradition verbale des premiers témoins du Christ à la tradition écrite « car, ajoute‑t‑il, il me semble que les livres ne fournissant pas le même avantage que la parole vivante : celle‑ci se grave plus profondément »3. En réalité, Papias ne fut pas le disciple de l’Apôtre Jean, comme beaucoup l’ont cru, mais d’un Jean l’Ancien, un chrétien de la première génération qui avait connu les Apôtres, ce qui donne quand même un grand poids au témoignage de l’évêque de Hiérapolis.

Saint Irénée de Lyon emboîte le pas à Papias en déclarant : « Ainsi Matthieu publia‑t‑il chez les Hébreux, dans leur propre langue [l’araméen], une forme écrite d’Evangile, à l’époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l’Eglise »6.

Quant à Eusèbe de Césarée, il dit que Pantène, contemporain d’Irénée, découvrit chez les Indiens (en Inde) l’Evangile de saint Matthieu dans sa version araméenne : « Il y avait encore, à cette époque, de nombreux évangélistes de la parole, qui avaient à cœur d’apporter un zèle divin à imiter les apôtres pour étendre et fonder la divine doctrine. Pantène fut lui aussi l’un d’eux, et l’on raconte qu’il alla jusqu’aux Indes, où il se trouva dit‑on, à son arrivée, devancé par l’Évangile de Matthieu, auprès d’un certain nombre de gens de ce pays, qui connaissaient le Christ. Barthélemy, un des apôtres, les avait évangélisés et leur avait laissé le texte hébreux [araméen] de l’écrit de Matthieu ; ils l’avaient conservé jusqu’à ce temps »7. Pantène, surnommé « l’Abeille de Sicile » a été le maître de Clément d’Alexandrie. Devenu directeur de l’Ecole catéchétique d’Alexandrie après avoir été missionnaire, il expliquait « de vive voix et par des écrits les trésors des divines Ecritures »7. Si Pantène a écrit, il n’en reste rien.

Saint Clément d’Alexandrie, le plus ancien des écrivains d’Alexandrie, successeur de Pantène à la tête de l’Ecole d’Alexandrie, se rallie à l’opinion de Papias, de saint Irénée de Lyon et de Pantène : un Evangile, dit de saint Matthieu, a bien été écrit, en araméen8. De plus, les citations nombreuses qui en ont été faites par saint Polycarpe, saint Ignace9, évêque d’Antioche, et les extraits qui sont dans les œuvres de saint Justin10 et de saint Clément d’Alexandrie prouvent son ancienneté et son autorité.

L’enseignement de Jésus a été accueilli dans les diverses régions qu’il a visitées. Les Apôtres et leurs disciples, témoins autorisés de la prédication du Christ, narrèrent d’abord oralement ce qu’ils en avaient retenu. Assez rapidement, de petits mémoires écrits circulèrent de main en main, aussi bien en grec qu’en araméen. Une prédication orale, des sources écrites, des souvenirs personnels, tels sont les éléments qui permirent aux Evangélistes de composer leurs textes. Ainsi, l’Evangile araméen de saint Matthieu reflétait la catéchèse palestinienne, c’est‑à‑dire la prédication apostolique ou le kérygme palestinien.

Comment se sont donc constitués les Evangiles qui sont dans nos Bibles d’aujourd’hui ? A quelle date ? Voici le point de vue synthétique des spécialistes bibliques11 :

Contrairement à ce que le lecteur pourrait croire, parmi les quatre Evangiles canoniques, ce n’est pas l’Evangile selon saint Matthieu qui fut écrit le premier. Le premier en date est l’Evangile selon saint Marc. Marc, pourtant, n’était ni apôtre ni témoin oculaire.

L’étude des Evangiles selon saint Matthieu et saint Luc démontre que leurs rédacteurs s’appuyèrent sur une source commune, probablement l’Evangile araméen de saint Matthieu, et d’autres textes en araméen et en grec, notamment en ce qui concerne les récits de l’Enfance de Jésus.

D’aucuns certifient également que l’Evangile selon saint Matthieu a subi l’influence de l’Evangile selon saint Marc.

