Ajouté le: 12 Janvier 2012 L'heure: 15:14

La persecution de l’Eglise Orthodoxe Russe par les communistes (II)

La persecution de l’Eglise Orthodoxe Russe par les communistes (II)

A cette époque, l’économie du pays était en plein désarroi. Un mécontentement profond agitait les paysans, désorientés par la collectivisation de l’agriculture et la suppression du commerce privé. D’économique qu’elle était au départ, la crise devint vite politique. De semaine en semaine, la situation s’aggravait et les révoltes agraires se multiplièrent partout. Les bolchéviques réagirent violemment.

L’Eglise, dorénavant considérée comme une entreprise privée, subit de plein fouet les attaques menées contre les koulaks dans les campagnes et contre le commerce privé dans les villes. Les membres du clergé, assimilés aux koulaks, durent s’acquitter d’impôts, alors qu’ils n’arrivaient qu’avec peine à se nourrir. Par ailleurs, les paroisses, qui subsistaient à la campagne grâce à l’aide des koulaks, plongèrent dans un marasme indescriptible lorsque ces derniers furent éliminés de la vie économique. Ne pouvant faire face à leurs nouvelles obligations fiscales, les clercs furent déclarés ennemi public et pourchassés. Beaucoup d’entre eux moururent sous les balles de leurs persécuteurs.

Mais cela n’était pas suffisant : en 1929, le deuxième congrès de « La Ligue des Sans Dieu militants » adopta un plan quinquennal de la « liquidation » de la religion. La nouvelle législation interdit toute expression religieuse en dehors des lieux de culte dûment enregistrés. Etaient également proscrits tout service religieux destiné à des groupes particuliers de fidèles (enfants, adolescents, femmes, associations professionnelles, cercles d’études théologiques, camps d’été de jeunes, etc.), tout concert de chœur d’église (musique religieuse ou profane), toute propagande religieuse et toute critique de l’idéologie communiste.

L’existence de lieux de culte agréés par le pouvoir ne freina pas pour autant la destruction de milliers d’églises, au cours de ces années 1928-1929.  Et l’imagination des bolchéviques, pour empêcher les chrétiens de vivre leur foi, n’eut pas de limite : les « Sans Dieu » supprimèrent le dimanche comme repos dominical et inventèrent la semaine de cinq jours (quatre jours de travail et un cinquième pour le repos).

Le monde libre éleva d’énergiques protestations et exerça des pressions économiques afin de soulager les souffrances des chrétiens de la Russie soviétique. Il y eut donc une accalmie temporaire, de 1930 à 1932. Nombre de membres du clergé, incarcérés en 1926-1927, furent même libérés.

Les persécutions reprirent lorsque des clercs et des laïcs, qui n’avaient pas adhéré à la déclaration de loyalisme de Mgr Serge, tentèrent de constituer une Eglise dissidente. Les communistes réagirent en deux temps : tout d’abord, la cathédrale du Christ Sauveur de Moscou, près du Kremlin, fut détruite, le 5 décembre 1931, pour marquer symboliquement l’intention du gouvernement d’anéantir définitivement la présence chrétienne en Union Soviétique. Puis, tous les évêques et une grande partie des prêtres, qui s’étaient engagés dans cette dissidence à l’Eglise patriarcale, furent emprisonnés. Enfin,  « La Ligue des sans Dieu militants » exigea la fermeture des derniers monastères encore en fonction et la déportation en camps de travail de presque tous leurs religieux et religieuses. Certains « sans Dieu militants » n’hésitèrent pas à fusiller sur place ceux qu’ils étaient chargés d’arrêter.

Alors que la nouvelle constitution de l’U. R. S. S., promulguée en 1936, accordait aux « membres survivants des classes exploitantes d’avant la Révolution », les mêmes droits que les autres citoyens, les persécutions ne cessèrent pas. Elles se prolongèrent pratiquement sans interruption jusqu’en 1940.

