La paix soit avec vous (Jean 20, 26) (II)

publicat in Le monde intérieur pe 8 Mars 2011, 08:51

« La vie d’aujourd’hui, avec son agitation incessante, est un enfer. Les gens sont toujours pressés, toujours en train de courir. Une heure ici, une heure ailleurs, et encore autre part l’heure suivante… Et pour ne pas oublier ce qu’ils doivent faire, ils ont besoin de le noter. Encore heureux si, avec toute cette agitation, ils arrivent à se rappeler leur nom ! Ils n’arrivent même plus à se connaître eux-mêmes. Comment le feraient-ils ? On ne peut se voir dans une eau trouble. Que Dieu me pardonne, mais le monde est devenu une maison de fous ! (…) Une telle vie pleine d’inquiétude et d’agitation n’est pas le bonheur – c’est l’enfer ! (…) Ne soyez jamais inquiets, pour rien au monde. L’inquiétude appartient au diable »  

Père Païssios l’Agh iorite « Propos » (I) - Mont Athos, 2000

 

L’unité et l’ordre de la Création, autrement dit le Cosmos – l’étymologie grecque de ce mot exprime l’idée d’ordre et de monde organisé – , reposent sur la paix et l’harmonie entre tous les éléments qui composent l’univers. L’antiquité gréco-latine reconnaissait déjà la paix et la bonne entente des éléments comme principe fondateur de l’univers: après avoir séparé les éléments, « en attribuant à chacun une place distincte », le Créateur de l’univers « les unit par les liens de la concorde et de la paix » (Ovide – « Les Métamorphoses »).

L’homme religieux, qui éprouve le besoin « de vivre dans un Cosmos pur et saint, tel qu’il était au commencement, lorsqu’il sortait des mains du Créateur » (Mircea Eliade – « Le sacré et le profane ») , aspire à rétablir, dans tous les aspects de sa vie terrestre et à chaque moment de son existence, l’unité primordiale de la Création, par laquelle l’Esprit de Dieu se manifeste à la fois à l’extérieur et à l’intérieur de l’homme et sanctifie en même temps le monde et la personne humaine : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint Esprit qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu (…) ? » (1 Cor. 6, 19).

La paix qui vient de Dieu et que le monde à lui seul ne peut donner, résulte de la conscience vivante et constante de la présence du Saint Esprit à la fois dans le monde et à l’intérieur de soi. Dieu est présent partout où quelque chose existe, et à chaque instant, car « chaque événement, le fait le plus insignifiant survenu près de nous ou à notre propos, tout correspond à la Providence du Seigneur. Rien ne se produit dans le cosmos sans l’intervention de la Providence. (…) Tout ce qui nous apparaît chaotique, Dieu sait pourquoi et dans quelle mesure il a permis qu’il en soit ainsi. Nous devons considérer qu’il est présent partout » (Starets Thaddée – « Paix et joie dans le Saint Esprit », L’Age d’Homme, 2010).

Les mots nous trompent lorsque nous appelons réalité le monde qui nous entoure et les objets accessibles à nos sens et à notre pensée, car la seule réalité toujours et partout présente, sans laquelle rien ne pourrait subsister ne fût-ce qu’une seconde, c’est l’Esprit de Dieu, source unique et éternelle de tout ce qui existe. C’est pourquoi la véritable paix intérieure ne peut venir que de Dieu, seule vérité inébranlable et éternelle sur laquelle on puisse s’appuyer, et qu’aucun objet de ce monde ne peut remplacer : « Dès que notre attention se détourne du Seigneur, nous perdons notre paix intérieure. Le Seigneur réside secrètement en tout homme, que ce dernier Le respecte ou non. Mais Il est là, au centre de la vie. Il est le moteur de la vie, Il est Celui qui donne vie. Tant que notre attention reste là, dans le cśur, on conserve cette paix intérieure et cette joie divine (…). Mais ensuite, dès que notre attention se détourne du Seigneur pour se fixer sur des centres d’intérêt terrestres, qu’il s’agisse d’objets inertes ou d’êtres vivants, nous perdons aussitôt notre paix intérieure, car l’homme ne peut pas être des deux côtés à la fois » ( Starets Thaddée, op. cit.) L’homme qui oublie Dieu est semblable à un fou qui a perdu le contact avec la réalité : « L’esprit de ce monde est une maladie. De même que nous cherchons à éviter une maladie, de la même façon nous devons éviter, en quelque circonstance que ce soit, la manière de penser de ce monde» (Père Païssios l’Aghiorite, op. cit.).

Nos chagrins et nos souffrances ne sont que la conséquence inévitable de notre mauvaise manière de penser, selon la sagesse de ce monde « qui est folie devant Dieu » (1 Cor. 3,19). L’esprit de ce monde, qui nous égare et nous éloigne de Dieu, est la source de tous nos malheurs, car « ce qu’un homme aura semé, il le moissonnera aussi » (Gal. 6, 7) : « Nous souffrons parce que nos pensées sont mauvaises et que nos désirs sont mauvais. (…) Nos mauvaises pensées et nos mauvaises aspirations ont détruit l’harmonie et la paix et produit de mauvais fruits. Nous sommes nous-mêmes coupables de tout cela. Nous récoltons les mauvais fruits de nos pensées et de nos désirs…» (Starets Thaddée – op. cit).