Presque tous les spécialistes bibliques disent que saint Luc s’est servi du texte de saint Marc et du Matthieu araméen traduit en grec.

Ces trois Evangiles canoniques méritent bien leur qualificatif de synoptiques, mot d’origine grecque qui exprime une vue d’ensemble, une concordance qui s’obtient en plaçant leurs trois textes en regard l’un de l’autre, sur trois colonnes parallèles. Dès lors, apparaissent des versets, identiques au mot à mot, dans une foule de cas, mais aussi des dissemblances.

Quant à l’Evangile selon saint Jean, le quatrième et dernier Evangile canonique, il fut écrit beaucoup plus tard, vers la fin du 1er siècle. Son rédacteur a pris soin de ne pas répéter ce qui avait été déjà dit, tout en faisant des allusions à des faits relatés dans les Evangiles synoptiques, ce qui tend à prouver que saint Jean connaissait ces derniers. Son Evangile s’est particulièrement intéressé à la personne de Jésus, à sa divinité et à sa mission de Fils de Dieu. Il est avant tout théologien (les chrétiens orthodoxes l’appellent saint Jean le Théologien), ce qui fait dire à saint Clément d’Alexandrie que son Evangile est spirituel.

L’Evangile selon saint Marc étant le plus ancien, il est normal d’évoquer en premier son rédacteur. Le nom de Marc est cité fréquemment dans le Nouveau Testament. Le livre des Actes parle six fois d’un disciple, tantôt appelé « Jean, surnommé Marc »12, tantôt Jean13. Il s’agit, en fait, du même personnage, le compagnon de Barnabé et de saint Paul ; il était avec eux quand ils quittèrent Jérusalem pour Antioche14 et, plus tard, il participa à leur premier voyage missionnaire15 et accompagna Barnabé à Chypre16. En outre, dans les Epîtres de saint Paul, Marc est mentionné trois fois17. L’Apôtre des gentils précise que Marc est le cousin de Barnabé.

Le livre des Actes ajoute que saint Pierre, après sa sortie de prison, contée dans le chapitre 12, se réfugia chez « Marie, mère de Jean, surnommé Marc »18.

Marc était donc bien connu de saint Pierre mais également de saint Paul qui l’eut à ses côtés non seulement lors de son premier voyage missionnaire mais aussi pendant sa première captivité, comme l’indiquent les Epîtres à Philémon et aux Colossiens, et pendant sa deuxième captivité19. Saint Marc était également avec saint Pierre, à Rome, vers 63‑64.

Papias, encore une fois, apporte son témoignage : « Marc, étant l’interprète de Pierre, écrivit exactement, mais sans ordre, tout ce qu’il se rappelait des paroles ou des actions du Christ; car il n’a ni entendu ni accompagné le Sauveur. Plus tard, ainsi que je l’ai rappelé, il a suivi Pierre. Or celui‑ci donnait son enseignement selon les besoins et sans nul souci d’établir une liaison entre les sentences du Seigneur. Marc ne se trompe donc pas en écrivant selon qu’il se souvient ; il n’a eu qu’un souci, ne rien laisser de ce qu’il avait entendu et ne rien dire de mensonger »3.

Saint Marc a donc rassemblé la prédication de saint Pierre dont il était le disciple et le secrétaire. Il fut, sinon dicté, au moins approuvé et autorisé par saint Pierre. Saint Clément d’Alexandrie20, Origène21, Tertullien22, saint Irénée de Lyon6 fournissent des renseignements sur cet Evangile, alors considéré comme parfaitement authentique. Le Prologue anti‑marcionite, vers 160‑180, tout en confirmant, à son tour, que saint Marc, interprète de saint Pierre, mit par écrit son Evangile, précise que cette rédaction intervint après la mort de l’illustre Apôtre, « au pays d’Italie ». Il ajoute un détail pittoresque : Marc était surnommé « aux doigts courts », parce que ceux‑ci n’étaient pas proportionnés à sa taille23.