Les années 1937 et 1938 se distinguèrent par leur immense cruauté. En 1937,  Staline délivra l’ordre de dresser deux listes des ex-koulaks ministres du culte et prisonniers politiques : l’une de condamnés à être fusillés, l’autre de condamnés à la déportation en camps de travail. Ainsi, par l’ordre d’exécution n°00447, en date du 5 août 1937, quatre cents personnes étaient fusillées, chaque jour, au tristement célèbre polygone de tir de Butov. En fait, on fusillait partout à travers l’immense Russie… Parmi les fusillés, il y avait des milliers de religieux, dont des « Rénovateurs », dorénavant inutiles au régime, qui comprirent trop tard que les communistes ressemblaient au serpent du Paradis terrestre : ils promettaient beaucoup, mais ils apportaient la mort.

D’après Aleksander Jakovlev, président de la « Commission pour la réhabilitation des victimes des répressions politiques », deux cents mille membres du clergé, exclusivement orthodoxe, auraient été condamnés à mort entre 1917 et 1980. Ceci est un nombre approximatif qui demande à être affiné par les recherches en cours. Toujours d’après la dite commission, pendant les seules années 1937 et 1938 – les plus terribles –, 105 000 prêtres orthodoxes ont été fusillés. Il s’agit en fait des prêtres « identifiés ». En réalité, si on rajoute ceux qui ont été massacrés dans la clandestinité et dont on ignore les noms, le nombre des victimes est nettement supérieur.

Malgré une répression sanguinaire à l’égard des chrétiens, un sondage réalisé en secret par le gouvernement, au moment du recensement de la population en 1937, révéla que plus de la moitié des Soviétiques se déclaraient croyants. « Sur le sang des martyrs, la foi grandit, s’affermit et se magnifie », avait prévenu Maître Gourovitch, le défenseur, en 1922, du métropolite Benjamin de Pétrograd…

Ce sondage donna à réfléchir à Staline, confronté à la menace nazie. L’idée lui vint de refaire l’unité nationale contre l’envahisseur et de modifier son image auprès de ses alliés occidentaux. Dès lors, il accorda l’ouverture de milliers d’églises (il n’en restait plus qu’une centaine, ouvertes au culte, avec quatre évêques seulement) et l’élection d’un nouveau patriarche.

Cependant, cette mesure resta sous un contrôle gouvernemental strict. D’ailleurs, de nombreux clercs emprisonnés avant la guerre ne furent libérés qu’entre 1955 et 1957. De plus, dès que la victoire sur les Allemands s’avéra quasi certaine, le Comité central du parti communiste exigea, en septembre 1944, la reprise de la propagande antireligieuse. A cet effet, en 1947, la « Société pour la diffusion de la connaissance politique et scientifique » remplaça la défunte « Ligue des sans Dieu militants ». Néanmoins, le gouvernement soviétique ne pouvait plus se permettre de commettre des fusillades de masses, même si l’incarcération en camps et l’internement dans des hôpitaux psychiatriques « spéciaux » continuèrent et eurent aussi leurs victimes. Les sans Dieu agirent avec plus de subtilités en exerçant notamment des pressions morales sur leurs victimes. La consultation des archives soviétiques montre l’horreur des interrogatoires, les drames, les complicités et les infiltrations d’informateurs, les trahisons induites par la peur, etc.

En affichage extérieur, notamment vis-à-vis de l’Occident, le pouvoir soviétique donnait l’image d’un pays qui respectait la liberté religieuse. De fait, il accordait une certaine tolérance à une petite partie de l’Eglise orthodoxe dont les prélats étaient placés sous son strict contrôle. Le prix qu’ils durent payer consista à un soutien total de la politique étrangère des Soviets. Lors de colloques internationaux, ils proclamèrent que l’U. R. S. S. menait une politique pacifique à l’égard du monde et, à cette occasion, condamnèrent la politique étrangère des pays occidentaux.

Parvenu au pouvoir, Nikita Khrouchtchev lança, en 1959, une nouvelle vague de répression au cours de laquelle des milliers d’églises furent fermées (De vingt milles églises ouvertes au culte, il n’en resta plus que sept mille ; le nombre de monastères tomba de soixante-dix-sept à dix-sept ; celui des séminaires de huit à trois).

Par ailleurs, l’administration mit au point une liste de difficultés insurmontables afin de freiner avec efficacité le recrutement de nouveaux religieux (permis de résidence, lourde imposition fiscale à l’égard des monastères, rétablissement du service militaire pour les prêtres et les moines, interdiction du port du voile aux moniales, etc.).