Consacrer nos pensées et notre existence à un centre d’intérêt autre que Dieu c’est à la fois une forme de folie et d’idolâtrie, car la chose convoitée, ou l’être adoré, prend la place de Dieu dans notre esprit et dans notre cśur : « L’objet qui a attiré notre attention se glisse aussitôt à l’intérieur, il s’empare du trône du Seigneur, il s’empare de notre cśur. Il peut s’agir de la soif de gloire, d’honneurs, de richesse, de beauté. Dès qu’une chose d’origine terrestre s’élève sur ce trône, alors elle se met à vivre en nous. Les sentiments qui agissent en nous dépendent des centres d’intérêt auxquels nous accordons notre attention » (Starets Thaddée, op. cit.).

Notre esprit est fait pour recevoir Dieu, de même que la fonction de nos poumons est de recevoir à chaque instant l’air qui nous maintient en vie. Ainsi l’âme qui s’éloigne de Dieu se trouve privée de sa source de vie que rien au monde ne peut remplacer: « Ce qui arrive au poisson qui est sorti de l’eau, arrive à l’intelligence quand elle est sortie de la mémoire de Dieu et se disperse dans les choses du monde » (St. Isaac le Syrien – « Discours ascétiques »). En nous attachant aux choses mortelles, nous nous attachons à la mort elle-même, en lui donnant un pouvoir total sur notre personne et notre existence, car tout ce que nous possédons en ce monde - richesse, pouvoir, gloire, jeunesse, beauté, plaisirs, êtres chers, śuvres, possessions, notre corps lui-même et jusqu’à notre dernier cheveu ! - nous allons tout perdre à l’heure de notre mort : « s’il est probable que l’avenir nous réserve tristesse et joie, des événements imprévus ou problématiques, la seule chose absolument sûre qui nous attende c’est la mort, son fait est universel et indiscutable » (Paul Evdokimov – « Les âges de la vie spirituelle »). En effet, lorsque l’homme perd sa foi en Dieu, la seule vérité universelle, éternelle et toute puissante qui lui reste, c’est la mort. Le cri de Nietzsche qui est devenu le mot d’ordre des temps modernes : « Dieu est mort !», n’est pas un cri de victoire mais de désespoir. Car si Dieu est mort, la mort devient Dieu. C’est pourquoi l’homme qui ayant oublié ou renié Dieu, demeure attaché aux biens de ce monde, ne trouvera jamais la paix, fût–il riche comme Crésus, beau comme Adonis et puissant comme Jules César !... Car derrière toutes ses possessions, son pouvoir, ses richesses et ses śuvres quelles qu’elles soient, se profile à chaque instant et durant toute sa vie l’ombre de la mort, que la conscience humaine ne peut ignorer : « La mort n’est pas un instant, elle coexiste et accompagne l’homme tout au long du chemin de sa vie. Elle est présente en toute chose comme limite évidente » (P. Evdokimov, ibid.). Par leur attachement exclusif et immodéré aux biens de ce monde, nos sociétés de consommation et de divertissement affirment de manière implicite la toute puissance de la mort sur l’existence humaine, car tout ce qui vient du monde et de la chair est soumis à loi de la mort. De là, la conscience inquiète et tourmentée de l’homme d’aujourd’hui qui essaie par tous les moyens – divertissements, luxe, alcool, drogue, sexe, sport, tranquillisants etc.– d’étouffer son anxiété et d’oublier le spectre de la mort qui le poursuit comme une ombre ici bas: « L’oubli de la mort caractérise le monde ; avec grand art et habileté tout s’ordonne dans ce sens ; comme si l’homme moderne n’en supportait pas l’idée trop brutalement imposée (…). Les morts sont des trouble-fête, ils dérangent ceux qui jouissent de la vie » (P. Evdokimov, ibid.).

Même lorsque nous avons la foi – ou nous croyons l’avoir –, notre cśur a tendance à s’attacher aux trésors périssables de ce monde, « où les mites et la rouille détruisent et où les voleurs percent et dérobent » (Mt. 6, 19) : « Nous sommes enclins à tomber amoureux des choses de ce monde. (…) Et dès qu’une telle chose est en notre possession nous en épuisons rapidement les charmes, puis nous passons à autre chose. Nous voulons sans cesse autre chose, sans jamais nous rassasier ». (Starets Thaddée, op. cit.). Cette avidité jamais assouvie et sans cesse ravivée par un nouvel objet, qui constitue le moteur même des sociétés de consommation, est la preuve évidente, que chacun peut vérifier dans sa propre existence autant de fois qu’il le souhaite, que tout objet de désir autre que Dieu est aussi trompeur et illusoire qu’un mirage dans le désert : « Il faut donc nous fixer là où se trouve ce qui est inébranlable. Nous cherchons des appuis sur terre, mais chacun d’eux nous échappe. Il nous manque un appui constant, impossible à changer. Le seul appui existant à ce titre est le Seigneur. Il est inébranlable et inchangeable à travers les siècles. Quiconque espère en lui ne sera pas humilié. (…) Nous sommes des enfants. Enfants du Père céleste, c’est auprès de Lui que nous devons chercher un appui » (Starets Thaddée ibid.).

Viorel Ştefăneanu, Paris