Saint Marc, qui avait aussi entendu la prédication de saint Paul, voulut faire connaître celle de saint Pierre. Il la rédigea, avant 70, date de la destruction de Jérusalem par les Romains, car cet événement n’est pas rappelé dans le texte. Sa rédaction, postérieure à la mort de saint Pierre, d’après Irénée de Lyon et le Prologue anti‑marcionite, permet raisonnablement de dater cet Evangile en 65. Quant au lieu de sa composition, l’usage de nombreux latinismes privilégie Rome24. Les destinataires étaient des chrétiens issus de la gentilité25 ; en effet, saint Marc s’est attaché à traduire des expressions araméennes en grec26 et d’expliquer des coutumes juives27.

(a suivre)

Diacre Jean‑Paul Lefebvre‑Filleau

Notes :

1. PAPIAS, Évêque de Hiérapolis (Phrygie) dans la première partie du 2e siècle. Auteur d’un ouvrage en cinq livres Explication des paroles du Seigneur, écrit en 115/140. Il mourut en 156.
2. EUSEBE DE CESAREE (265‑340), prélat, théologien, apologète chrétien et écrivain. Auteur d’une monumentale « Histoire ecclésiastique » dont l’intérêt est capital pour la connaissance des trois premiers siècles du christianisme.
3. in « Histoire ecclésiastique », livre 3, chap. 39, Eusèbe de Césarée, trad. Emile Grapin, Ed. Auguste Picard, 1913.
4. IRENEE, saint (130‑202). Évêque de Lyon au 2e siècle et Père de l’Eglise. Disciple de saint Polycarpe, qui lui‑même aurait connu l’apôtre Jean.
5. POLYCARPE, saint, né vers 69 ou 89 et mort en 155 ou 167. Evêque de Smyrne, aujourd’hui Izmir en Asie Mineure.
6. In « Traité contre les Hérésies », livre III, chap. Préliminaire : La vérité des Ecritures – sous titre : Comment, par les Apôtres, l’Eglise a reçu l’Evangile. Irénée de Lyon, http://livres‑mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/irenee_de_lyon.htm.
7. in « Histoire ecclésiastique », livre 5, chap. 10, Eusèbe de Césarée, trad. Emile Grapin, Ed. Auguste Picard, 1913.
8. cf « Stromates », Clément d’Alexandrie, livre 1, chap. 22, Ed. du Cerf, Paris, 1951.
9. IGNACE D’ANTIOCHE (35‑107) d’origine syrienne, fut le troisième évêque d’Antioche, après saint Pierre et Evode, à qui Ignace a succédé vers 68. Il a probablement été un disciple des apôtres Pierre et Jean. Plusieurs de ses lettres nous sont parvenues. Il est l’un des Pères apostoliques (les premiers des Pères de l’Église).
10. JUSTIN de Naplouse, saint (100‑168), également connu comme JUSTIN le Martyr ou JUSTIN le Philosophe, apologète et martyr chrétien, né à Flavia Neapolis (actuelle Naplouse).
11. cf « Nouvelle introduction à la Bible », p. 670‑681, Wilfrid Harrington, Ed. du Seuil, 1971 (ouvrage incontournable sur un plan théologique).
12. cf Ac 12, 12, 25 ; 15, 37.
13. cf Ac 13, 5, 13.
14. cf Ac 12, 25.
15. cf Ac 13, 5.
16. cf Ac 15, 37‑39.
17. cf Co 4, 10 ; Phm 24 et 2 Tm 4, 11.
18. cf Ac 12, 12‑17.
19. 2 Tm, 4, 11.
20. cf « Histoire ecclésiastique », livre 2, chap. 15, Eusèbe de Césarée, trad. Emile Grapin, Ed. Auguste Picard, 1913.
21. cf « Histoire ecclésiastique », livre 6, chap. 25, Eusèbe de Césarée, trad. Emile Grapin, Ed. Auguste Picard, 1913.
22. cf « Contre Marcion », livre 4, chap. 25, Ed. du Cerf, Paris, 2001.
23. cf « Nouvelle introduction à la Bible », p. 683, Wilfrid Harrington, Ed. du Seuil, 1971.
24. cf Mc 12, 42 ; 15, 16.
25. des non ‑ Juifs.
26. cf Mc 3, 17 ; 5, 41 ; 7, 11, 34 : 14, 36 ; 15, 22, 34.
27. cf Mc 7, 3‑4 ; 14, 12 ; 15, 42.

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