En outre dans un système communiste où les ouvriers du bâtiment étaient des salariés de l’Etat et où les établissements religieux au sens large du terme ne faisaient pas partie de l’économie nationale, ces derniers ne bénéficiaient d’aucun entretien « officiel ». L’Eglise fut contrainte de recourir à ses propres fidèles, charpentiers, plombiers, maçons, etc. pour entretenir et réparer ses édifices. Ce soutien, à titre privé, ne pouvait qu’être réalisé à l’abri du regard d’une administration locale plus que tatillonne.

Les cours obligatoires d’ « athéisme scientifique » des lycées et des universités commencèrent également à porter leurs fruits, sans compter les interventions des « rééducateurs » des syndicats ou komsomol locaux dans la vie familiale et privée des croyants. Des efforts furent également entrepris pour inciter les membres du clergé à se « défroquer ». Plusieurs centaines de prêtres orthodoxes (sur trente mille, en 1957) abandonnèrent l’état ecclésiastique.

Cette politique antireligieuse réduisit considérablement la présence des fidèles dans les lieux de culte, ce qui donna l’occasion au régime de les confisquer et de les affecter à d’autres usages (musées, garages, salles de sport, etc.).

Afin de réduire, voire d’éliminer tout culte privé ou clandestin, des instructions gouvernementales rendirent obligatoires l’inscription sur des registres officiels, tous les baptêmes, mariages, funérailles, etc., avec l’indication des noms, adresses et numéros du passeport intérieurs des personnes concernées. Bien entendu, ce fichage permit d’organiser des représailles efficaces qui se concrétisaient, la plupart du temps, par un emprisonnement. Les ecclésiastiques de tous grades qui refusaient de se plier à ces exigences passèrent une grande partie de leur vie enfermés ou disparurent mystérieusement.

Enfin, en 1961, l’Etat décida de retirer à la hiérarchie ecclésiastique tous ses pouvoirs. Dans chaque paroisse, ceux-ci furent transmis à un groupe de laïcs élisant son propre bureau. Evidemment, un tel groupe comprenait des informateurs du K.G.B.  

Après la chute de Khrouchtchev, une évaluation commandée par son successeur, Brejnev, en 1964, démontra que les mesures répressives prises contre l’Eglise orthodoxe n’avaient pas porté leurs fruits. Les croyants et leurs sympathisants avaient conçu un fort ressentiment à l’égard du gouvernement et s’étaient finalement organisés au sein d’une Eglise clandestine, de facto beaucoup plus dangereuse pour les Soviétiques. Cependant, le régime ne devint pas tolérant pour cela. En 1967, une résolution du Comité central du parti invita le Komsomol et tous les établissements d’enseignement à renforcer la propagande antireligieuse.

Cette orientation a été intensifiée, en 1971, avec la création de la « Société philosophique soviétique » qui devait lutter contre « la tendance à la tolérance révisionniste » en favorisant l’édition de nombreux livres et revues antireligieux ; puis, en 1979, avec la résolution du Comité central du parti sur le « Perfectionnement du travail idéologique et politico-éducatif » ; enfin, en 1983,  par une autre résolution du Comité central qui, selon Andropov, devait aider chaque citoyen soviétique « à devenir un bâtisseur actif du communisme », et Tchernenko de préciser : « Les communistes sont des athées militants ». Ces résolutions étaient inspirées par la nouvelle Constitution soviétique de 1977 et les nouvelles lois sur l’éducation de 1973 qui faisaient obligation d’élever les enfants dans l’idéologie communiste.

Ces dispositions juridiques légales engendrèrent des persécutions particulièrement dures contre l’Eglise des Catacombes ou contre les membres de groupes d’études philosophico-religieux clandestins. Il y eut malheureusement des assassinats de prêtres actifs tel celui du Père Nicolas Ivassiouk, fomenté – on le sait aujourd’hui –, par des agents du K.G.B. ou celui du Père Alexandre Men, probablement la victime des mêmes kagibistes.

