L'étranger

publicat in Page des enfants pe 9 Mai 2012, 11:31

Quelques années après ma naissance, mon père rencontra un étranger qui venait d’arriver dans notre petite ville. Dès le début, mon père tomba sous le charme de ce nouveau venu et peu de temps après, il l’invita à habiter avec nous. L’étranger s’intégra rapidement et depuis, il était avec nous presqu’en permanence. En grandissant, je ne me posais pas même de question sur son rôle dans notre famille. A mes yeux, il y occupait une place tout à fait spéciale.

Mes parents nous éduquaient en se complétant mutuellement. Ma mère m’apprit à discerner le Mal d’avec le Bien. Mon père m’apprit à obéir. Mais l’étranger... l’étranger était notre conteur. Nous étions fascinés par ses contes et ses anecdotes. Si nous voulions savoir quelque chose sur la politique, l’histoire ou les sciences, il nous éclairait. Il savait déchiffrer le passé, comprenait le présent et était même capable de prédire l’avenir!

Il nous emmenait même voir la ligue professionnelle de baseball. Il nous faisait rire, pleurer... L’étranger parlait sans arrêt et mon père ne semblait pas en être gêné.

Parfois, notre mère se levait doucement, pendant que nous faisions tous « chuuuut » ! pour qu’on fasse silence et qu’on puisse l’écouter, et elle allait dans la cuisine parce qu’elle voulait avoir un moment de silence. (Je me demande maintenant si elle ne priait pas pour que l’étranger s’en aille...)

Les convictions morales de mon père nous guidaient avec fermeté, mais l’étranger ne se sentait jamais obligé de les respecter. Les jurons n’étaient pas acceptés chez nous, ni pour nous, ni pour les amis, ni pour les invités. Et pourtant, notre hôte laissait facilement échapper des grossièretés qui faisaient brûler mes oreilles, irritaient mon père et faisaient rougir ma mère.

Mon père ne permettait pas l’usage de l’alcool, mais l’étranger nous encourageait quotidiennement à en  consommer. Pour lui, les cigarettes c’était « cool », les cigares étaient super-masculins et la pipe tout simplement distinguée. Il parlait librement, beaucoup trop librement de sujets interdits. Ses commentaires étaient toujours embarrassants.

Maintenant, je me rends compte que ce que je pensais à l’époque des relations entre les hommes était très influencé par ses opinions. A chaque fois, elles entraient en conflit avec les conseils que mes parents me donnaient. Malgré cela, il était rarement repoussé et on ne lui a jamais demandé de partir.

Plus de 50 ans se sont écoulés depuis que l’étranger avait emménagé chez nous. Il s’est intégré immédiatement, mais il n’est plus aussi fascinant qu’au début.

Et pourtant, si quelqu’un entrait aujourd’hui dans la demeure de mes parents, il le trouverait dans son coin, attendant toujours qu’on écoute ses paroles, …et qu’on regarde ses images.

Quel est son nom...? nous l’appelons simplement télévision!

Et maintenant il a même un compagnon... l’ordinateur !