Parvenu au pouvoir, le 11 mars 1985, Gorbatchev comprit que la société soviétique était profondément malade. Pour mener à bien les réformes qu’il se proposait d’appliquer, il avait besoin de toutes les forces vives du pays, dont l’Eglise orthodoxe qui constatait, à l’approche du millénaire de la Christianisation de la Russie, un retour massif de l’intelligentsia à la foi de ses ancêtres. D’ailleurs, au 8e Congrès des écrivains de l’Union Soviétique, plusieurs intervenants rendirent hommage au rôle de l’Eglise dans la qualité de l’éducation morale et spirituelle des précédentes générations de Russes, en soulevant les insuffisances morales et civiques des générations actuelles élevées dans l’idéologie communiste. En d’autres temps, ces intellectuels auraient été taxés de schizophrénie et de dédoublement de la personnalité et soignés énergiquement dans une psychoprison.

Finalement, la Russie, encore soviétique, fêta d’une manière grandiose le millénaire de sa Christianisation. Cette année-là, en 1988, le président du Conseil aux affaires religieuses, K. Khartchev, fit le constat, d’une part, qu’une féroce et répressive politique antireligieuse exercée pendant soixante-dix années n’avait pu éliminer l’Eglise orthodoxe et, d’autre part, qu’il était plus profitable pour l’Etat d’être son allié car « nous avons échoué, dit-il, à apprendre l’honnêteté et l’effort à nos compatriotes. L’Eglise ne dit pas autre chose que cela ; pourquoi ne pas lui céder le terrain pour encadrer la société ? ». Ces paroles constituaient un revirement spectaculaire de l’administration soviétique. L’Eglise fut légalisée par une loi d’octobre 1990 traitant de la liberté de conscience. Dès lors, la liberté religieuse retrouvée permit des conversions de masse. Un nouveau patriarche, Alexis II, fixa la ligne à suivre : « le renforcement de la vie spirituelle interne de l’Eglise ». Avec la disparition de l’U.R.S.S., le 21 décembre 1991, une nouvelle page d’histoire de la Russie et de sa Sainte Eglise allait s’inscrire.

*  *  *

Au cours de cette longue période communiste, des milliers de serviteurs de Dieu de la Sainte Russie se sont dévoués, ont donné leurs forces et leur vie même pour l’amour du Christ bafoué par un système politique qui allait à l’encontre de toutes les valeurs chrétiennes. Il faut avoir les yeux ouverts devant toutes les souffrances de l’Eglise orthodoxe qui ont jalonné le 20e siècle à peine achevé. Dorénavant, d’autres dangers guettent les chrétiens et les orthodoxes en particulier, que ce soit dans les Balkans ou au Proche-Orient. Que Dieu les protège !

(*) L’auteur, Jean-Paul Lefebvre-Filleau, colonel de gendarmerie à la retraite, diplômé en droit et en criminologie et d’une grande école (E.O.G.N.), licencié en théologie orthodoxe (Institut Saint Serge), Grand Prix des Ecrivains de France (1997) et historien, est diacre à la paroisse orthodoxe Saint-André et Sainte-Alexandra (patriarcat de Roumanie), à Caen (Calvados) et à la paroisse orthodoxe Saint Silouane, à Rouen (Seine-Maritime).

BIBLIOGRAPHIE :

1. BRUHAT Jean, « Histoire de l’U.R.S.S. », Ed. Presses Universitaires de France, n° 183, Paris, 1980.
2. CARRERE D’ENCAUSSE Hélène, « Le pouvoir confisqué », Ed. Flammarion, Paris 1980.
3. COQUIN François-Xavier, « La Révolution russe », Ed. Presses Universitaires de France, n° 986, Paris, 1982..
4. LESAGE Michel, « Le droit soviétique », Ed. Presses Universitaires de France, n° 1052, Paris, 1975.
5. POSPIELOVSKI D., ROBERTI J.-C., STRUVE N., ZIELINSKI V., « Histoire de l’Eglise russe », Ed. Nouvelle Cité, Paris, 1989.
6. RICCARDI Andrea, « Ils sont morts pour leur foi. La persécution des chrétiens au 20e siècle », Ed. Plon/Mame, Paris, 2002.
7. SADÜNAITE Nijolé, « Un sourire au goulag, journal d’une catholique lituanienne », Ed. Bibliothèque AED, collection témoins, Rome, 1984.
8. SEMENOFF-TIAN-CHANSKY, « Printemps de la foi en Russie, les chrétiens de Gorbatchev à Poutine », Ed. Saint-Paul, Versailles, 2000.

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